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Le second siège arabe de Constantinople en 717-718

Le second siège arabe de Constantinople (717-718) marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Empire byzantin et du Califat omeyyade. Il survient après une longue période de paix relative et de guerre civile au sein du Califat, période qui affaiblit temporairement la pression des Omeyyades sur l'Empire byzantin. Cependant, avec la fin de la deuxième guerre civile musulmane (ou "fitna") en 692 et la reprise des hostilités par Justinien II, les Arabes réaffirment leur puissance militaire, notamment par une série de victoires leur permettant de sécuriser les territoires d'Arménie et des principautés du Caucase. Progressivement, les frontières byzantines deviennent la cible de raids de plus en plus nombreux et profonds en Anatolie, affaiblissant le système défensif de l’Empire.

Contexte et Déclin du Système Défensif Byzantin

Après 712, l’Empire byzantin entre dans une période critique de déclin militaire et politique, particulièrement visible dans la région frontalière d’Anatolie. Cet affaiblissement s’inscrit dans le contexte d'une série de revers militaires face aux armées du Califat omeyyade, qui intensifient leurs incursions en territoire byzantin. Les Omeyyades, profitant de la puissance économique et démographique de leur empire, sont désormais en mesure de mener des campagnes militaires de grande envergure. Leur contrôle étendu sur le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, et la région du Caucase leur assure des ressources en soldats et en approvisionnement que Byzance peine à égaler. Ce rapport de force défavorable devient rapidement un problème pour les Byzantins, notamment dans les zones frontières d’Anatolie, qui se trouvent sans protection suffisante contre les attaques et raids omeyyades.

Effondrement Progressif de la Défense en Anatolie

Le système de défense de l’Anatolie repose depuis plusieurs décennies sur des forteresses frontalières, des garnisons et une série de postes avancés établis pour surveiller les mouvements ennemis et protéger les voies d'accès vers Constantinople. Cependant, avec l’affaiblissement de la centralisation militaire, plusieurs de ces postes et forteresses tombent en ruines ou passent sous le contrôle de commandants locaux dont la loyauté envers Constantinople s’amenuise. Entre les années 710 et 720, la pression arabe s'intensifie, les attaques se multipliant au-delà des simples raids saisonniers pour viser la capture de positions stratégiques, comme la forteresse de Loulon en Cilicie. Ces forteresses, en tombant, ouvrent des corridors à travers lesquels les armées arabes peuvent progresser sans grande opposition en direction des terres byzantines plus peuplées.

Instabilité Politique et Succession Chaotique

L’instabilité politique empire ce déclin militaire. Entre 695 et 717, l'Empire byzantin connaît une instabilité sans précédent, durant laquelle sept empereurs se succèdent, souvent à la suite de coups d'État violents. Cette succession rapide et brutale des souverains affaiblit l’autorité centrale, fragilise la légitimité du trône, et sape les efforts de coordination nécessaires pour organiser une défense efficace. Par exemple, après la première déposition de l’empereur Justinien II en 695, le trône passe de mains en mains, entre les empereurs Léontios, Tibère III et à nouveau Justinien II, chacun apportant des changements dans les stratégies et alliances militaires qui créent une confusion et une division des forces armées. Ces changements désorganisent également les structures des thèmes (provinces militaires) responsables de la défense territoriale, affaiblissant ainsi leur capacité de réaction face aux incursions arabes.

Facteurs Sociaux et Militaires Aggravants

La succession d'empereurs fragilise également la discipline et la cohésion au sein de l'armée byzantine, où chaque faction soutient son propre candidat au trône. Les thématiques d’Anatolie, les provinces militaires où sont concentrées les troupes censées protéger les frontières, sont affectées par des mutineries et des soulèvements internes, car les soldats voient leur loyauté divisée entre les différents prétendants au pouvoir. Cet affaiblissement structurel rend le système défensif particulièrement vulnérable. Les soldats, démoralisés par l’instabilité politique et souvent mal payés, désertent ou manquent de discipline, affaiblissant davantage la capacité de réaction de l’Empire aux menaces extérieures.

Concentration des Efforts Omeyyades vers Constantinople

Alors que les Byzantins luttent pour stabiliser leur pouvoir interne, les Omeyyades dirigent de plus en plus de ressources et d’efforts militaires contre Constantinople, perçue comme le cœur de l’Empire byzantin. Pour les Omeyyades, la prise de Constantinople revêt une importance stratégique et symbolique : elle signifie non seulement la neutralisation du principal adversaire de l’Islam dans le bassin méditerranéen, mais aussi un triomphe religieux et politique. En contrôlant la capitale byzantine, ils espèrent non seulement agrandir leur empire, mais aussi affirmer la supériorité de l’islam face au christianisme byzantin.

Une Conjoncture Dévastatrice pour Byzance

Comme le note l’historien Warren Treadgold, l’Empire byzantin se retrouve ainsi dans une position d’extrême vulnérabilité face à une force militaire omeyyade en plein essor et désormais concentrée sur l’assaut de Constantinople. Disposant d'une population et de ressources matérielles supérieures, les Omeyyades parviennent à mobiliser une force d’assaut impressionnante, menaçant directement la survie de l'Empire byzantin. Treadgold souligne que cette menace repose en grande partie sur la situation interne de Byzance, qui se retrouve ainsi dans un état de désorganisation politique et militaire extrême, incapable de contenir l'avancée arabe en Anatolie et de prévenir les conséquences désastreuses d’un siège prolongé de Constantinople (Treadgold, A History of the Byzantine State and Society, 1997).


La Vision du Califat et les Ambitions de Conquête

Le siège de Constantinople en 717-718 est une manifestation ambitieuse de la politique expansionniste des Omeyyades, sous le califat de Sulayman ibn Abd al-Malik. Ce projet de conquête s’inscrit dans la continuité de l’expansion islamique, marquée par la volonté de repousser les frontières de l’Islam jusqu’aux limites du monde méditerranéen chrétien et d’asseoir la suprématie du Califat omeyyade. Sulayman, inspiré par une prophétie affirmant que Constantinople serait conquise par un calife portant le nom d’un prophète, voit en lui-même le candidat idéal pour réaliser cette prophétie. Contrairement à d’autres membres de la famille omeyyade, son nom, « Sulayman » (en référence à Salomon), le distingue comme le seul à répondre à cette prédiction. Motivé par cette vision quasi-messianique, il met en œuvre des ressources considérables pour préparer l’assaut contre la ville, visant ainsi non seulement un succès militaire, mais aussi un triomphe spirituel et symbolique pour l’islam.

Sulayman est d'autant plus résolu qu’il a hérité d’un Califat en plein essor, consolidé et enrichi par les conquêtes de son frère et prédécesseur, Al-Walīd Ier. Al-Walīd avait étendu le contrôle du Califat en Afrique du Nord et en Espagne à l’ouest, et jusqu’en Asie centrale et au nord de l’Inde à l’est. Ces victoires offrent au Califat une assise économique et militaire solide pour envisager une nouvelle avancée contre Byzance. La conquête de Constantinople promet de mettre fin à la seule puissance chrétienne rivale capable de contrer l’expansion islamique dans le bassin méditerranéen, ce qui renforcerait également la légitimité des Omeyyades dans le monde musulman.

Organisation et Préparations de Siège

Conscient de l'ampleur de la tâche, Sulayman initie dès 715 une préparation méticuleuse de l’expédition, mobilisant des forces terrestres et maritimes sous le commandement de son frère, Maslama ben Abd al-Malik. Les armées arabes se rassemblent dans la plaine de Dabiq, au nord d’Alep, position stratégique pour se diriger ensuite vers les terres byzantines. Cette mobilisation est supervisée directement par le calife, qui s’investit personnellement dans l’organisation de l’expédition, bien qu'il soit trop malade pour participer au siège lui-même. Il ordonne la construction d'une flotte omeyyade considérable pour renforcer le blocus de la capitale byzantine par voie maritime, une composante essentielle pour isoler Constantinople et s'assurer de son asphyxie économique et militaire.

Les troupes omeyyades bénéficient d'une logistique impressionnante, avec un important stock de vivres et de matériel de siège. Contrairement aux campagnes précédentes, cette expédition est conçue pour durer : les forces arabes emportent avec elles des graines pour semer et récolter sur place, signe qu'elles envisagent un siège prolongé jusqu'à la reddition de la ville. La flotte, commandée par Omar ibn Hubaira, doit établir un blocus naval autour de Constantinople pour couper tout ravitaillement par la mer et déployer des troupes le long de la côte pour renforcer le siège terrestre.

Réactions Byzantines et Rôle de Léon III

Les Byzantins, informés des préparatifs omeyyades, ne sous-estiment pas la menace. L’empereur Anastase II, conscient que l’assaut sur Constantinople est imminent, met en œuvre des mesures de défense rigoureuses pour préparer la ville à un siège prolongé. Les fortifications de Constantinople, déjà réputées pour leur solidité, sont renforcées, et un stock important de provisions est accumulé pour subvenir aux besoins de la population et des troupes défendant la capitale. Les habitants qui ne peuvent assurer leurs propres provisions pour la durée du siège sont évacués de la ville, allégeant ainsi la pression logistique sur les réserves alimentaires de la cité.

Cependant, alors que les Byzantins s’organisent pour le siège, une révolte interne contre Anastase II affaiblit leur position. Le trône est saisi par Léon III l’Isaurien, un stratège habile et pragmatique, qui devient rapidement un élément clé dans la défense de Constantinople. Léon III est conscient que les forces byzantines, bien que résilientes, ne sont pas à la hauteur des armées arabes en termes de ressources humaines et matérielles. Pour compenser ce déséquilibre, il mise sur une stratégie de ruse et de diplomatie, cherchant à exploiter les failles au sein des forces omeyyades et à diviser leurs chefs. Cette approche permet aux Byzantins de retarder et affaiblir la pression omeyyade avant même que le siège de Constantinople ne débute réellement.

Léon utilise également des négociations comme levier pour ralentir les opérations omeyyades, tout en se préparant activement à un siège de longue durée. Les Byzantins, maîtrisant la redoutable technologie du feu grégeois, possèdent un atout clé dans la défense maritime. Le feu grégeois, une arme incendiaire dévastatrice, s’avère crucial pour repousser les attaques navales arabes, rendant le blocus maritime plus difficile à maintenir pour les Omeyyades.

La Première Phase du Siège et la Résistance Byzantine

En 717, l’armée omeyyade menée par Maslama ben Abd al-Malik atteint les abords de Constantinople, capitale byzantine et ultime rempart chrétien face à l’expansion de l’Islam en Méditerranée orientale. Cette campagne est minutieusement préparée, avec une double stratégie d’attaque terrestre et de blocus maritime. Pour renforcer leur emprise sur Constantinople, les Omeyyades construisent une double enceinte de siège autour de la ville : une muraille intérieure face aux fortifications byzantines et une muraille extérieure tournée vers la campagne thrace. Cette infrastructure est destinée à empêcher toute sortie de la ville et à isoler complètement Constantinople, bloquant les voies d'approvisionnement pour affamer la population et la forcer à la reddition.

Les forces arabes établissent un camp entre ces deux murailles, d’où elles lancent des attaques régulières pour tenter de percer les défenses de la ville. La flotte omeyyade, quant à elle, joue un rôle essentiel dans cette stratégie en s’installant dans le Bosphore pour bloquer les accès maritimes, coupant ainsi Constantinople de ses lignes de ravitaillement par la mer. Les commandants omeyyades savent que, sans approvisionnement, la ville ne pourra pas résister indéfiniment. Les Arabes mettent en place des escadrons de navires stationnés stratégiquement autour de la capitale pour isoler Constantinople du reste du monde byzantin.

Le Feu Grégeois : Une Technologie Défensive Cruciale

Cependant, les Byzantins disposent d’une arme décisive : le feu grégeois, un composé incendiaire qui se révèle être un atout majeur dans la défense maritime de Constantinople. Cette technologie, dont la composition exacte reste inconnue mais qui est souvent décrite comme à base de pétrole ou de soufre, est projetée depuis des siphons montés sur des navires byzantins. Le feu grégeois a la particularité de brûler même au contact de l’eau, rendant les attaques navales dévastatrices pour les assaillants et difficilement contrables pour les Omeyyades. Les Byzantins lancent plusieurs contre-attaques navales en utilisant cette arme, ciblant les navires omeyyades qui stationnent dans le Bosphore et aux abords de Constantinople.

Les récits de l’époque, notamment ceux de l’historien Théophane le Confesseur, rapportent que certaines escadres arabes sont totalement anéanties, les navires enflammés sombrant dans le Bosphore avec leurs équipages. Cette stratégie déstabilise considérablement la flotte arabe, et plusieurs commandants omeyyades renoncent à engager leurs forces dans le Bosphore de peur d’être détruits par cette arme redoutable. Par conséquent, le blocus maritime devient moins efficace, et Constantinople parvient à maintenir un certain flux de ravitaillement, essentiel pour prolonger la résistance de la ville face au siège.

Résistance Intérieure et Organisation Stratégique de Léon III

À l’intérieur de Constantinople, l’empereur Léon III l’Isaurien prend la direction des opérations défensives. Léon, qui a récemment consolidé son pouvoir après avoir évincé Anastase II, se montre un chef stratégique exceptionnel. Sa priorité est de renforcer le moral des troupes et des habitants en leur assurant que la ville peut résister au siège, en particulier grâce à l’arsenal technologique byzantin et à l’organisation stricte des vivres. Des rations alimentaires sont distribuées de manière rigoureuse, et des contingents de soldats sont postés aux points vulnérables des remparts pour parer à toute tentative d’assaut terrestre. Léon met également en place un système de rotation pour que les défenseurs puissent se reposer et se relever sans faiblir face aux assauts continus des Arabes.

L’empereur cherche également à diviser les forces ennemies en utilisant la diplomatie et des tactiques de tromperie. Il envoie des émissaires auprès de certains chefs arabes pour proposer des pourparlers, bien qu’il n’ait aucune intention réelle de négocier une reddition. Ces manœuvres permettent de gagner du temps et de déstabiliser quelque peu la cohésion de l’armée omeyyade, tout en offrant aux Byzantins des périodes de répit pour consolider leurs défenses.

Le Long Hiver de 718 et l’Attrition des Forces Arabes

À la fin de l’année 717, un hiver exceptionnellement rude s’abat sur la région de Constantinople, ajoutant une épreuve supplémentaire aux assaillants. La neige recouvre la région pendant trois mois, et les températures glaciales affectent durement les troupes omeyyades, peu habituées à un climat aussi rigoureux. Les vivres, initialement stockées pour plusieurs mois, s’épuisent rapidement. Le froid, combiné à la pénurie alimentaire, entraîne des cas de famine sévère au sein du camp arabe. Les soldats doivent se résoudre à consommer leurs chevaux, leurs chameaux, et même des écorces et racines pour survivre. Selon les récits de l’époque, des cas de cannibalisme sont rapportés, illustrant l’ampleur du désespoir au sein des troupes omeyyades.

L'absence de soutien logistique local empire la situation pour les forces de Maslama. Les terres environnantes ayant déjà été ravagées lors de l’avance arabe, il est impossible de trouver des sources de nourriture pour soutenir les troupes. La flotte arabe, qui devait initialement acheminer des provisions, est elle aussi gravement affaiblie. En plus de la menace constante du feu grégeois, des désertions parmi les marins chrétiens des équipages affaiblissent les rangs de la flotte, qui devient incapable de maintenir le blocus maritime de manière effective. L’incapacité des Omeyyades à ravitailler leurs forces terrestres condamne les assaillants à une lutte de survie plus qu’à un siège militaire.

L’Impact Dévastateur sur le Moral et la Cohésion des Forces Arabes

La combinaison des attaques byzantines, des privations et des rigueurs de l’hiver engendre une attrition constante au sein des forces arabes. La faim et les épidémies déciment les troupes, et le moral des soldats s’effondre. Les contingents de soldats issus de régions différentes, déjà peu coordonnés, subissent des tensions internes, exacerbées par le désespoir croissant. Des troubles éclatent dans le camp omeyyade, et le nombre de soldats désireux d’abandonner le siège augmente.

Les Byzantins, en revanche, sont en mesure de tirer profit de la situation, maintenant leurs lignes de ravitaillement ouvertes grâce à leur contrôle partiel du Bosphore. La ville reste bien approvisionnée malgré les pertes de certains navires, et les pêcheurs byzantins peuvent reprendre leurs activités autour de Constantinople dès que les forces arabes sont affaiblies.

Intervention des Bulgares et Échec de l’Assaut Final

L’intervention des Bulgares, sous le règne du khan Tervel, représente un tournant décisif dans le siège de Constantinople par les forces omeyyades en 718. Bien que l’alliance byzantino-bulgare soit temporaire, elle repose sur une convergence stratégique d’intérêts : les Bulgares, tout comme les Byzantins, perçoivent la puissance omeyyade comme une menace croissante pour leur propre sécurité et autonomie dans la région. Cette alliance montre la flexibilité de la diplomatie byzantine qui, sous la direction de Léon III, parvient à obtenir le soutien de ses voisins pour affaiblir les forces omeyyades.

La participation bulgare est cruciale, car les troupes byzantines, épuisées par les assauts répétés et les privations imposées par le siège, sont incapables de lancer une contre-offensive terrestre efficace. Le khan Tervel, profitant de la vulnérabilité des Arabes affaiblis par la faim et les épidémies, mène une série d’attaques brutales contre leurs positions. Les Bulgares frappent rapidement et infligent de lourdes pertes aux forces de Maslama, causant la mort de plusieurs milliers de soldats omeyyades. Cette intervention brise le moral des troupes omeyyades et les force à recentrer leurs efforts sur leur propre survie, limitant ainsi leur capacité de maintenir le siège de Constantinople.

Les sources de l’époque, notamment la chronique de Théophane le Confesseur, soulignent l’impact de cette alliance. Selon certaines estimations, les Bulgares auraient tué jusqu’à 22 000 soldats arabes lors de leurs attaques. Cette intervention expose les faiblesses structurelles du califat omeyyade, qui, bien qu’étant un empire puissant, se montre vulnérable face à une coalition byzantino-bulgare. Elle révèle également les limites de l’expansion militaire omeyyade, qui, pour la première fois, se heurte à une résistance organisée et coopérative entre deux puissances régionales.

La Retraite des Forces Omeyyades et Fin du Siège

L’épuisement des forces omeyyades, combiné aux pertes causées par l’hiver rigoureux et les assauts bulgares, pousse finalement Maslama à lever le siège. En août 718, après treize mois d’efforts infructueux et de lourdes pertes, il reçoit l’ordre du calife Omar II de se replier. Cette retraite est un moment de soulagement pour les Byzantins et un revers cinglant pour le califat omeyyade. La date de la levée du siège, le 15 août, coïncide avec la fête de la Dormition de la Vierge Marie, renforçant dans la tradition byzantine l’idée d’une intervention divine en faveur de Constantinople. Ce parallèle symbolique est célébré dans les années suivantes comme une preuve de la protection divine de la capitale byzantine.

La retraite elle-même s’avère être une opération périlleuse pour les Arabes, qui perdent de nombreux navires lors de violentes tempêtes en mer de Marmara. De plus, certains navires omeyyades sont détruits par des cendres provenant d’éruptions volcaniques dans les îles de Santorin. Les pertes sont considérables, et les quelques navires restants parviennent à peine à regagner la Syrie. Selon Théophane, seuls cinq navires réussissent à retourner au port, illustrant l’ampleur du désastre.

Conséquences et Impact à Long Terme

L'échec de cette expédition a des répercussions profondes et durables pour les Omeyyades. La mobilisation massive de ressources pour cette campagne — en hommes, en matériel et en logistique — a considérablement affaibli les finances et la puissance militaire du califat. La défaite de Constantinople marque un coup d'arrêt dans l'expansion territoriale omeyyade, contraignant le calife Omar II à revoir les priorités du califat. Selon l’historien Bernard Lewis, l’échec de cette expédition provoque une « période critique » pour le Califat omeyyade, tant sur le plan financier que militaire. En effet, le coût de l'expédition contribue à accroître la pression fiscale sur les provinces du califat, alimentant le mécontentement et les tensions internes.

La défaite humiliante à Constantinople amène même le calife à envisager un retrait des territoires byzantins récemment conquis et à renforcer les frontières du califat en Asie Mineure et au Caucase. Bien que les conseillers d’Omar II le dissuadent de retirer totalement les garnisons, la présence militaire omeyyade en Cilicie et dans les territoires limitrophes de Byzance est fortement réduite, marquant la fin des ambitions omeyyades de conquête à l’ouest. Sur le long terme, cette défaite, ainsi que d'autres revers dans des zones périphériques comme la Transoxiane et l'Espagne, contribue au déclin progressif de l’empire omeyyade, qui sera renversé en 750 par les Abbassides.

Un Triomphe pour Constantinople et les Byzantins

Pour les Byzantins, la levée du siège représente bien plus qu’une simple victoire militaire. Elle renforce considérablement le prestige de l'Empire byzantin et consolide la position de Léon III l'Isaurien, qui devient un symbole de résilience et de compétence militaire. La survie de Constantinople garantit la préservation de l’Empire byzantin comme bastion chrétien en Orient, et marque le début d’une nouvelle ère de stabilisation politique et de réformes sous le règne de Léon III. Le triomphe byzantin lors du siège de 717-718 est célébré comme une intervention divine, le rôle de la Vierge Marie étant particulièrement souligné dans les chroniques et la liturgie byzantines, renforçant le sentiment religieux et l’identité spirituelle de Constantinople.

Cette victoire préfigure également une période de rétablissement pour l’empire, qui reprend l’offensive dans certaines régions, notamment en Arménie et en Anatolie, et repousse les limites de l’influence arabe. Bien que les raids omeyyades reprennent après le siège, ils sont désormais orientés davantage vers des expéditions de pillage que de véritables tentatives de conquête territoriale.

En somme, le siège de Constantinople en 717-718 est l’un des événements majeurs de l’histoire byzantine et islamique, marquant un tournant dans les relations entre l’Empire byzantin et le monde islamique. Il scelle la survie de Byzance pour plusieurs siècles et inaugure une nouvelle phase dans la lutte d’influence et de rivalité entre le christianisme byzantin et l’islam omeyyade et abbasside.


Références

  • Curta, Florin. Southeastern Europe in the Middle Ages, 500-1250. Cambridge University Press, 2006.
  • Lewis, Bernard. The Middle East: A Brief History of the Last 2,000 Years. Scribner, 1995.
  • Howard-Johnston, James. Witnesses to a World Crisis: Historians and Histories of the Middle East in the Seventh Century. Oxford University Press, 2010.
  • Kennedy, Hugh. The Armies of the Caliphs: Military and Society in the Early Islamic State. Routledge, 2001.
  • Treadgold, Warren. A History of the Byzantine State and Society. Stanford University Press, 1997.
  • Haldon, John. Byzantium in the Seventh Century. Cambridge University Press, 1990.
  • Kaegi, Walter. Byzantium and the Early Islamic Conquests. Cambridge University Press, 1992.


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Juillet 2014