La bataille d’Arcadiopolis en 970 constitue un exemple brillant de la stratégie militaire byzantine face à une armée rus’ et ses alliés numériquement supérieurs. Dans le contexte de l’expansion des Rus’ et de la tentative de l’empire byzantin de contenir cette menace, cette victoire démontre l’importance de la discipline, de la tactique et de l’intelligence sur le champ de bataille.
Depuis 927, la paix entre les Byzantins et les Bulgares est garantie par le paiement d’un tribut. Cependant, en 965 ou 966, l’empereur Nicéphore II Phocas met fin à cette entente, refusant de payer le tribut et menant des raids contre les Bulgares. Pour affaiblir ces derniers, Nicéphore fait appel aux Rus’ dirigés par Sviatoslav, chef ambitieux qui envahit la Bulgarie en 968. Après avoir brièvement quitté la région, Sviatoslav revient en 969, s’empare de la Bulgarie et en fait une base pour menacer les Byzantins.
Alors que les Rus’ consolident leur emprise sur la Bulgarie, Sviatoslav nourrit des ambitions sur les Balkans et exige de Byzance l’abandon de ses territoires européens. Cependant, l’assassinat de Nicéphore II Phocas en 969 et l’accession au trône de Jean Ier Tzimiskès modifient la donne. Le nouvel empereur mobilise ses forces pour faire face à la double menace des Rus’ et des troubles internes causés par la puissante famille des Phocas.
En 970, une armée rus’, accompagnée de contingents bulgares, petchénègues et magyars, franchit les montagnes balkaniques, ravage la Thrace et pille Philippopolis. L’armée byzantine, dirigée par Bardas Sklèros, se regroupe à Arcadiopolis (aujourd’hui Lüleburgaz, en Turquie). Les Rus’ campent à proximité, confiants en leur supériorité numérique.
Connaissant la taille et la composition hétérogène de l’armée adverse, Sklèros élabore un plan basé sur la discipline et l’embuscade. Il divise ses forces en trois groupes : deux détachements se placent en embuscade dans les bois, tandis que le troisième, plus petit, doit attirer les Rus’ dans un piège.
Le contingent principal byzantin, composé de 2 à 3 000 hommes, avance contre les Petchénègues, un élément clé de l’armée rus’. Ces derniers poursuivent les Byzantins qui feignent une retraite ordonnée, les éloignant ainsi de l’armée principale. Cette tactique met à l’épreuve la discipline des Byzantins, mais finit par isoler les Petchénègues.
Lorsque les Petchénègues atteignent le lieu de l’embuscade, les deux groupes byzantins cachés attaquent simultanément sur les flancs et l’arrière. Encerclés et coupés de leur soutien, les Petchénègues paniquent et fuient. L’un de leurs chefs tente de rallier ses hommes, mais il est tué par Bardas Sklèros dans un combat singulier.
La panique se propage au contingent bulgare qui accompagne les Petchénègues, entraînant une déroute massive. Les pertes parmi les Rus’ et leurs alliés sont importantes, bien que les chiffres exacts varient selon les sources. Les Byzantins, malgré leur infériorité numérique, subissent peu de pertes, renforçant leur réputation de maîtres de la tactique militaire.
Malgré cette victoire éclatante, l’empereur Jean Ier Tzimiskès ne peut immédiatement exploiter ce succès. La révolte de Bardas Phocas mobilise ses forces, empêchant une offensive décisive contre les Rus’. Ces derniers continuent à ravager la Thrace et la Macédoine, profitant de l’absence de la principale armée byzantine.
Au printemps 971, après avoir écrasé la révolte de Bardas Phocas, Jean Ier Tzimiskès prend personnellement la tête de son armée. Il envahit la Bulgarie, capture la capitale Preslav et fait prisonnier le tsar bulgare Boris II. Les Rus’, retranchés dans la forteresse de Dorystolon, subissent un siège de trois mois avant d’accepter leur défaite. Sviatoslav est contraint de quitter la région, marquant la fin de la menace immédiate.
La bataille d’Arcadiopolis met en lumière l’ingéniosité tactique des Byzantins face à des ennemis numériquement supérieurs. Elle marque également une étape dans la reprise en main des Balkans par Byzance, même si la région reste un foyer d’instabilité.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Date : Décembre 2012