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La bataille de Bulgarophygon (896) : Un triomphe bulgare face à l’Empire byzantin.

La bataille de Bulgarophygon en 896 constitue l’un des épisodes marquants des affrontements entre le Premier Empire bulgare et Byzance sous le règne de Siméon Ier. Cet affrontement s’inscrit dans un contexte de rivalités politiques, économiques, et culturelles. Il marque un tournant dans l’affirmation de la Bulgarie comme puissance dominante des Balkans, tout en exposant les failles de l’Empire byzantin.


Contexte : Une montée en puissance de la Bulgarie

Sous le règne de Boris Ier (852-889), le Premier Empire bulgare traverse une phase de transformations majeures qui consolident sa position en tant que puissance des Balkans. Ces changements touchent à la fois à la sphère religieuse, linguistique et politique, établissant une identité nationale cohérente et distincte, tout en renforçant le contrôle centralisé du khan sur son territoire.

Christianisation et réforme religieuse

La christianisation de la noblesse proto-bulgare marque un tournant décisif. Abandonnant le tengrisme, Boris Ier adopte le christianisme, non seulement comme religion personnelle, mais aussi comme instrument politique pour unifier les Proto-Bulgares et les Slaves sous une même foi. Cette décision, inspirée en partie par des pressions byzantines, modifie profondément la société bulgare, favorisant son intégration dans le monde chrétien tout en instaurant une nouvelle légitimité au pouvoir central.

Toutefois, l’influence byzantine qui accompagne cette christianisation suscite des tensions au sein de la noblesse bulgare, préoccupée par une perte d’autonomie culturelle et politique. Boris Ier agit avec prudence pour contenir ces préoccupations, notamment après l’échec de la tentative de retour au tengrisme de son fils aîné, Vladimir.

Le concile de Preslav (893)

En 893, le concile de Preslav consacre une réforme majeure qui répond aux inquiétudes de la noblesse et renforce l’indépendance culturelle de la Bulgarie. Les décisions prises lors de ce concile incluent :

  • Le bannissement du clergé grec, remplacé par des prêtres slavons formés localement.
  • L’adoption du vieux-slave comme langue officielle pour la liturgie et l’administration, en lieu et place du grec.

Ces mesures, en renforçant l’identité culturelle bulgare, marquent également un rejet de l’hégémonie byzantine. La Bulgarie devient un foyer du slavisme chrétien, accueillant les disciples de Cyrille et Méthode, qui contribuent au développement de la littérature et de l’église médiévales bulgares. Preslav se transforme en un centre intellectuel et spirituel de premier plan.

Montée des tensions avec Byzance

Les réformes de Boris Ier et de son fils Siméon Ier, successeur désigné, inquiètent l’Empire byzantin. Sous le règne de Léon VI le Sage, Byzance cherche à contenir l’expansion culturelle et politique de la Bulgarie, craignant que son influence sur les Slaves et les Valaques chrétiens ne s’amenuise.

Pour affaiblir l’économie bulgare, Byzance déplace en 894 le principal marché des biens bulgares de Constantinople à Thessalonique. Cette décision, qui perturbe gravement les routes commerciales bulgares, est perçue comme une provocation directe. Constantinople, carrefour des échanges entre l’Europe et l’Asie, représentait un débouché majeur pour les marchandises bulgares. Le déplacement vers Thessalonique réduit considérablement les revenus des marchands et, par extension, ceux du royaume.

Siméon Ier, désormais khan de Bulgarie, exploite cette situation pour légitimer une offensive militaire. Interprétant ce changement comme une violation des accords économiques entre les deux puissances, il déclare la guerre à Byzance en 894. Cet événement marque le début d’un conflit non seulement commercial, mais également stratégique et culturel, opposant deux puissances cherchant à dominer les Balkans.


Les premiers affrontements : L’intervention des Hongrois

La guerre entre la Bulgarie et l’Empire byzantin, initiée en 894, connaît une escalade rapide. Siméon Ier, dirigeant du Premier Empire bulgare, commence par remporter des succès notables sur le terrain, mais il est confronté à une riposte byzantine habile. Exploitant leur expertise diplomatique, les Byzantins orchestrent l’intervention des Hongrois, bouleversant temporairement l’équilibre militaire en leur faveur.


Les premières victoires bulgares

Dès le début du conflit, l’armée bulgare inflige de lourdes pertes aux forces byzantines. Sous le commandement de Procope Krénitès et Kourtikios, les Byzantins tentent de résister dans la région de Thrace. Cependant, les armées bulgares, bien organisées et motivées par la détermination de Siméon Ier, écrasent leurs adversaires lors d’une série de batailles. Les deux généraux byzantins sont tués, et les forces bulgares progressent profondément en territoire byzantin.

Ces victoires fragilisent la position byzantine, mais Léon VI, conscient des limites de son armée, recourt à une stratégie diplomatique sophistiquée pour retourner la situation. Reconnaissant la vulnérabilité de la Bulgarie sur son flanc nord, il s’efforce de détourner l’attention de Siméon en recrutant les Hongrois comme alliés.


L’intervention des Hongrois : Une menace sur le flanc nord

À cette époque, les Hongrois (Magyars) vivent dans les steppes au nord du Danube, près de la mer Noire. Leur mode de vie nomade et leur maîtrise des tactiques de cavalerie en font une force redoutable. Léon VI parvient à convaincre les Hongrois d’attaquer la Bulgarie en échange de récompenses, notamment des terres et des richesses. Les Byzantins transportent les troupes hongroises sur la rive sud du Danube à l’aide de leur marine, malgré les efforts des Bulgares pour obstruer le fleuve avec des chaînes et des arbres abattus.

Les Hongrois lancent une attaque rapide et dévastatrice contre la Bulgarie en Paristrie (actuelle Dobroudja). Surpris par cette offensive sur un second front, Siméon est contraint de déplacer ses forces depuis la Thrace vers le nord. Cependant, les Bulgares, peu préparés à affronter des tactiques hongroises basées sur des raids rapides et imprévisibles, subissent une défaite cuisante. Siméon est forcé de battre en retraite, abandonnant plusieurs territoires et laissant les Hongrois piller la Mésie. Ces pillages atteignent même les environs de Preslav, la capitale bulgare, constituant une grave humiliation pour Siméon.


Réponse de Siméon : L’alliance avec les Petchénègues

Face à cette menace, Siméon Ier ne tarde pas à réagir. Il utilise ses talents de négociateur pour s’allier avec les Petchénègues, un autre peuple cavalier des steppes pontiques. Ce partenariat stratégique permet à Siméon de contrer efficacement les incursions hongroises. Tandis qu’il regagne du temps grâce à des négociations diplomatiques avec les Byzantins, il prépare minutieusement une contre-offensive.

La confrontation finale entre les forces bulgares et hongroises a lieu au nord du Danube. Dans une bataille décisive, les Hongrois subissent une défaite écrasante, perdant leur capacité à menacer la Bulgarie. Cet échec pousse les Hongrois à migrer vers l’ouest, où ils s’établissent peu après en Pannonie, posant les bases du futur royaume de Hongrie.


Conséquences pour la Bulgarie

  • Un défi surmonté : Bien que Siméon ait été pris au dépourvu par l’intervention des Hongrois, sa capacité à mobiliser des alliances et à réorganiser ses forces lui permet de transformer une crise majeure en victoire stratégique.
  • Affaiblissement temporaire : La Bulgarie subit des pertes importantes, notamment en hommes et en ressources. Les pillages hongrois causent des dommages économiques et symboliques, mais Siméon parvient à restaurer l’autorité bulgare rapidement.
  • Une consolidation du pouvoir : L’échec des Hongrois renforce la légitimité de Siméon auprès de son peuple, qui reconnaît son habileté à surmonter les défis. Cette victoire marque également une étape clé dans l’affirmation de la Bulgarie face à ses voisins.

Une étape cruciale vers Bulgarophygon

L’intervention des Hongrois, orchestrée par Byzance, illustre l’efficacité de la diplomatie byzantine, mais également la résilience de Siméon Ier. Cet épisode met en lumière les défis auxquels la Bulgarie doit faire face dans sa quête de domination des Balkans. Après avoir neutralisé la menace hongroise, Siméon est prêt à se concentrer pleinement sur sa confrontation avec l’Empire byzantin, préparant le terrain pour la bataille décisive de Bulgarophygon en 896.


La bataille de Bulgarophygon : Une revanche éclatante

Après avoir repoussé la menace hongroise, Siméon Ier se tourne à nouveau vers Byzance pour poursuivre son objectif de domination dans les Balkans. La bataille de Bulgarophygon, survenue à l’été 896, incarne l’une des victoires les plus éclatantes du Premier Empire bulgare face à l’Empire byzantin. Ce triomphe confirme la montée en puissance de la Bulgarie et affaiblit durablement son rival byzantin.


Un contexte stratégique favorable à la Bulgarie

La Bulgarie sort renforcée de sa victoire contre les Hongrois. Siméon Ier, ayant neutralisé cette menace sur son flanc nord, peut concentrer toutes ses forces contre Byzance. Pendant ce temps, l’Empire byzantin est dans une position délicate. En Anatolie, les troupes impériales sont engagées contre les Arabes, limitant les ressources disponibles pour défendre la Thrace contre les Bulgares. L’armée byzantine, déjà affaiblie par les pertes précédentes, manque de leadership : Léon Katakalon, un domestique des Scholes inexpérimenté, est nommé commandant, un choix qui s’avérera désastreux.

Siméon tire parti de ces circonstances pour lancer une offensive en Thrace. Il progresse rapidement, ravageant les terres et forçant les Byzantins à engager une bataille près de Bulgarophygon (aujourd’hui Babaeski, en Turquie).


La bataille : Une victoire écrasante

Les deux armées se rencontrent sur les plaines de Bulgarophygon. L’armée byzantine, bien que numériquement importante, souffre d’un moral bas et d’un manque de coordination. En face, les forces bulgares, dirigées par Siméon, bénéficient d’une organisation supérieure et d’une stratégie claire.

L’assaut bulgare

Siméon concentre l’attaque sur les points faibles des lignes byzantines, utilisant sa cavalerie lourde avec une efficacité redoutable. Les Byzantins, mal préparés à une telle intensité de combat, s’effondrent rapidement. Les troupes de Léon Katakalon, désorganisées, ne parviennent pas à opposer une résistance cohérente.

Une déroute totale

La bataille tourne rapidement à l’avantage des Bulgares. L’armée byzantine est anéantie, subissant des pertes considérables, y compris de nombreux officiers de haut rang comme le protovestiarite Théodiosius. Léon Katakalon, lui, parvient à s’échapper de justesse avec une poignée de survivants. Cependant, l’armée byzantine n’est plus en mesure de défendre efficacement la Thrace.



 

Conséquences immédiates : Une avancée jusqu’à Constantinople

Fort de sa victoire, Siméon poursuit son offensive. Ses troupes avancent profondément en territoire byzantin, ravageant villes et villages sur leur passage. L’objectif ultime semble être Constantinople, symbole du pouvoir byzantin. Les Bulgares atteignent les murs de la capitale impériale, mettant la ville sous pression.

La négociation et le traité de paix

Face à la menace, l’empereur Léon VI cherche à éviter une confrontation directe à Constantinople, où les défenses restent solides malgré l’épuisement de l’armée impériale. Il propose des négociations, que Siméon accepte, satisfait de son succès militaire.

Le traité de paix signé peu après marque une victoire politique majeure pour la Bulgarie :

  • Tribut annuel : Byzance s’engage à verser un tribut annuel à la Bulgarie, un acte symbolique de soumission.
  • Cession territoriale : Les Byzantins abandonnent des territoires stratégiques en Thrace, renforçant la position bulgare dans la région.

Impact stratégique et politique

Pour la Bulgarie

La bataille de Bulgarophygon et le traité qui suit marquent l’apogée de la Bulgarie sous Siméon Ier. Cette victoire :

  • Renforce l’autorité de Siméon sur les Balkans, affirmant son rôle de puissance dominante face à Byzance.
  • Offre un avantage économique grâce au tribut et aux nouvelles terres, soutenant les ambitions expansionnistes de Siméon.
  • Accroît le prestige de la Bulgarie en tant qu’État chrétien fort et indépendant, rivalisant avec l’Empire byzantin.

Pour Byzance

La défaite de Bulgarophygon est un coup dur pour l’Empire byzantin, révélant ses faiblesses militaires et diplomatiques :

  • La perte de la Thrace expose davantage Constantinople à de futures attaques bulgares.
  • Le tribut annuel affaiblit les finances impériales, déjà mises à mal par les conflits sur d’autres fronts.
  • L’échec de Léon VI face à Siméon ternit son image, fragilisant sa position politique.

Analyse : Une revanche éclatante et une domination affirmée

La bataille de Bulgarophygon illustre la capacité de Siméon à exploiter les faiblesses de ses ennemis tout en maximisant les forces de son propre royaume. Sa victoire repose sur une stratégie militaire précise, un leadership fort et une vision politique ambitieuse.

Si Byzance reste une puissance majeure, la Bulgarie de Siméon affirme sa supériorité dans les Balkans. Cette victoire n’est pas seulement militaire, mais aussi symbolique, renforçant l’idée d’une Bulgarie comme héritière potentielle de l’autorité impériale byzantine dans la région.


Conclusion : Une étape clé vers la suprématie bulgare

La bataille de Bulgarophygon constitue une revanche éclatante pour la Bulgarie après les défis posés par l’intervention des Hongrois. Ce triomphe marque une étape majeure dans la montée en puissance de Siméon Ier, dont l’objectif ultime de rivaliser avec Constantinople se précise de plus en plus. La Bulgarie est désormais la puissance dominante des Balkans, et Byzance, affaiblie, doit composer avec ce voisin ambitieux.


Conclusion : Une victoire décisive pour Siméon Ier

La bataille de Bulgarophygon marque une étape décisive dans l’histoire des relations entre la Bulgarie et Byzance. Elle témoigne de la détermination de Siméon Ier à établir la suprématie bulgare dans les Balkans, tout en soulignant les faiblesses structurelles de l’Empire byzantin. Si la paix obtenue après la bataille stabilise temporairement la région, elle ne met pas fin à l’ambition de Siméon de rivaliser avec Constantinople, ambition qui culmine avec la bataille d’Anchialos en 917.

Sources et références

  • Treadgold, W. T. A History of the Byzantine State and Society. Stanford University Press, 1997.
  • Fine, J. V. A. The Early Medieval Balkans: A Critical Survey from the Sixth to the Late Twelfth Century. University of Michigan Press, 1983.
  • Ostrogorsky, G. History of the Byzantine State. Rutgers University Press, 1969.
  • Al-Tabari. History of Prophets and Kings.

Auteur : Stéphane Jeanneteau, Octobre 2012