La bataille de Tinchebray s’inscrit dans un contexte tendu marqué par des querelles dynastiques et politiques au sein de la famille royale normande et anglo-saxonne. Après la mort de Guillaume le Roux, roi d’Angleterre, en 1100, une dispute éclata entre ses deux frères, Henri Beauclerc et Robert Courteheuse. Henri, plus jeune, s’empara de la couronne d’Angleterre malgré les revendications de Robert, duc de Normandie, soutenu par une partie de la noblesse normande.
Cette rivalité fut exacerbée par la fragilité des équilibres politiques en Normandie, où Robert peinait à maintenir l’ordre face à une noblesse divisée. Le traité d'Alton en 1101 semblait avoir apaisé temporairement les tensions, Robert acceptant de renoncer à ses ambitions sur l’Angleterre en échange d’une pension. Cependant, les ambitions territoriales et la méfiance mutuelle entre les deux frères rendirent cette trêve de courte durée. En 1105, Henri décida de lancer une campagne militaire en Normandie, capturant plusieurs positions stratégiques, dont Bayeux et Caen, pour affirmer son autorité sur le duché.
En 1106, Henri Beauclerc retourna en Normandie, déterminé à soumettre définitivement son frère. C’est dans ce contexte de rivalités personnelles et de luttes pour le contrôle des territoires normands et anglais qu’eut lieu la bataille de Tinchebray.
Tinchebray, une forteresse située sur une colline dans le sud-ouest de la Normandie, jouait un rôle clé dans la défense du duché. Elle appartenait à Guillaume de Mortain, un fidèle de Robert Courteheuse, et se trouvait à la frontière du comté de Mortain, région stratégique pour le contrôle des routes entre le nord et le sud de la Normandie.
Lorsque Henri mit le siège devant Tinchebray en septembre 1106, il espérait non seulement s’emparer d’un point fortifié, mais également provoquer un affrontement décisif. Le camp adverse, mené par Robert Courteheuse, refusa toute négociation, préférant engager une bataille pour tenter de briser l’offensive royale.
Henri, prudent et stratège, divisa ses forces en trois groupes pour maximiser son efficacité, tout en gardant une réserve dissimulée sous le commandement d’Hélie de la Flèche, un comte expérimenté et loyal. De son côté, Robert Courteheuse rassembla les barons restants encore fidèles à sa cause, dont Guillaume de Mortain et Robert II de Bellême.
La bataille, qui se déroula le 28 septembre 1106, fut courte mais décisive. Les forces royales, bien organisées, furent divisées en trois corps principaux, commandés par des généraux compétents comme Ranulph le Meschin, Robert de Beaumont et Guillaume de Warenne. La réserve dirigée par Hélie de la Flèche joua un rôle clé dans la stratégie globale.
Face à eux, Robert Courteheuse et ses alliés tentèrent une résistance désespérée. Mais après une heure de combat intense, les troupes de Robert furent submergées. L’intervention d’Hélie de la Flèche fut déterminante : en attaquant par l’arrière, il brisa les lignes ennemies et créa un effet de panique parmi les troupes ducales.
Robert Courteheuse fut capturé, ainsi que Guillaume de Mortain et plusieurs autres barons. Edgar Atheling, un parent de l’épouse d’Henri, fut également fait prisonnier. Cette capture décapita le commandement de l’armée ducale, assurant une victoire totale pour Henri Beauclerc.
La victoire de Tinchebray permit à Henri Beauclerc de consolider son contrôle sur la Normandie, dont il fut reconnu duc le 15 octobre 1106. Cette double autorité sur l’Angleterre et la Normandie donna naissance à une période de prospérité relative, bien que marquée par des tensions permanentes avec la France voisine.
Robert Courteheuse, humilié, passa le reste de sa vie en captivité en Angleterre, où il mourut près de trente ans plus tard. Guillaume de Mortain ne retrouva jamais son comté, tandis qu’Henri établit un pouvoir centralisé plus stable en Normandie.
Pour l’Angleterre, la victoire renforça le prestige de la monarchie anglo-normande et la position d’Henri comme roi visionnaire et stratège. Elle marqua aussi un tournant dans les relations entre les barons normands, de plus en plus alignés sur le pouvoir royal.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, août 2014
Sources et Références :