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La conquête du Maghreb par les musulmans : Un tournant historique.

La conquête du Maghreb par les musulmans s’inscrit dans le cadre plus large des expansions islamiques entreprises après la mort du prophète Mahomet en 632. À partir de la péninsule Arabique, les forces musulmanes, sous la direction des califes Rashidun, puis des Omeyyades, étendent rapidement leur influence à travers le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et au-delà.Le Maghreb, correspondant aux territoires actuels de la Libye, de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc et de la Mauritanie, représente une région stratégique. Sa position, reliant la Méditerranée occidentale, le Sahara et l’Atlantique, en fait une cible importante pour le califat. Cependant, cette conquête s’avère plus complexe que les campagnes en Syrie et en Égypte, en raison des particularités géographiques et de la résistance des populations locales.


L’expansion islamique après la mort du prophète Mahomet

La conquête du Maghreb s’inscrit dans un processus d’expansion islamique qui débute avec la mort de Mahomet en 632. Sous les califes Rashidun, puis les Omeyyades, l’islam sort des frontières de la péninsule Arabique pour devenir une puissance mondiale en pleine expansion. Les premiers califes, Abou Bakr et Omar ibn al-Khattâb, mènent des campagnes éclatantes contre les deux grands empires de l’époque : les Byzantins et les Sassanides. Ces victoires, marquées par des batailles décisives comme Yarmouk en 636 ou Qadisiyya en 637, permettent aux musulmans de prendre le contrôle de vastes territoires en Syrie, en Mésopotamie, en Palestine et en Perse.Le califat Omeyyade, fondé en 661, poursuit cette dynamique en étendant son influence vers l’ouest. La conquête de l’Égypte, achevée en 641, offre une base stratégique pour lancer des campagnes en Afrique du Nord. Les motivations de cette expansion sont multiples : politiques, religieuses et économiques. Politiquement, les califes cherchent à consolider leur autorité en intégrant de nouvelles régions au califat. Religieusement, l’expansion est souvent perçue comme un devoir de diffuser l’islam (dawah) et de mener le jihad. Économiquement, le Maghreb offre des opportunités en termes de contrôle des routes commerciales transsahariennes, de terres fertiles et de tributs imposés aux populations conquises.


Le Maghreb : une région stratégique et complexe

Le Maghreb, qui correspond aux territoires actuels de la Libye, de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc et de la Mauritanie, représente une région hautement stratégique pour les ambitions du califat. Situé à la croisée de la Méditerranée occidentale, du Sahara et de l’Atlantique, il constitue une zone de contact entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. La région est également riche en terres agricoles, en ressources naturelles et en routes commerciales reliant le bassin méditerranéen aux royaumes subsahariens.Cependant, la conquête du Maghreb est loin d’être simple. Contrairement à la Syrie et à l’Égypte, qui possédaient des populations urbaines largement connectées aux empires byzantins et persans, le Maghreb est caractérisé par une mosaïque de tribus berbères, souvent nomades, et par une topographie variée, allant des montagnes de l’Atlas aux vastes déserts du Sahara. Ces particularités rendent les campagnes militaires plus difficiles et les nécessités administratives plus complexes.

  • La diversité culturelle et religieuse : Avant l’arrivée des musulmans, le Maghreb est marqué par une diversité religieuse importante. Le christianisme, souvent de tendance donatiste, est majoritaire dans certaines zones urbaines, tandis que les cultes païens et judaïques sont présents dans les régions rurales. Cette diversité culturelle et religieuse influence les alliances locales et la dynamique de résistance ou de collaboration face aux envahisseurs.
  • La résistance berbère : Contrairement aux Byzantins en Égypte ou en Syrie, les Berbères du Maghreb ne sont pas unifiés sous une seule autorité. Cependant, ils opposent une résistance farouche à l’expansion musulmane. Cette résistance est incarnée par des figures comme Kusayla, un chef berbère chrétien, ou la reine Kahina, qui dirige une révolte majeure au VIIe siècle.
  • Les défis géographiques : Les montagnes escarpées, les vastes plaines semi-arides et les déserts du Maghreb rendent les campagnes militaires logistiques et tactiques plus complexes. Les forces musulmanes doivent s’adapter à ces conditions difficiles, notamment en créant des bases comme Kairouan pour consolider leur présence.

Les objectifs du califat au Maghreb

La conquête du Maghreb est motivée par plusieurs objectifs stratégiques :

  1. Affaiblir l’Empire byzantin : Les Byzantins, bien que déjà affaiblis par la perte de l’Égypte, contrôlent encore certaines régions côtières de l’Afrique du Nord, notamment Carthage. La prise de ces territoires permet de limiter la présence chrétienne et de sécuriser les routes maritimes de la Méditerranée occidentale.
  2. Contrôler les routes commerciales transsahariennes : Le Maghreb est un carrefour pour le commerce de l’or, du sel et des esclaves entre l’Afrique subsaharienne et le bassin méditerranéen. La domination sur ces routes offre des revenus importants au califat.
  3. Propager l’islam : La diffusion de l’islam est un objectif central des conquêtes musulmanes. Bien que les conversions soient souvent progressives, les nouvelles structures administratives et religieuses permettent d’intégrer les populations locales dans le cadre islamique.
  4. Préparer la conquête de la péninsule Ibérique : La conquête du Maghreb occidental, notamment du Maroc, ouvre la voie à la traversée du détroit de Gibraltar et à la conquête de l’Espagne en 711.

Une conquête progressive et difficile

La conquête du Maghreb ne se fait pas en une seule étape, mais à travers plusieurs phases qui s’étendent sur près de 70 ans, de 642 à 711. Cette progression lente reflète les défis posés par la géographie, la résistance locale et la nécessité pour les musulmans de consolider leurs positions avant de poursuivre leur avancée.

  • Les campagnes initiales (642-670) : Les premières incursions musulmanes, menées par Amr ibn al-As et ses successeurs, se limitent à la Cyrénaïque et à la Tripolitaine. Ces régions, peu peuplées et faiblement défendues par les Byzantins, tombent rapidement aux mains des musulmans.
  • La fondation de Kairouan (670) : La création de Kairouan par Oqba ibn Nafi marque un tournant stratégique. Cette ville devient un centre administratif et religieux, facilitant le contrôle des territoires environnants et le lancement de nouvelles campagnes.
  • Les défis des années 680-690 : Les musulmans font face à une résistance coordonnée des Berbères et des Byzantins, notamment sous la direction de Kusayla et de la reine Kahina. Ces années sont marquées par des avancées et des reculs, jusqu’à ce que Hassan ibn al-Nu’man s’empare de Carthage en 698, mettant fin à la présence byzantine en Afrique du Nord.
  • La conquête du Maroc (700-711) : Sous Moussa ibn Noçaïr, les forces musulmanes atteignent l’Atlantique et achèvent la conquête du Maghreb. Cette phase ouvre la voie à l’invasion de l’Espagne et à l’établissement de la domination musulmane sur la Méditerranée occidentale.



Étapes principales de la conquête

1. La conquête de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine (642-647)

Sous le califat d’Omar ibn al-Khattâb, les premières incursions en Afrique du Nord sont dirigées par Amr ibn al-As, après la conquête de l’Égypte en 641. En 642, Amr avance à l'ouest et s’empare de la Cyrénaïque (actuelle Libye orientale), avant d’atteindre Tripoli en 643. Ces régions, alors sous domination byzantine, tombent rapidement grâce à la faiblesse des garnisons locales et à l’appui des populations rurales, souvent hostiles à l’autorité byzantine.En 647, sous le califat d’Othman, une armée plus importante, dirigée par Abdallah ibn Saad, lance une campagne en Tripolitaine et en Ifriqiya (Tunisie actuelle). Les musulmans infligent une défaite majeure à Grégoire, le gouverneur byzantin de l’Afrique, à la bataille de Sufetula (près de l’actuelle Sbeitla). Bien que cette campagne marque une avancée significative, les forces musulmanes se retirent temporairement pour consolider leurs positions en Égypte.

Le contexte de l’expansion musulmane

Après la conquête de l’Égypte en 641, les forces musulmanes dirigées par Amr ibn al-As se tournent rapidement vers l’ouest. Le calife Omar ibn al-Khattâb, chef des musulmans à cette époque, voit dans cette région une opportunité stratégique. La Cyrénaïque et la Tripolitaine, correspondant à l’actuelle Libye orientale et centrale, sont des provinces sous domination byzantine, mais elles sont affaiblies par des troubles internes et un manque d’investissement militaire. La population locale, principalement composée d’agriculteurs et de communautés berbères, est souvent hostile à l’administration byzantine, en raison des lourdes taxes et des tensions religieuses.


Les campagnes de 642-643 : la progression d’Amr ibn al-As

Sous la direction d’Amr ibn al-As, une armée musulmane progresse vers l’ouest après avoir consolidé la conquête de l’Égypte. En 642, les troupes musulmanes s’emparent de la Cyrénaïque, une région faiblement défendue par les Byzantins.

  • Prise de la Cyrénaïque : La campagne est marquée par une progression rapide, facilitée par l’absence de garnisons byzantines significatives. La population locale, fatiguée des exactions fiscales de l’Empire byzantin, n’offre qu’une résistance limitée. Certaines communautés rurales se montrent favorables aux conquérants musulmans, espérant bénéficier de conditions plus clémentes sous la nouvelle administration.
  • Avancée vers Tripoli : En 643, Amr atteint la Tripolitaine. Tripoli, principal centre urbain de la région, est prise après un siège court mais efficace. Les troupes musulmanes utilisent des tactiques de blocus pour couper la ville de ses approvisionnements. La chute de Tripoli marque une étape importante, car elle ouvre la voie vers les territoires plus à l’ouest.

La campagne d’Abdallah ibn Saad en 647

En 647, sous le califat d’Othman, une nouvelle campagne est lancée pour étendre l’influence musulmane en Afrique du Nord. Cette fois, l’objectif est plus ambitieux : atteindre l’Ifriqiya (Tunisie actuelle) et y affronter directement les forces byzantines.

  • Une armée renforcée : Abdallah ibn Saad, gouverneur de l’Égypte et général expérimenté, conduit une armée estimée à 20 000 hommes. Cette force, plus importante que celle de 642-643, est mieux équipée et préparée pour affronter des batailles rangées.
  • La bataille de Sufetula :Les troupes musulmanes rencontrent les forces byzantines dirigées par Grégoire, exarque d’Afrique, près de la ville de Sufetula (actuelle Sbeitla, en Tunisie). Cette bataille est décisive :
    • Les Byzantins, bien qu’en position défensive, subissent une défaite écrasante. Grégoire est tué au combat, ce qui désorganise les troupes byzantines et met fin à leur résistance coordonnée.
    • La victoire des musulmans leur permet de piller Sufetula, un centre administratif important. Les Byzantins survivants se replient vers Carthage et d’autres positions fortifiées, laissant l’Ifriqiya exposée.
  • Le retrait temporaire des musulmans : Bien que victorieuse, l’armée musulmane ne cherche pas à occuper durablement les territoires conquis. Abdallah ibn Saad accepte un tribut payé par les Byzantins en échange d’un repli. Ce retrait stratégique vise à éviter un surengagement, car les musulmans doivent encore consolider leurs positions en Égypte et faire face à d’éventuelles menaces internes ou externes.



2. La conquête de l’Ifriqiya et le rôle de Kairouan (670-698)

La conquête de l’Ifriqiya marque une étape cruciale dans l’expansion musulmane en Afrique du Nord. Sous les Omeyyades, les campagnes reprennent avec une vigueur renouvelée, visant à consolider les territoires déjà conquis et à neutraliser la résistance byzantine et berbère. La fondation de Kairouan en 670 devient un élément clé de cette stratégie, offrant une base militaire et administrative qui soutient l’effort de conquête.


La fondation de Kairouan : un point d’ancrage stratégique

En 670, Oqba ibn Nafi, un général renommé, est chargé de consolider la présence musulmane en Ifriqiya. Il fonde Kairouan (actuelle Tunisie centrale), une ville qui joue un rôle fondamental dans les campagnes ultérieures :

  • Un centre militaire : Située à une distance stratégique des côtes, Kairouan est protégée des attaques byzantines et des incursions berbères. Elle sert de camp retranché et de base pour les expéditions militaires.
  • Un centre religieux et culturel : Kairouan devient un foyer de propagation de l’islam dans la région. La construction de la Grande Mosquée de Kairouan symbolise l’enracinement de la nouvelle religion.
  • Un centre administratif : En tant que capitale régionale, Kairouan facilite la gouvernance des territoires conquis, notamment la collecte des impôts et l’organisation logistique des campagnes.

L’expansion sous Oqba ibn Nafi

Après avoir établi Kairouan, Oqba mène des expéditions pour étendre l’autorité musulmane vers l’ouest :

  • La progression jusqu’à l’Algérie et le Maroc : Oqba et ses troupes atteignent l’Algérie actuelle, traversent les montagnes de l’Atlas et avancent jusqu’au Maroc. Selon les récits, Oqba atteint l’Atlantique, où il aurait déclaré : « Ô Seigneur, si cet océan ne m'arrêtait pas, j’irais plus loin pour porter ta parole. »
  • Les défis de la résistance berbère : Cette avancée spectaculaire se heurte à une résistance farouche des tribus berbères. Kusayla, un chef berbère converti au christianisme, forme une coalition avec les Byzantins pour repousser les forces musulmanes. En 682, Oqba est tué lors d’une embuscade à la bataille de Tahuda (près de Biskra en Algérie), marquant un coup d’arrêt temporaire à l’expansion musulmane.

La reconquête sous Zuhayr ibn Qays et Hassan ibn al-Nu’man

Après la mort d’Oqba, les musulmans réorganisent leur stratégie. Sous les califes omeyyades, les campagnes reprennent pour rétablir leur contrôle sur l’Ifriqiya et poursuivre l’expansion.

  • Zuhayr ibn Qays et la contre-offensive : Zuhayr, successeur d’Oqba, mène une campagne pour reprendre Kairouan et repousser les forces de Kusayla. Bien qu’il réussisse à rétablir la présence musulmane, il est tué en 688 lors d’une bataille contre les Byzantins.
  • Hassan ibn al-Nu’man et l’élimination des poches de résistance :
    • En 698, Hassan ibn al-Nu’man est envoyé avec une armée renforcée pour mener une campagne décisive. Il commence par attaquer Carthage, principal bastion byzantin en Afrique du Nord. La ville tombe après des combats acharnés, marquant la fin de la domination byzantine dans la région.
    • Après la prise de Carthage, Hassan doit encore faire face à la résistance berbère menée par la reine Kahina, une figure emblématique de la lutte contre l’expansion musulmane. Selon les récits, elle mène une campagne de terre brûlée pour ralentir l’avance des forces musulmanes, mais elle est finalement vaincue et tuée vers 698.



3. La conquête de l’actuel Maghreb central et occidental (700-711)

La conquête du Maghreb central et occidental marque l’achèvement des campagnes musulmanes en Afrique du Nord, consolidant l’autorité du califat omeyyade sur des territoires allant de l’Égypte à l’Atlantique. Cette étape est caractérisée par la progression méthodique des armées musulmanes à travers l’actuelle Algérie et le Maroc, avec une combinaison de conquêtes militaires et d’intégration des populations locales, notamment les Berbères.


Contexte et stratégie de l’expansion

Après la chute de Carthage en 698 et l’élimination des dernières poches de résistance byzantine, le califat omeyyade concentre ses efforts sur l’intégration et la pacification des territoires conquis. Les campagnes vers l’ouest sont menées avec un double objectif :

  • Établir une autorité durable : Cela implique la soumission des populations berbères, qui représentent la majorité de la population, et la consolidation des routes commerciales reliant le Sahara, la Méditerranée et l’Atlantique.
  • Atteindre les frontières naturelles : L’Atlantique est perçu comme la limite occidentale naturelle de l’expansion terrestre, marquant ainsi l’achèvement de la conquête de l’Afrique du Nord.

Le gouverneur de l’Ifriqiya, Moussa ibn Noçaïr, nommé en 705, joue un rôle déterminant dans ces campagnes. Il adopte une stratégie combinant diplomatie, alliances locales et campagnes militaires.


Les campagnes au Maghreb central (Algérie actuelle)

  • Progression à travers les montagnes et les plaines : Les forces musulmanes avancent à travers les montagnes de l’Atlas et les vastes plaines du Maghreb central. Cette région, marquée par une forte diversité tribale, voit une résistance tenace des Berbères.
  • La résistance berbère : Les Berbères, bien que divisés en de nombreuses tribus, opposent une résistance farouche. Les musulmans doivent affronter des chefs locaux qui utilisent les terrains escarpés et les tactiques de guérilla pour ralentir leur progression. Cependant, les divisions internes entre les tribus et l’absence d’une coalition unifiée limitent l’efficacité de cette résistance.
  • Les alliances et les conversions : De nombreux chefs berbères se convertissent à l’islam, attirés par les promesses de protection et d’intégration dans le califat. Ces conversions facilitent l’assimilation des Berbères dans l’ordre politique et social musulman.

La conquête du Maghreb occidental (Maroc actuel)

La conquête de l’actuel Maroc commence dans les années 700 sous la direction de Moussa ibn Noçaïr. Cette région présente des défis spécifiques :

  • Une résistance persistante : Certaines tribus berbères du Maroc, notamment celles des montagnes du Rif et de l’Atlas, continuent de s’opposer aux forces musulmanes. Leur connaissance du terrain et leur organisation tribale rendent la conquête difficile.
  • Le rôle des Berbères convertis : Les Berbères récemment islamisés jouent un rôle crucial dans les campagnes militaires. Leur connaissance du terrain et leur motivation religieuse renforcent les armées musulmanes.
  • La prise des centres stratégiques : Les villes de Tanger et Ceuta, contrôlées par les Byzantins ou leurs alliés locaux, tombent aux mains des musulmans. Ces ports deviennent des bases stratégiques pour la projection de l’influence musulmane vers l’Atlantique et, plus tard, l’Espagne.

L’arrivée à l’Atlantique (711)

En 711, les armées dirigées par Moussa ibn Noçaïr atteignent l’océan Atlantique, marquant l’achèvement de la conquête terrestre de l’Afrique du Nord. Cette étape symbolique revêt une grande importance pour le califat omeyyade :

  • Une frontière naturelle : L’océan Atlantique est perçu comme la limite ultime des terres accessibles par voie terrestre. La tradition rapporte que Moussa ibn Noçaïr, debout sur les rives de l’Atlantique, aurait exprimé son souhait de continuer à porter la parole de l’islam au-delà de cet océan.
  • Préparation de nouvelles campagnes : L’atteinte de l’Atlantique ouvre la voie à une nouvelle phase d’expansion : la conquête de la péninsule Ibérique. Le port de Tanger devient un point de départ pour les expéditions dirigées par Tariq ibn Ziyad, lieutenant de Moussa.



Facteurs de succès

La conquête du Maghreb par les forces musulmanes au VIIe et VIIIe siècles est le résultat d’un mélange de circonstances favorables et de stratégies habiles. Trois facteurs principaux ont contribué à cette réussite : la faiblesse byzantine, les alliances avec les tribus berbères et le rôle stratégique de Kairouan.


Faiblesse byzantine : un empire en déclin

L’Empire byzantin, qui dominait encore une partie de l’Afrique du Nord au début des campagnes musulmanes, était dans une position extrêmement vulnérable. Plusieurs éléments expliquent son incapacité à défendre efficacement ces territoires stratégiques :

  • Conséquences des guerres contre les Sassanides : Les Byzantins venaient de sortir d’un conflit dévastateur contre l’Empire sassanide (602-628). Bien que victorieux, cet affrontement avait épuisé leurs ressources militaires et économiques.
  • Impact des premières conquêtes musulmanes : La perte de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte au profit des forces musulmanes dans les années 630 et 640 affaiblit considérablement la puissance byzantine. L’Égypte, en particulier, était une province clé, tant pour l’économie que pour le ravitaillement.
  • Manque de soutien local : Les populations locales de l’Afrique du Nord, notamment les Berbères et les communautés rurales, étaient souvent hostiles à l’administration byzantine. Les lourdes taxes imposées par Constantinople, combinées à une intolérance religieuse envers les chrétiens non chalcédoniens, contribuent à ce mécontentement. Les musulmans, en revanche, se présentent comme des libérateurs, promettant des conditions fiscales plus justes et une plus grande tolérance religieuse.

La faiblesse des garnisons byzantines et le manque de coopération des populations locales ouvrent la voie à une progression rapide des armées musulmanes.


Alliances avec les Berbères : une intégration stratégique

Les Berbères, constituant la majorité de la population du Maghreb, jouent un rôle central dans le succès de la conquête musulmane. Les relations entre les musulmans et les Berbères évoluent progressivement, passant d’une résistance farouche à une intégration active.

  • Premiers contacts et résistance : Initialement, de nombreuses tribus berbères opposent une résistance acharnée aux forces musulmanes, comme en témoignent les luttes menées par des figures telles que Kusayla et la reine Kahina. Cependant, ces oppositions sont souvent localisées et manquent d’unité stratégique.
  • Conversions et alliances : Les musulmans adoptent une politique habile pour rallier les Berbères à leur cause. En intégrant des chefs tribaux au système politique et militaire du califat, ils favorisent des conversions à l’islam. Ces alliances, renforcées par le rôle de l’islam comme facteur d’unification culturelle et religieuse, facilitent la stabilisation des territoires conquis.
  • Rôle des Berbères islamisés : Une fois convertis, les Berbères deviennent des acteurs essentiels de l’expansion musulmane. Leur connaissance du terrain et leur engagement religieux les rendent indispensables pour les campagnes militaires, notamment lors de la conquête de la péninsule Ibérique en 711, où de nombreux Berbères constituent les rangs de l’armée de Tariq ibn Ziyad.

L’intégration des Berbères dans l’appareil du califat transforme un obstacle initial en une ressource stratégique majeure.


Le rôle stratégique de Kairouan : une base de contrôle et de diffusion

La fondation de Kairouan en 670 par Oqba ibn Nafi marque un tournant décisif dans la conquête du Maghreb. Cette ville joue un rôle central dans la consolidation des territoires conquis et dans la projection du pouvoir musulman.

  • Base militaire et administrative : Située à une distance stratégique des côtes, Kairouan est protégée des attaques byzantines et des incursions tribales. Elle sert de point d’appui pour les campagnes militaires vers l’ouest et facilite la gestion des territoires environnants.
  • Un centre de diffusion de l’islam : La construction de la Grande Mosquée de Kairouan symbolise le rôle religieux de la ville. Kairouan devient un centre de rayonnement de l’islam, attirant des érudits et des juristes qui contribuent à l’islamisation des populations locales.
  • Un hub commercial et culturel : Grâce à sa position, Kairouan favorise les échanges entre le bassin méditerranéen et l’intérieur du continent africain. Cette dynamique économique renforce la stabilité et l’intégration des territoires conquis.

Kairouan incarne à la fois un symbole de la domination musulmane en Afrique du Nord et un outil pratique pour l’administration et la diffusion de l’islam.


Conséquences de la conquête

La conquête musulmane du Maghreb au VIIe et VIIIe siècles entraîne des transformations profondes sur les plans politique, social, religieux et économique. Ces conséquences s’étendent sur plusieurs siècles et redéfinissent l’histoire de la région, qui devient une partie intégrante du monde musulman.


L’intégration du Maghreb dans le monde musulman

L’une des principales conséquences de la conquête est l’intégration du Maghreb au sein du califat, d’abord omeyyade, puis abbasside. Cette incorporation marque un tournant majeur dans l’histoire de la région, la liant durablement à l’histoire et aux dynamiques du monde islamique.

  • L’établissement des institutions islamiques : Avec la conquête, les institutions du califat sont progressivement implantées. Le système de la zakât (impôt religieux) est introduit, garantissant des revenus pour l’administration et le soutien des activités religieuses. Les cadis (juges islamiques) deviennent des figures clés dans la gestion des affaires juridiques et administratives, remplaçant les institutions byzantines et locales préexistantes.
  • L’unification administrative et économique : Le Maghreb est intégré dans les structures économiques du califat, facilitant les échanges commerciaux avec le reste du monde musulman, notamment à travers la Méditerranée et les routes transsahariennes. Les monnaies frappées par le califat circulent dans la région, renforçant son intégration économique.
  • Un rôle stratégique pour le califat : Le Maghreb devient un pont entre l’Afrique subsaharienne, la Méditerranée occidentale et l’Europe. Cette position stratégique en fait une région clé pour l’expansion islamique vers l’Espagne et pour le contrôle des routes commerciales sahariennes.

La conversion des Berbères

La conversion des Berbères à l’islam, bien que progressive, entraîne des changements structurels dans la société maghrébine.

  • Un processus graduel et localisé : Contrairement à une islamisation forcée, la conversion des Berbères s’effectue progressivement et différemment selon les régions. Les tribus berbères adoptent souvent l’islam pour des raisons pratiques, comme l’accès aux structures politiques et économiques du califat, mais aussi par conviction religieuse.
  • Transformation sociale et politique : L’adoption de l’islam redéfinit les rapports sociaux au sein des communautés berbères. Les Berbères islamisés s’intègrent dans les structures du califat, tout en conservant une forte autonomie locale, notamment dans les régions montagneuses et sahariennes.
  • Les Berbères comme acteurs de l’expansion : Après leur islamisation, les Berbères jouent un rôle central dans l’expansion musulmane, notamment lors de la conquête de l’Espagne en 711. Des contingents berbères forment une part importante de l’armée dirigée par Tariq ibn Ziyad, un général berbère. Plus tard, les Berbères fondent leurs propres dynasties musulmanes, comme les Almoravides et les Almohades, qui dominent le Maghreb et l’Espagne.

La fin de la domination byzantine

La conquête musulmane marque la fin définitive de la présence byzantine en Afrique du Nord, transformant la Méditerranée occidentale en un espace dominé par les musulmans.

  • La chute de Carthage : La prise de Carthage en 698 est un moment décisif. Ce bastion byzantin, dernier symbole de l’influence romaine et chrétienne en Afrique du Nord, tombe aux mains des musulmans, mettant fin à près de sept siècles de présence romaine/byzantine.
  • L’affaiblissement de la Méditerranée byzantine : Avec la perte du Maghreb, Byzance perd non seulement une province riche en terres agricoles, mais aussi une position stratégique dans la Méditerranée occidentale. La mer devient largement contrôlée par les flottes musulmanes, qui lancent des raids et établissent des bases sur des îles comme la Sicile et la Crète.
  • Un nouveau rapport de forces : La fin de la domination byzantine dans le Maghreb ouvre la voie à une domination musulmane durable. Les Byzantins, concentrés sur la défense de leurs territoires en Anatolie et dans les Balkans, ne parviennent pas à reprendre pied en Afrique du Nord, laissant le champ libre à l’expansion musulmane en Europe et dans le bassin méditerranéen.



Références

  1. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères.
  2. Hugh Kennedy, The Great Arab Conquests.
  3. Clifford Edmund Bosworth, The Islamic Dynasties.
  4. Paul Balta et Claudine Rulleau, Le Maghreb : peuples et civilisations.


Auteur : Stéphane Jeanneteau - Juillet 2012