La bataille de Versinikia, survenue en 813, est un tournant stratégique dans les conflits entre le Premier Empire bulgare et l’Empire byzantin. Ce nouvel affrontement s’inscrit dans la continuité des tensions exacerbées par la défaite byzantine de Pliska en 811. Malgré une armée théoriquement supérieure, l’Empire byzantin subit un revers cuisant, illustrant les faiblesses internes de sa structure militaire et politique.
Après la désastreuse bataille de Pliska en 811, où l’empereur Nicéphore Ier trouva la mort, l’Empire byzantin se retrouve dans une situation de grande instabilité. Son fils et successeur, Staurakios, grièvement blessé, est incapable de gouverner et est rapidement déposé. Michel Ier Rhangabé, curopalate et nouveau basileus, monte sur le trône, mais son règne est marqué par des dissensions internes et un manque de leadership militaire.
Pendant ce temps, le khan Kroum, bien qu’ayant subi des pertes importantes à Pliska, réorganise ses forces. Il lance des raids dévastateurs en Thrace et dans la vallée du Strymon, déportant des populations entières en Bulgarie. La brutalité de ces attaques provoque la panique parmi les Byzantins, qui abandonnent certaines cités avant même que les Bulgares ne les attaquent. Malgré une tentative de pourparlers en 812, les négociations échouent, notamment en raison des désaccords autour des clauses du traité de 716.
Kroum poursuit son offensive et s’empare de Mesembria (Nessebar) grâce à des machines de siège acquises par un transfuge arabe. Il met la main sur de précieuses ressources, notamment des siphons pour le feu grégeois, ainsi que d’importantes quantités d’or et d’argent.
Au cours de l’hiver 812-813, les deux camps se préparent à une confrontation majeure. Kroum, déterminé à consolider ses gains, planifie une attaque contre Constantinople. Michel Ier mobilise une armée imposante, intégrant des contingents venant de tout l’Empire, y compris des garnisons de Syrie. Ce rassemblement est marqué par des festivités, avec des cérémonies religieuses invoquant la protection divine. Cependant, des tensions internes parmi les troupes retardent le début de la campagne.
L’armée byzantine quitte finalement Constantinople en mai 813. Elle se dirige vers le nord, mais évite de reprendre Mesembria, récemment conquise par les Bulgares. Une éclipse solaire le 4 mai sème toutefois la panique parmi les troupes, affaiblissant leur moral. En juin, les forces byzantines rencontrent l’armée bulgare près de Versinikia, non loin d’Andrinople. Malgré une supériorité numérique évidente, les Byzantins adoptent une posture défensive, hésitant à attaquer.
Après treize jours de tension sous un soleil accablant, les Byzantins décident finalement de lancer une attaque le 22 juin. Sous l’impulsion de Jean Aplakès, strategos de Macédoine, une partie de l’armée byzantine s’engage contre les lignes bulgares. Bien que les premières offensives causent des pertes parmi les forces de Kroum, la majorité de l’armée byzantine, paralysée par la peur, refuse de suivre.
Kroum exploite cette hésitation pour lancer une contre-attaque décisive. Sa cavalerie lourde frappe le flanc gauche byzantin, semant la panique parmi les troupes impériales. L’armée byzantine s’effondre rapidement : les soldats fuient en désordre, abandonnant le champ de bataille aux Bulgares. La poursuite bulgare transforme cette déroute en massacre, avec de nombreuses pertes parmi les Byzantins. Les forces d’Aplakès, isolées et abandonnées, sont décimées, y compris leur commandant.
Kroum capture le camp byzantin, s’emparant d’un butin considérable en or, en argent et en armes. Cette victoire, obtenue malgré l’infériorité numérique des Bulgares, témoigne de leur discipline et de leur résilience stratégique.
La défaite de Versinikia aggrave la crise de l’Empire byzantin. Michel Ier, incapable de maintenir l’ordre ou de défendre efficacement le territoire, est contraint d’abdiquer peu après la bataille. Il se retire dans un monastère, laissant le trône à Léon V l’Arménien (813-820), un général énergique qui s’efforce immédiatement de préparer la défense de Constantinople contre l’avancée bulgare.
Fort de sa victoire, Kroum mène son armée jusqu’aux murs de Constantinople. Installant son camp près de la ville, il offre des sacrifices aux dieux païens et entreprend de creuser des tranchées en vue d’un siège. Cependant, une tentative de négociation avec Léon V tourne à la trahison : des délégués bulgares sont tués par des tirs de flèches. Kroum, furieux, ordonne des représailles brutales, rasant les églises, monastères et palais à l’extérieur des murs de Constantinople, et dévastant la Thrace orientale.
Léon V parvient à stabiliser la situation à Constantinople, mais la menace bulgare reste omniprésente. Kroum retourne en Bulgarie pour préparer un assaut final contre la capitale byzantine. Cependant, il meurt subitement en avril 814, mettant temporairement un terme à la pression bulgare sur Byzance.
La bataille de Versinikia met en lumière plusieurs dynamiques clés des conflits byzantino-bulgares :
Les faiblesses byzantines : Bien que disposant d’une armée numériquement supérieure, Byzance est paralysée par des dissensions internes, un leadership faible et un moral en berne. La désorganisation sur le champ de bataille et la fuite précipitée de Michel Ier illustrent ces problèmes structurels.
La stratégie bulgare : Kroum démontre une fois de plus sa maîtrise stratégique, exploitant la peur et l’hésitation de ses adversaires pour transformer une situation défavorable en victoire écrasante. Sa capacité à mobiliser des forces réduites mais disciplinées est un facteur clé de son succès.
Un basculement dans les rapports de force : Cette défaite renforce la position de la Bulgarie dans les Balkans et accentue la pression sur Byzance. Elle illustre également l’incapacité de l’Empire à contenir une puissance montante, malgré ses ressources considérables.
La bataille de Versinikia marque un nouveau triomphe pour Kroum et le Premier Empire bulgare. Elle accentue la fragilité de l’Empire byzantin, tout en démontrant la résilience et l’efficacité des forces bulgares. Bien que Kroum ne vive pas pour achever son projet de conquête de Constantinople, cette victoire reste un jalon important dans l’histoire des Balkans médiévaux.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, Octobre 2012