3 min lu
La bataille de Jengland (851) : Une victoire décisive pour la Bretagne.

Contexte historique : Vers une Bretagne indépendante

Après avoir respecté la paix conclue avec Charles le Chauve en 846, Nominoë relance l’offensive en 849, cherchant à affirmer l’indépendance de la Bretagne. Il s’attaque aux structures ecclésiastiques favorables aux Francs, dépose les évêques fidèles à l’archevêque de Tours et les remplace par des partisans bretons. Ses succès militaires en 850, notamment la reddition de Rennes et Nantes, permettent aux Bretons de s’avancer jusqu’au Maine.

Nominoë meurt subitement en 851 près de Vendôme alors qu’il projette de conquérir Chartres. Son fils, Erispoë, reprend le commandement de l’armée bretonne et poursuit l’offensive en alliance avec Lambert II, un Franc dépossédé du comté de Nantes.

Charles le Chauve, inquiet de la progression bretonne, convoque l’ost royal, renforcé par un contingent de Saxons envoyé par son frère Louis le Germanique. Les deux armées s’affrontent à Jengland, près de Beslé, en août 851.


La bataille

Les forces en présence

Les effectifs précis des deux camps restent incertains. L’armée franque, renforcée par des mercenaires saxons, compte probablement plusieurs milliers d’hommes. Les Bretons, bien que moins nombreux, compensent par leur mobilité et leur maîtrise des tactiques de harcèlement.

Déroulement

La bataille dure trois jours. Charles, conscient de la mobilité de la cavalerie bretonne, place les mercenaires saxons en première ligne pour briser les charges ennemies. Cependant, les Bretons utilisent des tactiques innovantes :

  • Harceler à distance : Armés de javelots, les Bretons alternent charges rapides, débandades et feintes, incitant les Francs à se disperser.
  • Encerclement : Lorsque des troupes franques se détachent du corps principal, les Bretons les isolent pour les détruire.

Malgré leur discipline, les Francs subissent des pertes importantes en hommes et montures. Charles, voyant sa ligne brisée, s’enfuit durant la nuit, abandonnant son camp et son vestiaire royal. Le lendemain, l’armée franque, démoralisée par l’absence de son roi, se désorganise complètement, permettant aux Bretons de s’emparer du camp et de massacrer les fuyards.


Conséquences

La paix d’Angers

À l’issue de cette victoire, Erispoë impose des négociations à Charles le Chauve. Selon les Annales de Saint-Bertin, un accord est conclu à Angers :

  • Charles reconnaît Erispoë comme roi de Bretagne, lui concédant les territoires de Rennes, Nantes, et le Pays de Retz.
  • En échange, Erispoë accepte de rétablir certains évêques francs, comme Actard à Nantes, et de maintenir une relation nominale de suzeraineté avec Charles.

Ce traité fixe les frontières de la Bretagne et marque un tournant dans les relations entre les Francs et les Bretons.


Héritage

Une Bretagne à son apogée

La victoire de Jengland et le traité d’Angers établissent la Bretagne comme un royaume indépendant sous Erispoë. Cette dynamique expansionniste est poursuivie par Salomon, successeur d’Erispoë, qui agrandit encore le royaume jusqu’à atteindre son extension maximale en 868 avec l’acquisition du Cotentin, de l’Avranchin et des îles Anglo-Normandes.

Une paix fragile

Malgré cette reconnaissance, la paix reste fragile. La Bretagne subit des incursions vikings de plus en plus fréquentes, tandis que les tensions entre Francs et Bretons se ravivent périodiquement. Ces conflits culmineront avec la fragmentation du royaume breton après la mort d’Alain le Grand en 907, permettant aux Normands de conquérir temporairement la Bretagne en 933.

Des frontières durables

Après la reconquête par Alain II de Bretagne, les frontières établies par le traité d’Angers en 851 deviendront, à quelques variations près, celles de la Bretagne historique jusqu’à l’union avec la France au XVIe siècle.


Sources et Références

  • Pierre Riché, Les Carolingiens : Une famille qui fit l’Europe.
  • Arthur de La Borderie, Histoire de la Bretagne.
  • Annales de Saint-Bertin, IXe siècle.
  • Ferdinand Lot, La Fin du Monde Antique et le Début du Moyen Âge.

Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2011.