Depuis 1209, la croisade contre les Albigeois a évolué d’une campagne religieuse en une guerre de conquête territoriale. Simon IV de Montfort, leader charismatique des croisés, a consolidé son pouvoir sur les vicomtés Trencavel et progressé dans les terres du comte de Toulouse, Raymond VI.
Le roi Pierre II d’Aragon, auréolé de gloire après sa victoire sur les Maures à Las Navas de Tolosa en 1212, entre dans le conflit pour protéger ses vassaux languedociens et asseoir son influence dans le sud de la France. Malgré ses tentatives diplomatiques, il prend officiellement parti pour Raymond VI, le comte de Foix, et le vicomte de Béarn en janvier 1213. Ce soutien marque une escalade majeure dans le conflit, opposant directement la couronne d’Aragon aux forces croisées.
En août 1213, Pierre II franchit les Pyrénées à la tête d’une armée composée de Catalans, d’Aragonais et de seigneurs méridionaux. Il s’unit à ses alliés pour assiéger la ville de Muret, un point stratégique tenu par une petite garnison croisée d’une trentaine de chevaliers. La ville tombe rapidement, mais Pierre II retarde l’assaut du château, espérant attirer Simon de Montfort dans une bataille décisive.
Simon de Montfort, informé de la situation, quitte Fanjeaux avec environ mille cavaliers et atteint Muret le 11 septembre. Il parvient à entrer dans le château malgré la pression ennemie, se préparant à une confrontation directe.
Au matin du 12 septembre 1213, les deux armées se préparent à la bataille. Pierre II, confiant en sa supériorité numérique et son prestige, décide de livrer bataille immédiatement, malgré l’opposition prudente de Raymond VI. Les forces croisées, bien que numériquement inférieures, sont disciplinées et organisées en trois bataillons de 300 cavaliers chacun, commandés respectivement par Guillaume des Barres, Bouchard de Marly, et Simon de Montfort lui-même.
Manœuvre stratégique de Simon de Montfort :
Simon mène ses troupes hors de Muret, longeant la Louge pour éviter les milices toulousaines. Il traverse la rivière en aval et attaque l’armée ennemie sur son flanc. Cette tactique de surprise, associée à la discipline des chevaliers croisés, désoriente les forces méridionales.
Le rôle de Pierre II d’Aragon :
Pierre II dirige personnellement un bataillon de 700 hommes, mais sa décision de combattre en tenue identique à celle de ses chevaliers provoque une confusion fatale. Lorsque des chevaliers croisés tuent un homme qu’ils croient être le roi, la panique gagne les Aragonais. Pierre II, tentant de rassurer ses troupes, s’expose dangereusement et est tué par Alain de Renty, un chevalier d’Artois.
Effondrement de l’armée méridionale :
Avec la mort de Pierre II, la coalition se désintègre. Les bataillons méridionaux refluent en désordre, et les milices toulousaines, prises par surprise, sont massacrées par les croisés ou noyées dans la Garonne en tentant de fuir. Raymond VI, resté en retrait avec 900 hommes, abandonne la bataille et retourne à Toulouse.
La victoire des croisés à Muret est totale, bien que les forces de Simon de Montfort aient été en infériorité numérique. Cette bataille marque un tournant décisif dans la croisade albigeoise.
Conséquences pour l’Aragon :
La mort de Pierre II affaiblit considérablement la couronne d’Aragon, qui abandonne toute velléité d’intervention en Languedoc. Son fils Jacques, âgé de six ans, est capturé mais rapidement libéré à la demande du pape, mettant fin à l’implication aragonaise.
Conséquences pour les Méridionaux :
La défaite de Muret est un désastre pour les seigneurs languedociens. Privés du soutien de l’Aragon, ils perdent un allié crucial. Les milices toulousaines, décimées, laissent Toulouse vulnérable. Raymond VI, incapable de négocier avec les Croisés, s’exile en Angleterre, laissant les consuls de Toulouse face à une pression croissante.
Renforcement de Simon de Montfort :
Cette victoire consolide l’autorité de Simon de Montfort, qui apparaît désormais comme l’homme fort de la croisade. Cependant, son contrôle reste fragile : bien que victorieux à Muret, il devra encore faire face à des soulèvements locaux et à une résistance opiniâtre.
Sources et Références :
Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2014.