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Le Siège d’Antioche (1097-1098) : Une Légende de la Première Croisade.

Une cité stratégique sous domination seldjoukide

Antioche, prise aux Byzantins par les Seldjoukides en 1085, était une forteresse stratégique. Ses imposantes fortifications, construites sous Justinien, avaient été renforcées et restaient presque intactes après la prise de la ville par trahison. Lorsqu'il devint gouverneur en 1088, Yaghi Siyan savait que la ville, située sur la route vers Jérusalem, serait une cible majeure pour les croisés. En prévision de leur arrivée, il chassa les populations grecques et arméniennes et chercha vainement du soutien auprès des États musulmans voisins.

L’arrivée des croisés à Antioche en octobre 1097 marque le début d’un siège éprouvant, autant pour les assiégeants que pour les défenseurs. Cette confrontation, longue et sanglante, est emblématique des épreuves de la Première Croisade.


Le déroulement du siège : Entre famine, trahisons et révélations divines

L’installation des croisés et les premières confrontations

En octobre 1097, les croisés, dirigés par Godefroy de Bouillon, Bohémond de Tarente et Raymond IV de Toulouse, encerclent Antioche. Ils se positionnent autour des différentes portes de la ville, mais la porte Saint-Georges reste accessible, permettant aux assiégés de se ravitailler.

Le siège initial se prolonge pendant l’hiver, avec des tentatives sporadiques d’assauts et de sorties. Le manque de coordination entre les chefs croisés empêche un assaut décisif, tandis que les conditions climatiques et le manque de vivres entraînent famine et désertions parmi les troupes. En décembre, une tentative de sortie des Seldjoukides est repoussée par Raymond, mais elle n’aboutit pas à la prise de la ville.

La famine et le cannibalisme : Une horreur mémorable

L’hiver 1097-1098 est particulièrement rude. La famine s’installe dans le camp croisé, conduisant à des comportements désespérés. Des cas de cannibalisme sont rapportés, notamment par les Tafurs, une troupe de croisés pauvres et indisciplinés. Ces pratiques horribles, bien que rares, marquent profondément les esprits et sont même utilisées comme arme psychologique pour effrayer les défenseurs de la ville.

Raoul de Caen et Albert d’Aix rapportent que des croisés auraient mangé les cadavres de leurs ennemis, notamment lors du siège de Maarat. Ces récits, bien qu’amplifiés par les chroniqueurs, témoignent des conditions extrêmes endurées par les croisés.

L’espoir renaît : Renforts et stratégies

En mars 1098, des renforts anglais arrivent, apportant du matériel pour construire des machines de siège. L’étau se resserre autour d’Antioche, et la porte Saint-Georges est bloquée, coupant les derniers approvisionnements des assiégés. Simultanément, les croisés reçoivent une ambassade des Fatimides d’Égypte, cherchant à conclure une trêve. Cependant, les croisés refusent tout compromis qui exclut Jérusalem.

La situation prend un tournant décisif lorsque Bohémond entre en contact avec Firouz, un garde arménien mécontent de Yaghi Siyan. Firouz promet d’ouvrir les portes de la ville en échange de garanties personnelles.

La prise de la ville

Le 2 juin 1098, profitant de la trahison de Firouz, les croisés escaladent les remparts et s’emparent d’Antioche. Les défenseurs seldjoukides sont massacrés, y compris leur gouverneur, Yaghi Siyan. Cependant, la citadelle reste entre les mains des troupes turques, et la ville est désormais assiégée par une armée massive dirigée par Kerbogha, atabeg de Mossoul.

La découverte de la Sainte Lance

Alors que la situation semble désespérée, un moine, Pierre Barthélémy, prétend avoir eu une vision divine lui révélant l’emplacement de la Sainte Lance, une relique censée avoir percé le flanc du Christ. Sa découverte dans la cathédrale d’Antioche galvanise les croisés. Bien que certains chefs, comme Adhémar de Monteil, restent sceptiques, l’enthousiasme qu’elle suscite redonne espoir à l’armée chrétienne.


La bataille d’Antioche : Une victoire éclatante

Le 28 juin 1098, les croisés, désormais renforcés moralement, sortent de la ville pour affronter l’armée de Kerbogha. Ce dernier, surpris par leur audace, échoue à coordonner ses troupes, divisées par des querelles internes. Les croisés, organisés en six divisions, attaquent avec une énergie renouvelée.

La bataille se transforme rapidement en débâcle pour les forces musulmanes. Les divisions internes de l’armée de Kerbogha et l’élan irrésistible des croisés conduisent à une victoire totale pour ces derniers. La citadelle se rend peu après à Bohémond, qui revendique Antioche pour lui-même.


Conséquences : Une victoire aux enjeux complexes

Pour les croisés

La prise d’Antioche est une victoire cruciale, consolidant leur contrôle sur le nord de la Syrie. Cependant, les dissensions entre chefs, notamment entre Bohémond et Raymond, compromettent l’unité de l’expédition. Bohémond fonde la principauté d’Antioche, refusant de la rendre aux Byzantins comme convenu initialement.

Pour les musulmans

La défaite de Kerbogha affaiblit les Seldjoukides et expose les divisions internes du monde musulman, facilitant la progression des croisés vers Jérusalem. Cependant, cette bataille marque aussi le début d’une résistance plus organisée face aux croisés dans les décennies suivantes.

Pour Byzance

L’absence de soutien actif de l’empereur Alexis affaiblit les relations entre Byzantins et croisés. Bohémond exploite cette situation pour justifier sa mainmise sur Antioche, accentuant les tensions entre Orient et Occident.



Sources et références

  • Runciman, Steven. Histoire des Croisades. Paris : Tallandier, 1998.
  • Grousset, René. L'Épopée des Croisades. Paris : Perrin, 1939.
  • France, John. Victory in the East: A Military History of the First Crusade. Cambridge : Cambridge University Press, 1994.

Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2014