La bataille de Thessalonique en 995 s’inscrit dans le contexte des guerres incessantes entre le Premier Empire bulgare et Byzance, alors en pleine lutte pour le contrôle des Balkans. Cet affrontement, orchestré par Samuel Ier de Bulgarie, illustre les tactiques de guerre asymétrique des Bulgares et leur capacité à exploiter les faiblesses de l’Empire byzantin, même face à des places fortes comme Thessalonique, deuxième plus grande ville de Byzance.
Après sa victoire décisive à la bataille des Portes de Trajan en 986, Samuel Ier de Bulgarie prend l’ascendant dans les Balkans. Cette victoire affaiblit gravement Byzance, engendrant une période d’instabilité marquée par des guerres civiles au sein de l’Empire. Profitant de cette désorganisation, Samuel consolide son pouvoir et poursuit une série de campagnes contre les forteresses byzantines.
Thessalonique, bastion stratégique et centre commercial majeur, devient une cible privilégiée. Sa prise offrirait un avantage considérable à la Bulgarie, en coupant une voie de communication clé pour Byzance et en consolidant la domination bulgare dans le sud des Balkans. La défense de la ville est confiée à Grégoire Taronitès, un dux expérimenté issu d’une prestigieuse famille arménienne.
Samuel emploie une tactique classique de ruse et d’embuscade. Il divise son armée, envoyant un petit détachement près de Thessalonique pour simuler une attaque. Ce groupe a pour objectif de provoquer une sortie des forces byzantines, les attirant ainsi dans une embuscade où le gros de l’armée bulgare les attend.
Grégoire Taronitès, déterminé à protéger la ville, ordonne à son fils, Ashot Taronitès, de diriger une avant-garde contre le détachement bulgare. Bien qu’il parvienne à repousser les assaillants initiaux, Ashot tombe rapidement dans le piège tendu par Samuel. Encerclé par les troupes bulgares, il se retrouve isolé avec ses hommes.
Voyant son fils en difficulté, Grégoire Taronitès lance la principale force byzantine à son secours. Cependant, cette action précipitée joue en faveur de Samuel. Grégoire est pris dans l’embuscade et tué au cours des combats, laissant ses troupes désorganisées face à l’armée bulgare.
Ashot Taronitès, capturé par les Bulgares, est emmené en Bulgarie où il est utilisé comme une pièce maîtresse dans la stratégie politique de Samuel. Ashot épouse Miroslava, la fille de Samuel, et est nommé gouverneur de Dyrrachium (aujourd’hui Durrës en Albanie). Cependant, son allégeance reste fragile. Quelques années plus tard, il trahit Samuel, rejoignant Byzance à bord d’un navire et ralliant Constantinople.
Après la mort de Grégoire Taronitès, Jean Chaldos est nommé nouveau gouverneur de Thessalonique. Cependant, il subit à son tour une embuscade bulgare en 996, où il est capturé. Ces échecs successifs affaiblissent la position byzantine dans la région, permettant à Samuel d’étendre son influence et de lancer des raids de plus en plus audacieux.
Fort de ses succès, Samuel pousse ses incursions plus au sud, atteignant le thème de l’Hellas. Il s’empare de Larissa et pousse jusqu’à Corinthe, où il apprend l’arrivée d’une armée byzantine commandée par Nicéphore Ouranos. Face à cette menace, il décide de battre en retraite, mais il est intercepté près de la rivière Sperchios en 996, où il subit une lourde défaite.
Malgré cette déconvenue, Samuel continue à résister avec ténacité. Le conflit entre la Bulgarie et Byzance s’étire encore pendant plusieurs décennies, jusqu’en 1018, date de la victoire finale des Byzantins.
La bataille de Thessalonique illustre la maîtrise de Samuel dans l’art de la guerre asymétrique. En exploitant les impulsions des Byzantins et en jouant sur des tactiques d’embuscade, il parvient à infliger des pertes significatives à une force mieux équipée et théoriquement supérieure.
Les Byzantins, bien qu’en position défensive dans cette campagne, souffrent d’une désorganisation interne. La mort de Grégoire Taronitès et la capture successive de Jean Chaldos mettent en lumière les failles dans le commandement impérial. Ces défaites affaiblissent leur emprise sur la région et prolongent un conflit déjà coûteux.
Bien que cette bataille renforce temporairement la position bulgare, elle ne permet pas à Samuel d’asseoir un contrôle durable sur Thessalonique ou de briser définitivement la résistance byzantine. Sa défaite ultérieure à Sperchios rappelle les limites de ses ressources face à une Byzance mieux organisée sur le long terme.
La bataille de Thessalonique en 995 est une victoire stratégique pour Samuel Ier de Bulgarie, marquant un moment de domination bulgare dans le sud des Balkans. Cependant, elle reste un succès éphémère dans un conflit de longue haleine. Si Samuel est parvenu à affaiblir Byzance et à étendre son influence, la résilience byzantine finit par reprendre le dessus, mettant fin à la domination bulgare en 1018.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, Octobre 2012