La guerre entre les Rus’ de Kiev et l’Empire byzantin entre 941 et 945 est une illustration des tensions géopolitiques dans la région de la mer Noire au Xe siècle. Sous le règne d’Igor de Kiev, cette confrontation met en lumière les ambitions des Rus’ et la supériorité technologique des Byzantins, notamment avec l’utilisation du feu grégeois. Elle se conclut par un traité de paix en 945, modifiant les relations entre ces deux puissances.
La campagne de 941, menée par Igor de Kiev, semble avoir été encouragée par les Khazars, alliés des Rus’, en réaction aux persécutions des Juifs par l’empereur byzantin Romain Ier Lécapène. Les Rus’, alliés aux Petchenègues, profitent d’une faiblesse stratégique de l’Empire : une grande partie de ses forces navales et terrestres était engagée ailleurs, notamment contre les Arabes.
Les Rus’ débarquent sur la côte nord de l’Asie Mineure en mai 941 et ravagent la Bithynie, avançant jusqu’à Nicomédie. Leur flotte, bien qu’audacieuse, s’expose à une riposte brutale. Romain Ier mobilise 15 navires équipés de feu grégeois, une arme redoutable capable de projeter des flammes dévastatrices.
Lors d’une confrontation décisive, les Byzantins utilisent le feu grégeois pour incendier la flotte des Rus’. Liutprand de Crémone décrit avec effroi les Rus’ préférant se jeter à l’eau pour échapper aux flammes. Bien que certains réussissent à piller l’arrière-pays de Constantinople, la majorité des forces Rus’ est décimée, et peu d’entre eux retournent à leurs bases en Crimée.
Après la débâcle de 941, Igor ne renonce pas à ses ambitions. En 943 ou 944, il mène une campagne contre le littoral de la mer Caspienne et en Transcaucasie, avant de préparer une nouvelle attaque sur Constantinople. Cette fois, l’empereur byzantin ne laisse pas les Rus’ s’approcher de la capitale. Une ambassade est envoyée pour négocier, évitant un affrontement direct.
Les négociations aboutissent à un traité préservé dans la Chronique des temps passés. Ce traité est moins favorable aux Rus’ que celui signé sous Oleg quelques décennies auparavant. Parmi les clauses importantes :
Le traité reflète une société Rus’ en pleine transition culturelle. Certains plénipotentiaires prêtent serment « par Peroun », dieu slave, tandis que d’autres invoquent le Dieu chrétien, preuve de la christianisation progressive de l’élite kiévienne.
La guerre met en évidence les limites des ambitions militaires des Rus’ face à la supériorité technologique byzantine. La défaite de 941 et le traité de 944/945 limitent leur influence en mer Noire et en Crimée, tout en renforçant la position des Byzantins.
Le traité illustre également l’intégration progressive des Rus’ dans le monde chrétien byzantin, prélude à la conversion officielle de Kiev au christianisme sous Vladimir le Grand en 988. La cohabitation des traditions païennes et chrétiennes au sein de l’élite annonce un changement majeur dans leur identité culturelle.
Le rôle décisif du feu grégeois souligne l’avance technologique byzantine. Cette arme, gardée secrète, offre un avantage stratégique crucial et permet à l’Empire de repousser des ennemis bien plus nombreux.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Date : Décembre 2012