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Le Siège de Jérusalem (1099) : Le Point Culminant de la Première Croisade.

La Croisade approche de son but

Après la prise d’Antioche en juin 1098, la progression des croisés ralentit, marquée par des divisions internes et des différends sur le partage des territoires conquis. Tandis que Bohémond revendique Antioche pour lui-même et que Baudouin établit son comté à Édesse, Raymond IV de Toulouse quitte Antioche pour continuer la croisade. Le départ pour Jérusalem se fait en plusieurs vagues, chaque groupe avançant selon ses intérêts.

En janvier 1099, l’armée croisée reprend sa marche vers le sud, évitant les grandes batailles en échange de ravitaillements offerts par les seigneurs musulmans locaux, peu enclins à s’opposer à leur passage. Après un périple éprouvant le long de la côte méditerranéenne, les croisés atteignent Jérusalem le 7 juin 1099. La vue de la ville sainte déclenche des larmes parmi les croisés, galvanisés par la proximité de leur but ultime.


Le siège de Jérusalem : Un défi logistique et spirituel

Un siège sous tension

La situation des croisés est critique à leur arrivée. Les forces disponibles ont été considérablement réduites depuis le départ de l’Europe : sur les 7 000 chevaliers initiaux, seuls 1 500 restent en état de combattre, accompagnés de 12 000 fantassins. En face, la ville, sous contrôle des Fatimides d’Égypte, est solidement fortifiée et bien approvisionnée, malgré l’expulsion des chrétiens locaux.

Les croisés installent leurs camps autour de la ville : Godefroy de Bouillon et ses alliés encerclent le nord, tandis que Raymond de Toulouse campe à l’ouest. Un premier assaut lancé le 13 juin échoue, aggravant la situation des assiégeants, confrontés à une pénurie d’eau et de nourriture. La chaleur de l’été rend les conditions insupportables, et les croisés sont au bord de l’épuisement.

Des renforts salvateurs

La situation change lorsqu’une flotte génoise accoste à Jaffa. Ces renforts apportent du matériel pour construire des machines de siège et rétablissent temporairement le ravitaillement des croisés. Les croisés collectent du bois en Samarie pour ériger des tours de siège, espérant briser les défenses de la ville avant l’arrivée d’une armée fatimide annoncée.


L’assaut final : La victoire croisée et le massacre

La prise de Jérusalem

Dans la nuit du 14 juillet 1099, les croisés lancent leur assaut final. Trois tours de siège sont amenées près des remparts. La tour de Godefroy de Bouillon atteint la première les murs, permettant aux chevaliers de pénétrer dans la ville. Tandis que Raymond rencontre des retards à l’ouest, les défenseurs abandonnent leurs positions, et les croisés ouvrent les portes.

Une fois la ville prise, les croisés se livrent à un massacre généralisé. Les musulmans qui n’ont pas fui sont tués, et des juifs trouvent la mort dans leurs synagogues incendiées. Les chiffres varient selon les sources, certains chroniqueurs évoquant jusqu’à 70 000 morts, bien que des recherches modernes estiment le bilan à environ 10 000 victimes.

Conséquences spirituelles et politiques

Le carnage marque profondément les relations entre croisés et populations locales. Cependant, cette victoire permet aux croisés de consacrer Jérusalem à nouveau au christianisme. Le 22 juillet, Godefroy de Bouillon est élu "Avoué du Saint-Sépulcre", refusant le titre de roi par respect pour la ville sainte. Peu après, Arnoul de Rœux découvre la Sainte Croix, une relique précieuse qui devient un symbole central du nouveau royaume.


Les conséquences stratégiques et religieuses

La création du royaume latin de Jérusalem

Le siège de Jérusalem aboutit à la fondation du royaume latin de Jérusalem, premier État croisé en Terre Sainte. Godefroy prend la tête de cette nouvelle entité, qui devient un centre de pouvoir chrétien dans la région. L’élection de Daimbert de Pise comme patriarche latin en août marque l’établissement d’une hiérarchie religieuse dédiée à consolider l’influence chrétienne dans la région.

Une victoire militaire décisive

Le 12 août 1099, Godefroy mène les croisés contre une armée fatimide à Ascalon. La victoire renforce le contrôle croisé sur Jérusalem et éloigne temporairement la menace musulmane. Cependant, la plupart des croisés considèrent leur vœu accompli et retournent en Europe, laissant le royaume de Jérusalem dépendre d’un nombre limité de chevaliers pour sa défense.

Un héritage complexe

Le massacre de Jérusalem reste un épisode controversé, parfois glorifié par les chroniqueurs chrétiens et dénoncé par les sources musulmanes. Si les croisés ont accompli leur objectif spirituel, leurs méthodes soulèvent des questions sur l’impact à long terme de la croisade sur les relations entre les religions et les cultures de la région.


La prise de Jérusalem : Un choc pour le monde musulman

Une surprise stratégique

Le gouverneur fatimide de Jérusalem, Iftikhar ad-Daula, n’avait pas anticipé la persistance des croisés. Bien que la ville fût fortifiée et bien approvisionnée, l’armée fatimide était insuffisante pour résister à un siège prolongé, d’autant que des renforts tardèrent à arriver. L’absence de coordination entre les forces locales musulmanes permit aux croisés d’exploiter les divisions et d’encercler la ville sans véritable opposition extérieure.

Le massacre de Jérusalem

La prise de Jérusalem par les croisés le 15 juillet 1099 fut suivie d’un massacre de grande ampleur qui choqua profondément le monde musulman. Les témoignages arabes, notamment ceux d’Ibn al-Athir et d’al-Azimi, décrivent des scènes de brutalité extrême. Selon ces récits, les croisés massacrèrent hommes, femmes et enfants musulmans, ainsi que des juifs réfugiés dans leurs synagogues. La mosquée al-Aqsa fut le théâtre d’une tuerie particulièrement sanglante. Ibn al-Athir écrit :

« Les Francs se ruèrent dans la ville, tuant tous ceux qu'ils y rencontrèrent. Ils massacrèrent plus de 70 000 personnes à la mosquée al-Aqsa, parmi lesquelles un grand nombre d’oulémas et de dévots ayant trouvé refuge dans ce lieu saint. »

Ces récits insistent sur l’horreur du massacre pour souligner la cruauté des croisés, mais également pour galvaniser les musulmans autour de la nécessité de reprendre Jérusalem. La ville, perçue comme l’un des trois lieux saints de l’islam après La Mecque et Médine, devint un symbole de résistance.


Conséquences à court terme : La sidération et la fragmentation

Une réponse lente et désorganisée

La chute de Jérusalem ne provoqua pas immédiatement une mobilisation générale dans le monde musulman. Les divisions entre Fatimides et Seldjoukides, mais aussi entre chefs locaux sunnites, retardèrent la formation d’une réponse coordonnée. Les Fatimides, bien qu’humiliés par la perte de Jérusalem, n’étaient pas en position de lancer une contre-offensive majeure. Les Seldjoukides, quant à eux, étaient engagés dans des luttes internes et face à d’autres menaces.

Cependant, le massacre de Jérusalem et la profanation des lieux saints musulmans alimentèrent une rhétorique de vengeance dans les écrits et discours. La mémoire de cet événement devint un outil de propagande pour mobiliser les populations musulmanes.

Des appels à la revanche

Certains chroniqueurs musulmans, comme Ibn al-Qalanisi à Damas, commencèrent à exhorter les dirigeants musulmans à répondre aux croisades. L'idée de jihād (guerre sainte) se développa progressivement, mais elle ne prit véritablement forme qu’avec l’émergence de chefs comme Zengi et plus tard Saladin, au XIIe siècle.


Conséquences à long terme : La prise de Jérusalem comme catalyseur

Un tournant psychologique

La perte de Jérusalem, et surtout la brutalité des croisés, eut un impact psychologique profond sur les populations musulmanes. Les récits des survivants et des exilés propagèrent l’idée que les croisés étaient des envahisseurs cruels et barbares. Cela contribua à renforcer l’identité musulmane face à une menace extérieure, transcendant parfois les divisions chiites-sunnites.

Le début de la reconquête

La prise de Jérusalem marqua également le début d’une dynamique de reconquête. Bien que celle-ci ne s’intensifie qu’à partir des années 1140, sous l’impulsion de Zengi, puis de son fils Nur ad-Din et enfin de Saladin, elle trouva ses racines dans le choc provoqué par la perte de la ville sainte. Saladin, en particulier, construisit sa légitimité sur la promesse de reprendre Jérusalem, un objectif qu’il accomplit en 1187 lors de la bataille de Hattin.


La mémoire musulmane de la prise de Jérusalem

Une plaie ouverte

La prise de Jérusalem en 1099 est restée un événement traumatique dans la mémoire collective musulmane. Les récits arabes insistent sur la brutalité des croisés, mais aussi sur la nécessité d’une unité islamique pour contrer les envahisseurs. La ville sainte devint un symbole de la résistance musulmane et une cause fédératrice dans les luttes ultérieures.

Une propagande religieuse et politique

Les récits de la prise de Jérusalem furent utilisés comme un outil politique pour justifier la mobilisation militaire et l’unification des forces musulmanes. Les références à la profanation de la mosquée al-Aqsa et au massacre des habitants furent régulièrement évoquées pour rappeler l’importance de Jérusalem dans l’islam et la nécessité de la défendre.


Sources et références

  • Runciman, Steven. Histoire des Croisades. Paris : Tallandier, 1998.
  • France, John. Victory in the East: A Military History of the First Crusade. Cambridge : Cambridge University Press, 1994.
  • Montefiore, Simon Sebag. Jerusalem: The Biography. Londres : Weidenfeld & Nicolson, 2011.
  • Ibn al-Athir, Al-Kamil fi at-Tarikh.
  • Al-Azimi, Chroniques d’Alep.
  • Ibn al-Qalanisi, Histoire de Damas.

Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2014