La bataille de Morgarten, qui se déroula le 15 novembre 1315 près du lac d’Ägeri, marque une étape fondatrice pour l’histoire de la Suisse. Ce combat, opposant les Confédérés à une armée des Habsbourg commandée par Léopold Ier d'Autriche, symbolise l’émergence de l’alliance des cantons alpins et leur capacité à résister à une puissance féodale dominante.
La bataille trouve ses racines dans un différend local entre les Schwytzois et l’abbaye d’Einsiedeln concernant des droits de pâturage. Mais elle reflète également des enjeux plus larges. À la mort de l’empereur Henri VII en 1313, un conflit éclata entre Louis de Bavière et Frédéric le Bel, issu des Habsbourg, pour la couronne impériale. Les Confédérés soutinrent Louis, s’opposant ainsi à leur suzerain direct, les Habsbourg. Cette prise de position radicalisa les tensions.
Les cantons d’Uri, Schwytz et Unterwald, unis par le pacte de 1291, cherchaient à préserver leur autonomie. Face à cela, les Habsbourg, qui dominaient les routes commerciales et les cols alpins, notamment via l’abbaye d’Einsiedeln, tentaient de renforcer leur contrôle sur cette région stratégique.
Léopold Ier d’Autriche rassembla une armée de 3 000 à 5 000 hommes, comprenant un tiers de cavaliers lourdement armés. Il envisageait une attaque surprise contre Schwytz en passant par le col de Morgarten, espérant écraser ces communautés montagnardes qu’il considérait comme des roturiers mal équipés.
Prévenus par un réseau d’éclaireurs, les Confédérés, dirigés par Werner Stauffacher, se préparèrent à tendre une embuscade. Ils bloquèrent les chemins avec des arbres abattus et se postèrent sur les hauteurs dominant le passage étroit entre la pente et les rives marécageuses du lac d’Ägeri.
Lorsque l’armée habsbourgeoise entra dans le défilé, les Confédérés déclenchèrent leur attaque. Des pierres, des troncs d’arbres et des projectiles s’abattirent sur les soldats, semant la confusion. Les cavaliers lourdement armés, incapables de manœuvrer, furent pris au piège. Les piquiers confédérés descendirent ensuite pour achever les survivants, tandis que les paysans pourchassaient les fuyards. Beaucoup d’hommes furent poussés dans le lac et périrent noyés sous le poids de leur armure. Léopold réussit à fuir avec une petite partie de ses forces.
La bataille de Morgarten infligea une défaite humiliante aux Habsbourg, consolidant l’autonomie des Confédérés. Schwytz, Uri et Unterwald renouvelèrent leur alliance et l’élargirent en adoptant le Pacte de Brunnen en 1315, qui formalisa leur union et devint un jalon de la Confédération suisse.
La victoire inspira d’autres régions, montrant que des communautés unies pouvaient résister à des puissances féodales. Les Confédérés, combinant des paysans solidaires et des milices urbaines, devinrent un exemple de résistance collective.
Malgré cette victoire, les cantons restèrent isolés et sous la menace des Habsbourg. Ce n’est qu’avec l’intégration progressive de villes comme Lucerne (1332), Zurich (1351) et Berne (1353) que la Confédération prit une forme plus solide. Ces alliances furent souvent dictées par la nécessité de se défendre contre un retour offensif des Habsbourg.
La bataille de Morgarten devint un symbole de la détermination et de l’ingéniosité des Suisses. L’historiographie ultérieure magnifia les montagnards armés de hallebardes et d’arbalètes, capables de triompher de chevaliers blindés grâce à leur connaissance du terrain et à leur courage.
Cet épisode marqua l’émergence d’une infanterie suisse redoutée, combinant discipline, mobilité et cohésion. Ces qualités allaient asseoir la réputation des mercenaires suisses dans toute l’Europe au cours des siècles suivants.
La bataille de Morgarten, au-delà de sa portée locale, symbolise l’affirmation d’une volonté d’autonomie face à la féodalité impériale. Elle marque le début d’une alliance solide entre cantons alpins, ouvrant la voie à la formation de l’État confédéral suisse. Ce succès militaire, combiné à des alliances politiques habiles, permit aux Confédérés de s’émanciper progressivement de l’emprise des Habsbourg et d’établir une identité politique unique.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, Juin 2015