24 min lu
Les Scythes

Les Scythes : Le Nomadisme et Ses Origines

Le nomadisme, tel qu'il s'est développé chez les peuples eurasiens, trouve ses racines dans des sociétés sédentaires qui, à partir d'une certaine taille de leurs troupeaux et de contraintes environnementales, ont adopté un mode de vie mobile. La domestication des mammifères au Néolithique, remontant au VIIe millénaire av. J.-C., marque une étape clé dans cette évolution. Les premières espèces domestiquées, comme les chèvres sauvages (égagres), les moutons, les aurochs (ancêtres des bovins), et les porcs, ont transformé les pratiques alimentaires et sociales des communautés. Ces activités pastorales ont conduit à un nomadisme saisonnier, adapté aux besoins des troupeaux et aux cycles naturels des ressources.

Cependant, les pressions environnementales, comme la raréfaction des terres agricoles ou les changements climatiques, associées à des transformations sociales et culturelles, ont poussé certaines communautés sédentaires des steppes et des régions boisées du nord de l'Eurasie à adopter un mode de vie nomade. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les Scythes, des peuples iraniens qui ont marqué l'histoire des steppes eurasiatiques par leur transition du sédentarisme vers un mode de vie équestre et guerrier.


Les Origines et la Transition Vers le Nomadisme des Scythes

Les Premiers Scythes et La Culture d'Andronovo

Les Scythes, appartenant au groupe des Iraniens orientaux, apparaissent dans les steppes d'Asie centrale dès le début du IIe millénaire av. J.-C. Ils sont initialement associés à la culture d'Andronovo, une société sédentaire pratiquant l'agriculture et l'élevage. Cette culture est connue pour ses avancées en métallurgie, en particulier dans la production d'outils et d'armes. Cependant, un tournant majeur s'opère à l'âge du Bronze tardif (vers le XIVe siècle av. J.-C.) lorsque ces populations adoptent le cheval non seulement pour le transport mais aussi pour des usages militaires.

Le Changement Climatique et L'Émergence des Proto-Scythes

Au milieu du IXe siècle av. J.-C., un changement climatique transforme les semi-déserts du sud de la Sibérie en steppes plus fertiles. Cette évolution favorise un accroissement de la population proto-scythe, intensifie les pressions démographiques, et encourage leur migration vers l'ouest. Cette migration coïncide avec des raids et des incursions militaires, qui marquent le début de l'expansion des Scythes.


L’Arrivée des Scythes en Europe et Leurs Conflits avec les Cimmériens

Vers le VIIe siècle av. J.-C., les Scythes atteignent le Bosphore cimmérien (nord de la mer Noire) où ils repoussent les Cimmériens, installés dans la région depuis le XIIe siècle av. J.-C. Les Cimmériens, en grande partie des fantassins, se retrouvent rapidement dépassés par les compétences équestres des Scythes. Tandis qu’une partie des Cimmériens migre vers l’Asie Mineure, les Scythes consolident leur contrôle sur les steppes pontiques et s'impliquent dans les conflits régionaux.

Les Scythes participent activement aux luttes de pouvoir au Proche-Orient, jouant un rôle dans les guerres opposant Assyriens, Babyloniens, et Mèdes. Leur intervention est souvent motivée par des alliances opportunistes. Par exemple, le roi scythe Bartatua (Prototyès selon Hérodote) conclut un mariage avec une fille d’Assarhaddon, roi d’Assyrie, pour sceller une alliance stratégique.


Source : Wikipedia.
Une plaque ornementale en or, représentant un animal composite, représentatif de l'art animalier scythe, provenant d'un kourgane du Kazakhstan,ve siècle av. J.-C.



Les Contacts des Scythes avec les Grecs

Les interactions entre les Scythes et les Grecs ont été nombreuses et mutuellement influentes, marquant l’histoire culturelle et économique des deux civilisations. Les Scythes, appelés Skytai ou Skutai par les Grecs (terme signifiant "archers"), se nommaient eux-mêmes Skolotes (signifiant "les hommes au bouclier"). Les Perses, pour leur part, les désignaient sous le nom générique de Saces, utilisé pour décrire les nomades en général. Ces contacts, initiés dès le VIIe siècle av. J.-C., furent stimulés par la colonisation grecque du littoral pontique (mer Noire) et par les échanges commerciaux croissants dans la région.


Les Premiers Contacts : Le Commerce et la Colonisation

Les Colonies Ionniennes et les Premiers Échanges

Les Ioniens fondent leurs premières colonies sur les rives du Pont-Euxin, notamment à Sinope et à Trébizonde, dès 756 av. J.-C., selon Eusèbe. Ces colonies s’organisent en cités grecques prospères à partir du VIIe siècle av. J.-C. Pendant cette période, les Scythes, établis dans les steppes proches du Caucase et de la mer d'Azov, se trouvent en contact indirect avec les Grecs par l’intermédiaire des Sindes, un peuple Maïote d’agriculteurs.

Au début du VIe siècle av. J.-C., les Scythes élargissent leur territoire jusqu’au Dniepr, où ils entrent en contact direct avec Olbia, une colonie grecque située près de l’embouchure de ce fleuve. Les échanges commencent modestement avec des lots de marchandises transitant par les bouches des grands fleuves, mais s’intensifient rapidement grâce à l’émergence de comptoirs commerciaux (emporia) comme Olbia et Panticapée.

Les Produits Échangés

Les Grecs fournissaient aux Scythes des produits de luxe tels que le vin, la céramique décorative, les bijoux et des objets métalliques souvent réalisés sur commande pour l’élite scythe. En retour, les Scythes exportaient des ressources de la steppe : blé, cire, miel, bétail, cuir, fourrures et or. Ils participaient également au commerce d’esclaves, approvisionnant les Grecs en captifs. À Athènes, par exemple, Pisistrate utilisa des archers scythes comme demosioi (esclaves publics) pour des tâches de maintien de l’ordre urbain. Ces archers, au nombre de 300 à l'époque de la bataille de Salamine, atteignirent 1 200 sous Périclès.


Les Relations Sociales et Politiques

Une Répartition Territoriale Hiérarchisée

Hérodote distingue trois principaux groupes de Scythes dans la région du Pont-Euxin :

  1. Les Scythes Laboureurs, situés au nord d’Olbia, pratiquaient l’agriculture sédentaire et fournissaient du blé aux cités grecques.
  2. Les Scythes Nomades, au nord de Tanaïs (le Don), perpétuaient un mode de vie mobile basé sur l’élevage.
  3. Les Scythes Royaux, installés en Crimée, formaient l’élite dominante. Un membre de ce groupe était élu roi, incarnant le pouvoir politique et militaire.

Au Kouban, les Scythes cohabitaient avec les Méotes, un peuple sédentaire, ainsi qu’avec les marins grecs qui exploraient les confins de leurs routes commerciales. À l’est du Don, les Sauromates, futurs Sarmates, entretenaient également des contacts avec les Scythes.

Les Alliances et la Stratégie Militaire

Les Scythes étaient également reconnus pour leur excellence équestre et leurs innovations militaires. Ils utilisaient une selle primitive et pratiquaient une tactique redoutable connue sous le nom de "flèche du Parthe" : ils attaquaient l’ennemi en tirant des flèches à distance, puis effectuaient une retraite simulée tout en continuant à décocher des flèches avec une grande précision.


L'Impact Culturel des Contacts avec les Grecs

Les échanges entre Scythes et Grecs ne se limitaient pas au commerce ; ils incluaient également des influences culturelles et artistiques. Les Scythes adoptèrent certains éléments de l’art grec, notamment dans la fabrication de bijoux et d’objets métalliques. En retour, leur propre art animalier, caractérisé par des représentations stylisées d’animaux, influença les productions grecques dans les colonies du Pont.

Les Grecs décrivaient souvent les Scythes comme des intermédiaires entre les mondes civilisés des cités grecques et les populations des steppes lointaines, qu’ils désignaient parfois comme Hyperboréens (habitants mythiques du grand nord).


Les Scythes, Fournisseurs de Blé et Alliés des Grecs

Les Scythes jouèrent un rôle crucial dans l’approvisionnement en blé des cités grecques, notamment Athènes, où les besoins céréaliers étaient importants. Leur mode de vie semi-nomade, combinant agriculture, élevage et commerce, leur permettait d’exploiter les vastes ressources de la steppe. Ces échanges renforcèrent les liens entre les Scythes et les Grecs, tout en favorisant une relative stabilité dans la région pontique.


Les relations entre les Scythes et les Grecs illustrent une interaction complexe entre une civilisation nomade et des cités sédentaires. Ces échanges, principalement économiques, mais également culturels et militaires, contribuèrent à façonner l’histoire de la région pontique. En tant qu’intermédiaires entre le monde grec et les peuples des steppes, les Scythes jouèrent un rôle clé dans les réseaux d’échange et d’influence de l’Antiquité.


Le kourgane d’Arjan, en Sibérie méridionale, à 700 km à l’ouest de la pointe occidentale du lac Baïkal, est constitué d’un remblai en pierre de 120 mètres de diamètre et de 3 à 4 mètres de haut qui recouvre une structure constituée de 70 cages en rondins rayonnant autour d’un double noyau central. On y a retrouvé les restes de 300 chevaux devant provenir d’un festin funéraire. L’archéologue M.P. Griaznov a estimé que 1500 hommes ont dû travailler durant une semaine pour édifier cette structure. Un homme et une femme vêtus de fourrures richement ornées sont enterrés au centre, dans des sarcophages. Ils sont accompagnés par quinze hommes et par 160 chevaux entièrement harnachés. On y a retrouvé des tapis, les plus anciens du monde, rehaussés d’or et d’argent, ainsi que des armes et des sculptures. Elles fournissent des exemples de l’art animalier caractéristique des Scythes. L’ancienneté du kourgane d’Arjan, daté du VIIIe siècle av. J.-C., tend à prouver que les Scythes avaient une origine très orientale. De grands kourganes, de 100 à 200 mètres de diamètre et d’une hauteur atteignant les 17 mètres, parsèment également l’Altaï, ainsi que, plus à l’ouest, le Kazakhstan. 


La Guerre de Darius Contre les Scythes

La guerre menée par Darius Ier, le Grand Roi de l’Empire perse, contre les Scythes au début du Ve siècle av. J.-C. est l’un des épisodes les plus emblématiques de la confrontation entre une puissance impériale sédentaire et une civilisation nomade. Hérodote, Justin, et d’autres historiens anciens rapportent cette campagne avec des détails qui montrent à la fois l’ingéniosité militaire des Scythes et les limites de l’armée perse face à une guerre asymétrique.


Les Raisons de la Campagne de Darius

Darius décide de mener une expédition contre les Scythes pour plusieurs raisons possibles :

  1. Contrôle économique : Les Scythes sont des partenaires commerciaux importants des Grecs, leur fournissant du bois pour la construction navale, du blé et d’autres produits essentiels. En s’attaquant aux Scythes, Darius vise à affaiblir ces échanges et à asseoir son hégémonie économique.
  2. Raids scythes : Les Scythes mènent régulièrement des incursions dans les territoires de l’empire perse, perturbant les frontières septentrionales.
  3. Refus d’alliance dynastique : Selon Justin, le roi scythe aurait refusé de donner sa fille en mariage à Darius, un affront dans le contexte diplomatique de l’époque.

Les Préparatifs de Darius

Selon Hérodote, la campagne de Darius commence par des préparatifs impressionnants :

  • Construction d’un pont sur le Bosphore : À Chalcédoine, un pont permet à l’armée perse de traverser vers l’Europe.
  • Rassemblement de troupes et flotte : L’armée perse, forte de plusieurs centaines de milliers d’hommes, s’appuie sur une flotte qui sécurise les voies fluviales.
  • Pont sur l’Ister (Danube) : Un pont flottant est également construit pour permettre le franchissement de ce fleuve.

Darius rassemble ainsi une force massive et bien organisée, mais elle se révèle inadaptée aux tactiques scythes.


La Stratégie Scythe : La Guerre d’Attrition

Le roi scythe Idanthyrse, bien conscient de la supériorité numérique et matérielle des Perses, choisit une stratégie d’évitement. Plutôt que de livrer bataille, il :

  1. Évite les affrontements directs : Les Scythes se replient constamment, ne permettant pas aux Perses de livrer bataille en rase campagne.
  2. Pratique la terre brûlée : Les puits sont comblés, les cultures incendiées, privant l’armée perse de ravitaillement.
  3. Mobilise des cavaliers experts : Sous la direction de Skopasis et Taxakis, les cavaliers scythes harcèlent les Perses en permanence, détruisant la région environnante et épuisant l’ennemi.

Cette stratégie plonge l’armée perse dans une spirale d’épuisement et de désorganisation.


La Campagne et L’Échec de Darius

La campagne de Darius se déroule comme suit :

  1. Chasse infructueuse : Les Scythes, divisés en plusieurs groupes, attirent l’armée perse dans une série de poursuites infructueuses. Les Perses s’enfoncent vers le nord et l’est, atteignant les terres des Boudines, qu’ils dévastent sans succès stratégique.
  2. Construction de fortins : Pour sécuriser son avancée, Darius fait construire huit fortins dans une région désertique, mais leur utilité est rapidement compromise par les mouvements des Scythes.
  3. L’épuisement perse : Les Scythes abandonnent délibérément des troupeaux pour attirer les Perses affamés, les plongeant dans une crise logistique et morale.
  4. Retraite précipitée : Darius, constatant l’impossibilité de soumettre les Scythes, ordonne une retraite de nuit. L’armée perse, affaiblie et désorientée, se replie vers le Danube, abandonnant des blessés en chemin.

Les Conséquences de la Défaite Perse

Prestige et Renforcement Scythe

La victoire des Scythes contre la plus grande armée de l’époque renforce leur prestige dans la région pontique. Après le retrait de Darius :

  • Expansion de la domination scythe : Les Scythes augmentent leur contrôle sur le nord du Pont-Euxin, imposant leur influence sur des cités comme Olbia, qui passe sous leur protectorat.
  • Dynastie prospère : Une nouvelle dynastie, fondée par Aripeithes, établit une Scythie politiquement stable et prospère pour près d’un siècle.

Représailles Scythes

En 495 av. J.-C., le roi scythe Aristagoras propose une alliance offensive au roi de Sparte, Cléomène, contre la Perse. Bien que ce projet échoue, les Scythes continuent de mener des raids en Thrace et d’occuper la Chersonèse.

Conséquences pour la Perse

  • Affaiblissement moral : La défaite humiliante de Darius contre un ennemi numériquement inférieur met en lumière les limites de son empire face à des tactiques asymétriques.
  • Impact sur les cités grecques d’Ionie : L’incapacité de Darius à vaincre les Scythes donne du courage aux Grecs d’Ionie, qui se révoltent peu après. Cependant, la tentative de Miltiade de couper le pont sur le Danube pour isoler Darius échoue en raison de l’intervention d’Histiée de Milet.

Héritage Historique

La guerre de Darius contre les Scythes illustre les difficultés rencontrées par un empire centralisé face à des ennemis pratiquant une guerre de mouvement. Les Scythes, en exploitant leur connaissance du terrain et leurs compétences équestres, démontrent la résilience et l’efficacité de leur mode de vie nomade face à une armée sédentaire.

 


Reconstitution d’un guerrier scythe. Source : http://blog.armae.com



Philippe II de Macédoine contre les Scythes

L’affrontement entre Philippe II de Macédoine et le roi scythe Ateas en -339 est un épisode notable des relations tumultueuses entre les puissances sédentaires et les confédérations nomades du IVe siècle av. J.-C. Cet événement illustre non seulement les ambitions expansionnistes de Philippe, mais aussi les tensions inhérentes aux interactions entre les peuples des steppes et les royaumes hellénistiques.


Contexte Politique et Alliances

Une Scythie Puissante sous Ateas

Au Ve siècle av. J.-C., les relations entre les Scythes et les cités grecques du Pont-Euxin (mer Noire) sont relativement bonnes, favorisant le commerce et les alliances politiques. Vers -440, une nouvelle dynastie scythe s’impose, consolidant son pouvoir dans la région. Ateas, qui émerge comme l’un des plus puissants souverains scythes, réussit à unifier les tribus scythes entre le Danube et la mer d’Azov, une réalisation majeure pour une société traditionnellement fragmentée.

Ateas étend son influence :

  • Contrôle des cités grecques de l’ouest du Pont-Euxin : Ces cités deviennent des centres économiques sous domination scythe.
  • Expansion au sud du Danube : Ateas lance des campagnes en Dobroudja, une région stratégique de Thrace, et impose des tributs à certaines tribus thraces.

L’Alliance Brisée avec Philippe II

Dans sa campagne contre la tribu thrace des Histriens, Ateas sollicite l’aide de Philippe II de Macédoine, à qui il propose un rapprochement dynastique en envisageant une adoption symbolique. Selon Justin, cette proposition aurait impliqué que Philippe devienne son héritier. Cependant, la mort du roi des Histriens rend ce soutien inutile, et Ateas met fin à cette alliance en renvoyant les ambassadeurs macédoniens sans répondre à leurs demandes.

Lorsque Philippe assiège Byzance, Ateas refuse de fournir des vivres à l’armée macédonienne, aggravant la détérioration de leurs relations. En conséquence, Philippe décide de tourner son attention vers les Scythes.


La Guerre : La Bataille en Dobroudja (-339)

Préparatifs et Déclenchement

Philippe mobilise une armée pour attaquer Ateas, pénétrant en Dobroudja, une région située dans l’actuelle Roumanie. La rencontre se déroule dans les vastes plaines de cette région, un terrain favorable aux tactiques des cavaliers scythes.

La Bataille et La Mort d’Ateas

Malgré l’expertise des Scythes dans la guerre à cheval, l’armée macédonienne, disciplinée et bénéficiant des innovations militaires de Philippe, l’emporte sur les forces d’Ateas. Ce dernier, âgé de 90 ans, trouve la mort au cours de la bataille, marquant la fin de son règne et l’éclatement de son royaume.

Conséquences Immédiates

  • Butin : Les Macédoniens capturent un important butin, probablement constitué de bétail, d’or et de produits agricoles.
  • Retraite coûteuse : Une grande partie du butin est perdue sur le chemin du retour, notamment en raison de raids et de la difficulté à transporter les richesses à travers des territoires hostiles.

Conséquences Politiques et Stratégiques

Déclin de l’Autorité Scythe

La mort d’Ateas et la défaite de ses forces entraînent un affaiblissement durable de l’unité scythe. Les tribus scythes fragmentées peinent à maintenir leur contrôle sur les cités grecques et les territoires conquis, ce qui ouvre la voie à l’expansion de nouveaux acteurs, comme les Sarmates, dans les steppes.

Expansion de l’Influence Macédonienne

La victoire de Philippe renforce son prestige en tant que souverain capable de vaincre des adversaires redoutables comme les Scythes. Bien que l’expansion macédonienne dans cette région reste limitée, cette victoire consolide son autorité et sa réputation dans les Balkans et au-delà.

Relations Grecques-Scythes

Après la défaite d’Ateas, les cités grecques du Pont-Euxin, qui avaient autrefois été sous domination scythe, retrouvent une certaine indépendance. Cependant, certaines cités passent sous influence macédonienne, renforçant les liens entre le monde grec et les peuples des steppes.


Héritage Historique

L’affrontement entre Philippe II et Ateas témoigne de la complexité des relations entre les royaumes sédentaires et les sociétés nomades. Si Philippe sort victorieux, la difficulté de maintenir un contrôle effectif sur les territoires scythes montre les limites de l’expansion macédonienne dans les steppes. Cette guerre met également en lumière la fragilité des alliances entre cultures très différentes, où des incompréhensions diplomatiques et des intérêts divergents peuvent rapidement conduire à des conflits.

Le collier-pectoral gréco-scythe en or du kourgane royal d'Ordjonikidze (Ukraine) - seconde moitié du ive siècle av. J.-C.


Les Scythes contre Alexandre le Grand et les Diadoques

Les Scythes, connus pour leur maîtrise de la cavalerie et leur adaptabilité, jouent un rôle notable dans les conflits impliquant Alexandre le Grand et ses successeurs, les Diadoques. Leur présence à la bataille de Gaugamèles, leurs affrontements en Bactriane, et leur implication dans les luttes régionales témoignent de leur importance stratégique dans l’histoire militaire de l’époque hellénistique.


Les Scythes à la Bataille de Gaugamèles (-331)

Lors de la bataille de Gaugamèles, les Scythes combattent aux côtés de l’armée perse sous le commandement de Darius III. Placés sur l’aile gauche perse, face à l’aile droite d’Alexandre, ils se battent courageusement.

Composition des Forces Scythes

Selon Arrien :

  • 4 000 cavaliers scythes, experts dans l’arc monté et la mobilité.
  • 1 000 Bactriens, des cavaliers également aguerris.
  • Une centaine de chars à faux, armes redoutables destinées à briser les formations ennemies.

Rôle dans la Bataille

Les Scythes infligent des pertes significatives à la cavalerie d’élite macédonienne, les Hétaires, tuant environ 60 d’entre eux. Cependant, leur courage ne suffit pas à compenser la défaite générale de l’armée perse face à la supériorité tactique d’Alexandre.


Les Affrontements en Bactriane

Les Scythes Abiens et le Fleuve Tanaïs

En Bactriane, Alexandre rencontre une autre branche des Scythes, appelés Abiens ou Saces. Ces nomades opposent une résistance acharnée, massacrant les garnisons isolées de l’armée macédonienne.

Lutte au Fleuve Tanaïs (Araxe)

Alexandre tente de construire une cité près de l’Araxe, mais les Scythes lancent des attaques incessantes contre ses troupes. Pour traverser le fleuve et attaquer les Scythes, Alexandre utilise des radeaux et protège ses rameurs avec des cuirasses pour éviter les pertes dues aux flèches ennemies. Malgré leur infériorité numérique, les Macédoniens réussissent à repousser les Scythes, leur infligeant 1 000 morts selon Appien. Cependant, Alexandre tombe malade après avoir bu une eau contaminée, ce qui interrompt la poursuite et sauve les Scythes d’une défaite totale.


L’Expédition Malheureuse de Zopyrion (-331)

En -331, Zopyrion, gouverneur thrace d’Alexandre, lance une expédition en Scythie et met le siège devant la cité grecque d’Olbia, alliée aux Scythes. Cependant, cette campagne est un échec cuisant :

  • Défaite écrasante : L’armée macédonienne est anéantie par les forces scythes alliées aux Olbiens.
  • Mort de Zopyrion : Selon Justin, Zopyrion périt dans cette campagne, marquant un revers significatif pour la domination macédonienne en Thrace.

Les Scythes au Temps des Diadoques

Bataille de la Rivière Thatis (-310)

Vers -310, les Scythes interviennent dans un conflit dynastique au sein du royaume du Bosphore. Ils soutiennent le roi Satyros II contre son frère Eumélès. Leur cavalerie joue un rôle décisif dans la bataille de la rivière Thatis, permettant à Satyros II de remporter la victoire.

Lysimaque contre les Scythes (-313)

Au temps des Diadoques, Lysimaque, l’un des généraux d’Alexandre, affronte avec succès une coalition de Thraces et de Scythes. Ces conflits montrent que, même après la mort d’Alexandre, les Scythes continuent de jouer un rôle actif dans les luttes pour le pouvoir dans les régions frontalières de l’Empire macédonien.


Les Forces et Tactiques Scythes

Cavalerie et Arc Monté

Les Scythes sont des cavaliers hors pair, utilisant des arcs composites capables de percer les armures. Leur mobilité leur permet de harceler des armées plus lourdes, les forçant à se disperser et à s’exposer.

Guerre Asymétrique

Face à des armées disciplinées comme celles d’Alexandre ou de ses successeurs, les Scythes pratiquent souvent une guerre d’attrition, évitant les batailles rangées sauf lorsqu’ils sont en position favorable.


Conséquences et Héritage

  • Contributions militaires : Les Scythes illustrent la difficulté pour des armées sédentaires de contrer des tactiques nomades dans les vastes steppes.
  • Recul face à la Macédoine : Bien que victorieux lors de certaines confrontations, les Scythes subissent un recul face à la puissance croissante des royaumes hellénistiques.
  • Adaptation stratégique : Les Scythes maintiennent leur influence régionale en s’alliant à des forces locales, comme dans le cas d’Olbia ou du royaume du Bosphore.

Applique en or représentant des guerriers scythes avec des arcs, Panticapeum, Crimée. ive siècle av. J.-C., Musée du Louvre.


La Menace Sarmate et le Dernier Royaume Scythe

Au cours des derniers siècles avant notre ère, les Scythes, autrefois dominants dans les steppes pontiques, font face à une pression croissante des Sarmates, un peuple apparenté, mais en pleine expansion. Cette pression, combinée aux changements politiques et militaires dans la région, précipite le déclin des Scythes et la transformation de leur société en un royaume sédentaire défensif, centré sur la Crimée et les régions adjacentes.


La Montée des Sarmates

Origines et Relations avec les Scythes

Les Sarmates, présents depuis le VIe siècle av. J.-C. à l’est de la Volga, partagent des racines culturelles et linguistiques avec les Scythes. Initialement alliés, ils auraient participé à la guerre contre Darius aux côtés des Scythes. Cependant, dès le IVe siècle av. J.-C., les Sarmates exercent une pression croissante sur les territoires scythes, profitant de leur propre expansion et de leur culture fortement militarisée, où les femmes jouent un rôle important dans les conflits. Ces Amazones sarmates témoignent du statut élevé des femmes dans leur société.

La Conquête Progressive des Territoires Scythes

  • IVe-IIIe siècles av. J.-C. : Les Sarmates commencent à repousser les Scythes vers l'ouest, contraignant ces derniers à se replier dans des régions plus réduites, notamment la Crimée (Chersonèse Taurique), le bas Dniepr et le bas Boug.
  • IIIe siècle av. J.-C. : La rive nord du Pont-Euxin passe presque entièrement sous contrôle sarmate, avec des luttes acharnées contre les Scythes et les Grecs pour la maîtrise des territoires stratégiques.

La Petite Scythie : Une Réaction Sédentaire

La Transition vers le Sédentarisme

Face à la pression des Sarmates, les Scythes sédentarisent leur société, construisant des villes et des forteresses pour se protéger. Parmi les principales forteresses scythes figurent :

  • Neapolis (actuelle Simferopol), capitale scythe.
  • Palakion et Chabaioi, autres centres défensifs.

Ces places fortes remplacent parfois d’anciens établissements grecs, comme Kerkinitis, et marquent une transition du mode de vie scythe, autrefois nomade, vers une organisation urbaine défensive.

Relations avec les Autres Puissances Régionales

Les Scythes continuent d’exercer une certaine influence :

  • Soumission d’Olbia : La cité grecque tombe sous leur contrôle et doit payer un tribut.
  • Conflits avec le Royaume du Bosphore : Les Scythes imposent également des tributs au royaume du Bosphore, mais cette domination est fragile face à la montée de Mithridate VI Eupator, roi du Pont.

Les Derniers Affrontements

La Guerre contre Chersonèse et Mithridate

Au IIe siècle av. J.-C., le roi scythe Palakos s’allie aux Roxolans, un groupe sarmate, pour assiéger la cité grecque de Chersonèse. Cette tentative échoue spectaculairement grâce à l’intervention de Diophante, général de Mithridate VI Eupator :

  • Défaite de Palakos : Les Scythes sont vaincus à plusieurs reprises par les forces pontiques.
  • Victoire sur les Roxolans : Selon Strabon, une armée de 6 000 soldats du Pont repousse 50 000 Roxolans mal équipés sous la conduite de leur chef Tasios.

Ces défaites marquent la fin de la puissance militaire scythe.


La Chute du Royaume Scythe

Facteurs de Déclin

  1. Pression Sarmate : Les Sarmates remplacent progressivement les Scythes comme puissance dominante des steppes.
  2. Intervention Pontique : Mithridate VI s’impose comme une force majeure dans la région, écrasant les ambitions scythes.
  3. Transition Sociale et Militaire : Le passage au sédentarisme affaiblit l’agilité militaire des Scythes, les rendant vulnérables aux forces plus dynamiques.

Fin de la Scythie en tant que Puissance

Après les défaites contre Mithridate et la perte de leurs territoires clés, les Scythes disparaissent en tant que force politique significative. Leur culture survit sous une forme réduite et s’intègre progressivement aux populations environnantes, notamment les Sarmates et les Grecs de la région.

Peigne gréco-scythe en or. Kourgane de Soloha. (près Nikopol Ukraine). ive siècle av. J.-C. Musée de l'Ermitage.


La Présence Romaine et la Fin de l'Histoire Scythe

La chute des Scythes, autrefois puissants dans les steppes pontiques, est un processus complexe marqué par l'arrivée de nouveaux peuples nomades, les pressions militaires croissantes, et l'expansion romaine. Cette période, s'étendant du Ier siècle av. J.-C. au IVe siècle de notre ère, voit les Scythes progressivement marginalisés avant de disparaître en tant qu'entité politique et culturelle distincte.


Les Scythes et l’Expansion Romaine

La Domination du Royaume du Bosphore

Avec l'annexion de la Chersonèse Taurique et du Bosphore Cimmérien par Mithridate VI Eupator vers -107, les Scythes perdent leur influence directe sur ces régions stratégiques. Bien que Mithridate ait été vaincu par Rome, ces territoires deviennent progressivement des dépendances romaines, marquant l'arrivée de l'influence romaine sur les anciens domaines scythes.

  • Indépendance d’Olbia : Après la chute de Mithridate, la cité grecque d'Olbia recouvre une indépendance temporaire mais reste sous la menace des Scythes.
  • Victoire d’Aspourgos : Au début du Ier siècle de notre ère, le roi du Bosphore Aspourgos, client de Rome et "Ami des Césars", inflige une défaite aux Scythes, affaiblissant encore davantage leur position.

Le Siège de Chersonèse

Les Scythes tentent de reprendre l’initiative militaire en assiégeant Chersonèse. Cependant, la ville appelle à l’aide Rome, et Plautius Silvanus, gouverneur de Mésie, intervient pour lever le siège. Des troupes romaines, notamment des détachements de la XIe légion, stationnent temporairement en Crimée pour protéger la région contre les incursions scythes et sarmates.


La Défaite des Scythes et La Montée des Goths

Les Conflits avec Rome et le Royaume du Bosphore

Au Ier et IIe siècles, les Scythes continuent de harceler les territoires du Bosphore et de Rome. Cependant, leurs attaques répétées sont repoussées, notamment grâce au soutien militaire romain apporté au royaume du Bosphore, désormais sous la tutelle de Rome.

L’Arrivée des Goths et des Alains

  • Poussée gothique : À partir du milieu du IIIe siècle, les Goths, arrivant d'Ukraine, supplantent les Scythes dans les steppes pontiques. Ces derniers se retirent progressivement vers la Crimée, où ils sont confinés dans les régions montagneuses.
  • Alliances et incursions : Les Goths, accompagnés de groupes sarmates comme les Alains et les Roxolans, mènent des raids destructeurs dans les provinces danubiennes de l’Empire romain.

Les Derniers Souffles des Scythes

Déclin des Forteresses Scythes

Le royaume scythe, réduit à quelques places fortes en Crimée, est progressivement absorbé par les événements tumultueux de l'époque :

  • Le général Diophante : Au IIe siècle av. J.-C., le général de Mithridate avait déjà repoussé une tentative des Scythes pour reprendre Chersonèse.
  • Rome et le Bosphore : Au IIIe siècle, le royaume du Bosphore devient une base romaine essentielle pour contenir les incursions gothiques et sarmates. Les Scythes, incapables de rivaliser avec ces puissances, perdent leur rôle politique.

Les Invasions Germaniques et Huns

  • Invasions maritimes (268) : Zosime et Ammien Marcellin rapportent une vaste expédition germanique menée par les Ostrogoths, Hérules et autres groupes, qui menace les provinces romaines du Pont-Euxin. Malgré l'évacuation des troupes romaines de Chersonèse, ces villes échappent aux attaques grâce aux efforts militaires de Gallien.
  • La fin du royaume scythe (375) : L’arrivée des Huns marque le coup de grâce pour les Scythes. Écrasés ou assimilés par les envahisseurs, les Scythes disparaissent en tant qu’entité identifiable, intégrés à des groupes comme les Roxolans, Alains, Goths et Huns.

L’Assimilation et L’Héritage

Les Scythes, à la fin de leur histoire, ne sont plus qu’une ombre de la puissance qu’ils représentaient autrefois. Leur héritage survit néanmoins :

  • Assimilation culturelle : Les Scythes sont absorbés par les peuples qui les succèdent, notamment les Sarmates et les Goths, influençant leurs pratiques guerrières et leur culture.
  • Art et traditions : L’art animalier scythe et leurs techniques équestres continuent de se transmettre à travers les steppes.
  • Mémoire historique : Grâce aux récits des historiens antiques comme Hérodote, Justin et Ammien Marcellin, les Scythes restent une figure emblématique des peuples nomades de l’Antiquité.

Conclusion

La chute des Scythes, précipitée par les invasions sarmates, gothiques et hunniques, ainsi que par l’expansion romaine, illustre la fragilité des civilisations nomades face à des pressions multiples. Le dernier royaume scythe, confiné en Crimée, disparaît au IVe siècle, mais leur héritage continue de résonner dans l’histoire des steppes et des interactions entre les peuples nomades et les grandes puissances sédentaires.



Références et Sources

  1. Hérodote, Histoires - Traduction française, Livre IV : Les Scythes.
  2. Di Cosmo, Nicola. Ancient China and Its Enemies: The Rise of Nomadic Power in East Asian History. Cambridge University Press, 2002.
  3. Rolle, Renate. The World of the Scythians. University of California Press, 1989.
  4. Davis-Kimball, Jeannine et al. Nomads of the Eurasian Steppes in the Early Iron Age. Zinat Press, 1995.
  5. Anthony, David W. The Horse, the Wheel, and Language: How Bronze-Age Riders from the Eurasian Steppes Shaped the Modern World. Princeton University Press, 2007.
  6. Mallory, J.P., Adams, D.Q. The Oxford Introduction to Proto-Indo-European and the Proto-Indo-European World. Oxford University Press, 2006.
  7. Braund, David. Scythians and Greeks: Cultural Interactions in Scythia, Athens and the Early Roman Empire (6th Century BC - 1st Century AD). Cambridge University Press, 2005.
  8. Boardman, John. The Greeks Overseas: Their Early Colonies and Trade. Thames & Hudson, 1999.
  9. Garlan, Yvon. Slavery in Ancient Greece. Cornell University Press, 1988.
  10. Hartog, François. Le miroir d'Hérodote: Essai sur la représentation de l'autre. Gallimard, 1980.
  11. Dandamaev, M. A. A Political History of the Achaemenid Empire. Brill, 1989.
  12. Briant, Pierre. Histoire de l’Empire Perse, de Cyrus à Alexandre. Fayard, 1996.
  13. Justin, Abrégé des Histoires Philippiques - Traduction française.
  14. Sekunda, Nicholas. The Persian Army 560–330 BC. Osprey Publishing, 1992.
  15. Cornelius Nepos, Vies des grands hommes - Traduction française.
  16. Ammien Marcellin, Histoire romaine - Traduction française.
  17. Zosime, Histoire nouvelle - Traduction française.
  18. Strabon, Géographie - Traduction française.
  19. Braund, David. Scythians and Greeks: Cultural Interactions in Scythia, Athens, and the Early Roman Empire. Cambridge University Press, 2005.
  20. Ivantchik, Askold. The Scythians and Sarmatians. Oxford University Press, 2011.


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Février 2010