Depuis la conquête de la Gaule par Clovis Ier en 511, les Francs avaient dominé la majeure partie du territoire, à l’exception de certaines régions comme la Bretagne, la Provence, et la Septimanie. Après la mort de Clovis, ses descendants se partagent le royaume, entraînant près de deux siècles de guerres internes et d’instabilité politique.
Au cours de cette période, le pouvoir réel passe progressivement des rois mérovingiens, réduits à des figures symboliques, aux maires du palais, véritables administrateurs et chefs militaires. Parmi eux, deux figures émergent : Ébroïn, maire du palais de Neustrie, et Pépin de Herstal, maire du palais d’Austrasie. Ces deux royaumes rivaux, avec leurs capitales respectives à Metz pour l’Austrasie et Paris/Soissons pour la Neustrie, s’affrontent pour la suprématie dans le monde franc.
En 679, Ébroïn et Pépin de Herstal s’opposent violemment, notamment après que l’Austrasie a proclamé Dagobert II roi sans l’accord de Neustrie. Pépin subit plusieurs revers militaires, notamment à Laon en 680 et à Namur, mais il parvient à reconstituer ses forces.
En 687, Pépin franchit le fleuve Somme et les marais de l’Omignon pour affronter l’armée de Berchaire, maire du palais de Neustrie sous le règne du roi mérovingien Thierry III. La bataille a lieu près de Tertry, un lieu stratégique pour le contrôle des voies de communication entre les deux royaumes.
La confrontation entre les deux armées marque un tournant dans les luttes entre Austrasie et Neustrie. Pépin, malgré des conditions géographiques défavorables (franchissement de la Somme et des marais), déploie une stratégie militaire efficace. L’armée de Berchaire est mise en déroute.
La victoire austrasienne consacre Pépin comme le leader incontesté des Francs, bien qu’il choisisse de ne pas usurper le trône mérovingien. En laissant Thierry III sur le trône, il prend les titres de Dux et Princeps Francorum (duc et prince des Francs), consolidant ainsi son autorité sans briser les traditions royales.
La victoire de Pépin marque un tournant décisif dans les relations entre Austrasie et Neustrie. Comme l’a souligné l’historien Ferdinand Lot :
« La bataille de Tertry a eu une portée considérable, une signification durable. »
Depuis cette bataille, l’Austrasie prend définitivement le dessus sur la Neustrie, une domination qui ne sera plus contestée. Cette victoire ouvre la voie à l’émergence des Carolingiens, dont Pépin de Herstal est un ancêtre direct.
Malgré sa victoire, Pépin de Herstal choisit de ne pas s’emparer immédiatement de la couronne, préférant gouverner en tant que maire du palais. Cette stratégie permet aux Pippinides de consolider progressivement leur pouvoir avant que leurs descendants, notamment Charles Martel et Pépin le Bref, ne renversent définitivement la dynastie mérovingienne.
En octobre 688, Berchaire meurt, laissant Pépin libre de nommer Nordebert comme administrateur de la Neustrie. Cette domination sera renforcée par Charles Martel, fils de Pépin, qui, lors de la bataille de Néry en 719, défait à nouveau les forces neustriennes dirigées par Rainfroi.
La bataille de Tertry ne se limite pas à une victoire militaire : elle marque le début d’une nouvelle ère politique pour les Francs. La montée en puissance des Pippinides et la consolidation du pouvoir austrasien posent les fondations de l’avènement des Carolingiens, une dynastie qui redéfinira le paysage politique européen au cours des siècles suivants.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, décembre 2011.