Au VIIIe siècle, les relations entre Byzance et le califat abbasside oscillent entre conflits intenses et périodes de trêve. Après les désordres internes ayant marqué la fin du califat omeyyade et l'établissement des Abbassides, les Byzantins, dirigés par Constantin V, reprennent temporairement l'initiative militaire dans les années 770. Les campagnes byzantines en territoire arabe, notamment sous Michel Lachanodrakôn, infligent de lourdes pertes aux forces abbassides et ébranlent leur position en Anatolie.
Face à ces revers, le calife Al-Mahdi lance une série d'offensives pour restaurer la suprématie arabe et démontrer la puissance abbasside. Après plusieurs échecs tactiques et une défaite majeure près de Césarée en 781, Al-Mahdi décide de préparer une expédition massive pour 782, confiée à son fils, Hâroun al-Rachîd. Cette campagne, la plus grande de la seconde moitié du VIIIe siècle, mobilise près de 95 000 soldats et vise à réaffirmer la domination abbasside sur la frontière orientale byzantine.
Le 9 février 782, Hâroun quitte Bagdad à la tête de l'armée abbasside, traversant les monts Taurus via les Portes ciliciennes pour envahir l’Asie Mineure. Son objectif est de désorganiser les défenses byzantines, s'emparer de positions stratégiques, et infliger des dommages économiques significatifs.
L’armée abbasside se divise en plusieurs détachements pour couvrir un large front :
Les Byzantins, sous l'impératrice régente Irène et son principal ministre Staurakios, adoptent une stratégie d'évitement des confrontations directes. Ils choisissent de frapper les forces arabes isolées et d'attendre que leur avance les rende vulnérables. Malgré cette tactique, les Arabes remportent des succès initiaux, notamment contre Lachanodrakôn et ses Thracésiens, subissant toutefois des pertes importantes.
Hâroun atteint la cité de Chrysopolis, en face de Constantinople, mais manque de navires pour traverser le Bosphore. Son objectif semble être une démonstration de force plutôt qu’une véritable attaque contre la capitale impériale. Cependant, sa situation devient précaire en raison des échecs de ses lieutenants et des menaces sur ses lignes de communication.
Un retournement inattendu se produit lorsqu’un général byzantin d'origine arménienne, Tatzatès, trahit Irène en concluant un accord secret avec Hâroun. Profitant de cette trahison, Hâroun capture les principaux négociateurs byzantins, dont Staurakios, lors de pourparlers. En position de force, il impose à Irène un traité humiliant.
Les termes de la trêve de trois ans incluent :
En septembre 782, Hâroun retourne à Bagdad, emportant un riche butin et un immense prestige, mais la campagne reste coûteuse en ressources humaines et matérielles.
Le traité est une humiliation pour l'impératrice Irène, mais il lui permet de stabiliser sa position interne. Profitant de la trêve, elle renforce son armée et purge les généraux fidèles à l’ancienne administration iconoclaste de Constantin V. Cette période de répit permet également à Byzance de concentrer ses efforts sur les Balkans et de consolider son contrôle sur les populations slaves.
La campagne de 782 consacre la puissance militaire et organisationnelle des Abbassides, renforçant leur image de domination dans le monde musulman. Cependant, elle illustre également les limites de leurs capacités à maintenir des conquêtes profondes en territoire byzantin, les pertes humaines et matérielles ayant réduit leur capacité à poursuivre l’offensive immédiatement.
Malgré la trêve, des raids sporadiques continuent jusqu’en 785, marquant une escalade des tensions. Les Byzantins reprennent l’initiative en 786, détruisant la forteresse d’Hadath, mais l’avènement d’Hâroun al-Rachîd en 786 relance la pression abbasside sur Byzance. En 798, Irène est contrainte de demander une nouvelle trêve, témoignant de la difficulté de maintenir un équilibre face à la puissance arabe.
Auteur : Stéphane Jeanneteau - Juin 2012