La défaite écrasante des croisés à la bataille de Hattin le 4 juillet 1187 marque le début de la fin pour le royaume de Jérusalem. Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, et la majeure partie de la noblesse franque sont capturés. Saladin, le sultan ayyoubide, profite de cette victoire pour conquérir rapidement les principales villes côtières et forteresses stratégiques du royaume, empêchant l'arrivée de renforts européens.
Jérusalem, pourtant isolée et vulnérable, est temporairement épargnée. Saladin préfère d'abord consolider ses positions, prenant Saint-Jean-d'Acre, Beyrouth, Ascalon et d'autres places fortes. Ces victoires réduisent considérablement les capacités militaires des croisés.
Balian d’Ibelin, noble échappé de Hattin, obtient un sauf-conduit de Saladin pour rejoindre Jérusalem et secourir sa famille. À son arrivée, il est supplié par les habitants de prendre en charge la défense de la ville. Bien que lié par son serment de neutralité, il accepte sous l'influence du patriarche Héraclius, qui lui promet une absolution.
Jérusalem, envahie par des réfugiés de tout le royaume, manque de ressources, de soldats et d’équipements. Avec moins de 14 chevaliers disponibles, Balian en adoube 60 parmi les bourgeois et écuyers. Il organise une résistance acharnée, rassemblant les fonds et les vivres nécessaires pour préparer le siège inévitable.
Le 20 septembre 1187, l’armée de Saladin, renforcée par des troupes venues de Syrie et d’Égypte, entame le siège. Les forces musulmanes, équipées de trébuchets, de mangonneaux et de projectiles incendiaires, attaquent la ville par la porte de Damas et la tour de David. Cependant, les défenses chrétiennes, bien que limitées, parviennent à repousser les premières assauts.
Le 26 septembre, Saladin déplace son campement vers le mont des Oliviers, un point stratégique dépourvu de grandes portes pour permettre une contre-attaque franque. La pression s'intensifie : les murs sont pilonnés, une brèche est ouverte le 29 septembre, mais les défenseurs repoussent les tentatives d'intrusion. Malgré leur infériorité numérique, les croisés maintiennent une ligne de défense acharnée.
Face à la situation désespérée, Balian rencontre Saladin pour négocier. D'abord inflexible, Saladin accepte finalement une reddition pacifique après que ses troupes échouent à prendre la ville par la brèche. Les termes initiaux prévoient une rançon de 20 besants par homme, 10 pour une femme et 5 pour un enfant. Devant l’incapacité des habitants à payer, les négociations réduisent ce montant à 30 000 besants pour 7 000 habitants.
Le 2 octobre 1187, jour de l’anniversaire de l’ascension de Mahomet, la ville se rend. Saladin offre sa clémence : les habitants qui paient leur rançon sont libres de partir, tandis que les autres sont réduits en esclavage. Al-Adel, frère de Saladin, ainsi que Balian et Héraclius, rachètent de nombreux captifs. Les pèlerinages chrétiens sont autorisés, et le Saint-Sépulcre reste accessible.
La prise de Jérusalem est un coup majeur porté aux croisés et à la chrétienté européenne :
Conséquences pour les croisés :
Les États latins d’Orient, déjà affaiblis, perdent leur centre spirituel et politique. La perte de Jérusalem provoque une onde de choc en Europe, accélérant l’organisation de la Troisième Croisade (1189-1192) sous la direction de Richard Cœur de Lion, Philippe Auguste et Frédéric Barberousse.
Conséquences pour Saladin :
En reprenant Jérusalem, Saladin renforce sa légitimité et sa réputation de leader musulman éclairé. Il restaure les lieux saints islamiques et permet une gestion pacifique de la ville, contrastant avec le massacre des musulmans lors de la prise de Jérusalem en 1099 par les croisés.
Conséquences pour la population :
Les réfugiés se dispersent dans les bastions encore tenus par les croisés, notamment à Tyr et Tripoli. Beaucoup subissent des pillages et des exactions en chemin, aggravant les souffrances des survivants.
La chute de Jérusalem en 1187 symbolise la perte des ambitions croisées en Terre Sainte. Elle marque également un tournant dans les relations entre chrétiens et musulmans, et la montée en puissance d’un idéal unifié sous la bannière de Saladin. En Europe, la nouvelle galvanise les souverains et les populations, lançant une croisade encore plus ambitieuse.
Pour les musulmans, la reconquête de Jérusalem en 1187, menée par Saladin, représente l’apogée d’un mouvement de résistance et de récupération des terres occupées par les croisés depuis 1099. La prise de la Ville Sainte par les croisés près d’un siècle plus tôt avait été marquée par des massacres d'une ampleur inédite, laissant une profonde blessure dans la mémoire collective islamique. La reconquête de Jérusalem était donc autant un impératif religieux qu’un symbole politique et stratégique.
Saladin (Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf ibn Ayyūb), sultan ayyoubide, est présenté dans les chroniques orientales comme un leader pieux, juste et déterminé à unifier le monde musulman. Avant 1187, il avait consolidé son pouvoir en Égypte et en Syrie, éliminé les divisions internes, et affronté les croisés dans une série de batailles stratégiques. Le succès à la bataille de Hattin est perçu comme un tournant divinement inspiré, une preuve de la justesse de sa cause.
Les sources musulmanes mettent en lumière l’importance de la notion de jihad dans les campagnes de Saladin. Le jihad, dans ce contexte, était à la fois une guerre militaire contre les croisés et une lutte spirituelle pour restaurer les lieux saints sous domination islamique. Jérusalem, connue sous le nom d'al-Quds (La Sainte), était particulièrement sacrée pour les musulmans en raison de la mosquée al-Aqsa et du Dôme du Rocher, associés à l'ascension du Prophète Mahomet lors du voyage nocturne (Isra et Mi'raj).
Les chroniqueurs comme Ibn al-Athîr et Imad al-Din al-Isfahani décrivent Saladin comme un dirigeant motivé par la foi, cherchant à purifier Jérusalem des influences étrangères tout en respectant les principes de justice et de magnanimité énoncés dans la loi islamique.
Selon les récits orientaux, Saladin adopte une approche stratégique et pragmatique pour s’emparer de Jérusalem. Après Hattin, il préfère affaiblir les croisés en prenant leurs places fortes côtières et en isolant Jérusalem de tout soutien extérieur. Cette tactique vise à minimiser les effusions de sang lors de l’assaut final contre la Ville Sainte, tout en consolidant les positions musulmanes.
Le siège de Jérusalem est présenté comme une confrontation inévitable mais mesurée. Saladin, fidèle à son image de chef éclairé, cherche d’abord à négocier une reddition pacifique. Cette approche contraste avec l’assaut brutal des croisés en 1099. Les chroniques musulmanes insistent sur la supériorité tactique de Saladin et sur l’endurance de ses forces face à une résistance acharnée des croisés.
La reddition de Jérusalem, après des jours de combats et de négociations, est décrite dans les récits orientaux comme un moment clé de magnanimité de la part de Saladin. Contrairement aux croisés en 1099, qui avaient massacré la population musulmane et juive, Saladin choisit une approche humaine. Les habitants sont autorisés à racheter leur liberté, et ceux qui ne peuvent pas payer sont pour la plupart libérés par la générosité du sultan et de son entourage.
Imad al-Din al-Isfahani, secrétaire et chroniqueur de Saladin, souligne l’image pieuse et chevaleresque du sultan. Il raconte que Saladin a voulu éviter un bain de sang dans une ville aussi sacrée et a insisté pour que les lieux saints chrétiens soient respectés. Cette attitude est perçue comme un acte de justice divine et un triomphe moral de l’islam sur les pratiques violentes des croisés.
Les récits orientaux mettent également en avant l’implication des habitants musulmans de la région dans la campagne de Jérusalem. Les troupes de Saladin comprenaient des soldats d’Égypte, de Syrie et même de régions plus lointaines. La reconquête de Jérusalem était vue comme une cause unificatrice, transcendante des divisions ethniques ou politiques. Pour les populations locales, la libération de la ville était un moment de justice après des décennies de domination croisée.
Pour les chroniqueurs musulmans, la prise de Jérusalem en 1187 est à la fois un triomphe militaire et une victoire spirituelle. Saladin est présenté comme l’incarnation des idéaux islamiques de justice, de piété et de leadership. La purification de la mosquée al-Aqsa avec de l’eau de rose et la restauration des lieux saints musulmans symbolisent la restauration de l’ordre divin dans la ville.
L’événement marque également un tournant dans l’équilibre des pouvoirs au Levant. En reprenant Jérusalem, Saladin consolide son autorité sur l’ensemble du monde musulman et affaiblit considérablement les croisés, tout en posant les bases d’une cohabitation pacifique avec les chrétiens restants.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2014
Sources et références :