Le traité de Verdun, signé en 843, marqua le début d’une lente mais inéluctable désintégration du pouvoir central des Carolingiens en Francie occidentale. Tandis que le royaume se fragmente, la montée en puissance de grandes familles seigneuriales bouleverse l’équilibre politique. Les Robertiens, comtes de Paris, se posent en concurrents directs des Carolingiens. La transformation de cette lutte dynastique aboutira, en 987, à l’élection de Hugues Capet, inaugurant une nouvelle dynastie qui dominera la France pendant près de huit siècles. Parallèlement, le duché de Normandie, attribué aux Vikings, s’affirme comme un acteur incontournable de l’Europe médiévale, allant jusqu’à provoquer des conflits prolongés entre la France et l’Angleterre.
Le IXe et Xe siècles marquent une période tumultueuse pour la Francie occidentale. Les invasions répétées des Vikings, Hongrois et Sarrasins dévastent le territoire, mettant à rude épreuve les structures politiques héritées des Carolingiens. Ces incursions, parfois dévastatrices, entraînent un effondrement économique, démographique et social, affaiblissant considérablement l’autorité royale. Les Carolingiens, déjà fragilisés par des divisions internes, peinent à organiser une réponse coordonnée face à ces menaces.
Les Vikings, en particulier, pillent régulièrement les régions côtières et fluviales, frappant des villes comme Paris, Rouen et Nantes. Incapables de repousser ces envahisseurs de manière durable, les rois carolingiens consentent à des tributs ou cèdent des terres, comme le duché de Normandie, pour acheter une paix précaire. Cette incapacité à protéger leurs sujets ternit l'image du roi comme garant de la sécurité du royaume.
Parallèlement, le système féodal gagne en importance. Incapables de compter sur un pouvoir central affaibli, les seigneurs locaux prennent en main la défense de leurs terres. Ils érigent des forteresses, recrutent des milices privées et instaurent un système d’allégeance basé sur le don de fiefs en échange de services militaires. Cette dynamique renforce le morcellement du territoire. Chaque seigneur devient un quasi-souverain sur ses terres, dirigeant son propre « État » au sein d’un royaume en déliquescence. Le roi, réduit à un rôle purement symbolique, est souvent perçu comme une figure lointaine, sans autorité réelle sur les puissants du royaume.
Les successions dynastiques fragiles aggravent encore cette situation. Les querelles entre les descendants de Charlemagne pour le contrôle du pouvoir affaiblissent davantage la couronne. Le traité de Verdun (843), qui divisa l’empire carolingien entre les petits-fils de Charlemagne, est souvent considéré comme l’acte fondateur de cette fragmentation politique. Ainsi, à mesure que les Carolingiens perdent de leur influence, la notion même de royaume centralisé disparaît au profit d’un patchwork de territoires autonomes.
Dans ce contexte de déliquescence politique et sociale, la famille robertienne s’impose progressivement comme une puissance incontournable. Originaires d’une lignée de comtes et de seigneurs influents, les Robertiens s’appuient sur leur contrôle stratégique des terres autour de Paris et de l’Île-de-France, une région clé en raison de sa richesse et de sa position géographique centrale. Hugues le Grand, figure majeure de cette dynastie, joue un rôle déterminant en consolidant l’autorité de sa famille et en bâtissant un réseau d’alliances avec d’autres seigneurs puissants.
Hugues le Grand n’est pas seulement un homme de guerre et un administrateur avisé ; il est également un habile stratège politique. Il soutient et défie les Carolingiens selon ses intérêts, exploitant leurs faiblesses pour accroître son influence. Sous son autorité, les Robertiens atteignent une puissance qui rivalise directement avec celle des rois carolingiens. Pourtant, il choisit de ne pas revendiquer la couronne, préférant agir dans l’ombre comme un « roi sans couronne », laissant son fils, Hugues Capet, hériter d’une position de force.
L’ascension des Robertiens est également marquée par leur capacité à s’appuyer sur les institutions religieuses. Hugues le Grand et, plus tard, Hugues Capet, entretiennent des relations étroites avec l’Église, en particulier avec l’archevêché de Reims. Ce soutien religieux joue un rôle crucial dans la légitimité de leur pouvoir, car l’Église est perçue comme le gardien de la légitimité royale. L’archevêque de Reims, Adalbéron, devient un allié décisif dans la transition dynastique qui s’annonce.
Le conflit entre Hugues Capet et Lothaire, dernier roi carolingien à tenter de restaurer l’autorité royale, illustre les tensions croissantes entre une royauté déclinante et une noblesse montante. Bien que Lothaire bénéficie du prestige de son titre, ses échecs militaires et sa difficulté à s’imposer face aux grandes familles seigneuriales affaiblissent considérablement sa position. Sa mort en 986 laisse son fils Louis V dans une situation précaire. Ce dernier, jeune et inexpérimenté, ne parvient pas à imposer son autorité. Sa mort accidentelle en 987, sans héritier direct, offre à Hugues Capet une opportunité unique de s’emparer du trône.
Avec la disparition de Louis V, les Robertiens sont en position de force pour mettre fin à la dynastie carolingienne. Ils exploitent les divisions au sein de la noblesse et la faiblesse des prétentions de Charles de Lorraine, dernier héritier carolingien. Hugues Capet, soutenu par l’Église et une coalition de seigneurs, est élu roi en 987, marquant la fin définitive des Carolingiens et l’avènement des Capétiens, une dynastie qui marquera profondément l’histoire de la France.
La mort accidentelle de Louis V en 987, dernier roi carolingien, marque un tournant décisif dans l’histoire politique de la France. Sans héritier direct, le trône se retrouve vacant, ouvrant une période de tensions et d’incertitudes quant à la succession. Deux prétendants émergent alors : Charles de Lorraine, oncle de Louis V et dernier héritier direct de la lignée carolingienne, et Hugues Capet, comte de Paris et chef de la puissante famille robertienne.
Charles de Lorraine, bien que descendant direct de Charlemagne, voit sa légitimité contestée. Sa position est affaiblie par son alliance avec l’empereur germanique Otton II, ce qui soulève des craintes parmi les seigneurs français de voir le royaume tomber sous l’influence germanique. De plus, son caractère et ses actions passées, notamment son manque de soutien auprès des grands seigneurs locaux, le rendent politiquement isolé.
Hugues Capet, en revanche, dispose d’un soutien solide. Sa puissance territoriale et ses alliances stratégiques en font un candidat crédible. Son ascension est surtout favorisée par l’appui d’Adalbéron, archevêque de Reims, une figure clé dans le processus de légitimation royale. Lors de l’assemblée des seigneurs en 987, Adalbéron prononce un discours décisif en faveur de Hugues Capet, déclarant que « le trône ne s’acquiert pas par droit héréditaire, mais par la sagesse et la loyauté. »
Cette déclaration marque un tournant dans l’histoire politique du royaume. En insistant sur la valeur des qualités personnelles plutôt que sur la seule naissance, Adalbéron offre aux seigneurs une justification morale et pragmatique pour écarter les Carolingiens et élire Hugues Capet. Le 3 juillet 987, Hugues est sacré roi à Noyon, inaugurant la dynastie capétienne. Cet événement marque la fin de la monarchie élective carolingienne et l’émergence d’une nouvelle ère politique.
Le choix de Hugues Capet est également stratégique. Contrairement aux Carolingiens, il ne dispose pas d’un pouvoir écrasant, ce qui rassure les grands seigneurs sur leur propre autonomie. Cette dynamique, où le roi est perçu comme un « premier parmi ses pairs », pose les bases d’une relation ambiguë entre la couronne et la noblesse, mais assure une transition en douceur vers la nouvelle dynastie.
Conscient de la fragilité de son accession au trône, Hugues Capet adopte une stratégie novatrice pour assurer la pérennité de sa dynastie. Dès Noël 987, il associe son fils, Robert, au gouvernement et le fait sacrer roi de son vivant. Ce procédé, destiné à éviter une élection contestée après sa mort, constitue une rupture avec la tradition carolingienne d’une monarchie élective.
Cette innovation transforme profondément la nature de la royauté française. En instaurant de facto une monarchie héréditaire, Hugues Capet garantit une continuité dynastique, limitant les rivalités internes et renforçant l’autorité de la couronne. Ce modèle, qui sera suivi par ses successeurs, contribue à stabiliser le royaume et à renforcer progressivement le pouvoir royal face aux grands seigneurs.
La décision de Hugues Capet s’appuie également sur une tradition religieuse. Le sacre de son fils Robert, comme celui des futurs rois, revêt une dimension sacrée qui dépasse la simple désignation politique. Par cette onction, le roi est perçu comme élu de Dieu, ce qui légitime son pouvoir aux yeux des seigneurs et des sujets. L’Église joue ainsi un rôle central dans la consolidation de la monarchie capétienne, en renforçant son caractère divin et en liant étroitement le trône et la religion.
Au-delà de la stabilité politique, l’instauration d’une monarchie héréditaire permet de renforcer l’identité dynastique. La dynastie capétienne, qui régnera sans interruption jusqu’à la Révolution française en 1792, s’appuie sur cette transmission familiale pour s’enraciner durablement dans l’histoire de France. Les Capétiens mettent en avant leur continuité avec les Carolingiens, tout en affirmant leur rôle de restaurateurs de l’unité et de la paix dans le royaume.
Le sacre royal, profondément ancré dans les traditions religieuses et politiques du Moyen Âge, émerge comme un outil fondamental de légitimation du pouvoir. Institué par les Carolingiens, ce rituel est conçu pour consolider le lien entre la royauté et le divin, établissant le roi comme un élu de Dieu. Cette dimension spirituelle du pouvoir royal distingue la monarchie française de nombreuses autres formes de gouvernement médiéval.
C’est Pépin le Bref, père de Charlemagne, qui introduit cette pratique dans le cadre monarchique franc. En 751, en quête de légitimité pour renverser les Mérovingiens, il est sacré par l’archevêque Boniface, puis une deuxième fois en 754 par le pape Étienne II. Ce geste, qui associe le pouvoir temporel à une bénédiction divine, révolutionne la perception de la royauté. Le roi n’est plus seulement un chef de guerre ou un administrateur : il devient un intercesseur entre Dieu et son peuple.
Les Capétiens adoptent et renforcent ce rituel pour asseoir leur légitimité, notamment dans un contexte où leur accession au trône est encore contestée. En se plaçant dans la continuité des Carolingiens, ils utilisent le sacre comme un symbole de la pérennité monarchique. Chaque couronnement capétien, jusqu’à Charles X, est marqué par ce rituel, ancrant le roi dans une tradition qui mêle continuité historique et sanctification divine.
Le sacre devient ainsi une cérémonie clé du pouvoir capétien. Il confère au roi un statut unique, le plaçant au-dessus des autres seigneurs tout en le soumettant symboliquement à la volonté divine. Ce double statut — à la fois supérieur sur terre et serviteur de Dieu — consolide la monarchie française comme une institution sacrée, garantissant son autorité même dans les périodes de crise.
Le rituel du sacre s’appuie sur des symboles puissants, qui transcendent le simple acte politique pour évoquer une dimension spirituelle et historique. Deux reliques majeures jouent un rôle central dans cette cérémonie : l’épée de Charlemagne et la Sainte Ampoule.
1. L’Épée de Charlemagne, « Joyeuse »
L’épée de Charlemagne, appelée « Joyeuse », incarne la continuité entre la dynastie capétienne et l’héritage impérial carolingien. Selon la tradition, cette arme, portée par Charlemagne lors de ses campagnes militaires, est un symbole de la puissance et de la justice royales. Utilisée lors des cérémonies de sacre, elle rappelle aux seigneurs et aux sujets que le roi est le protecteur du royaume et le garant de l’ordre. Elle représente également la mission divine confiée au souverain : défendre l’Église et son peuple contre les ennemis.
Les Capétiens, en réutilisant cet artefact historique, s’inscrivent dans une continuité politique et culturelle avec leurs prédécesseurs carolingiens, tout en affirmant leur propre légitimité. Cet usage de reliques historiques renforce l’idée que le pouvoir royal est intemporel et transcendant.
2. La Sainte Ampoule et l’Onction Royale
La Sainte Ampoule, conservée à Reims, est au cœur du rituel du sacre. Selon la légende, cette fiole d’huile sacrée aurait été apportée par une colombe lors du baptême de Clovis, premier roi chrétien des Francs. Ce récit mythique établit un lien direct entre les Capétiens et Clovis, symbolisant la conversion du peuple franc au christianisme et la sanctification du pouvoir royal.
Lors du sacre, l’archevêque de Reims oint le front, les mains et la poitrine du roi avec l’huile de la Sainte Ampoule. Ce geste, hérité des pratiques juives et chrétiennes anciennes, confère au roi une dimension sacrée, le plaçant sous la protection divine. Cette onction établit une distinction nette entre le roi et les autres seigneurs, qui, bien que puissants, ne bénéficient pas de cette légitimité divine.
La croyance selon laquelle l’huile de la Sainte Ampoule se régénère miraculeusement à chaque usage ajoute une aura mystique au rituel. En associant le sacre au baptême de Clovis, les Capétiens enracinaient leur autorité dans une tradition remontant aux origines mêmes de la chrétienté en France.
La période 843-987 est une époque charnière dans l’histoire de la France, marquée par des bouleversements politiques et territoriaux profonds. La fragmentation carolingienne, amorcée par le traité de Verdun en 843, entraîne un éclatement du pouvoir central. Le royaume de Francie occidentale se morcelle sous l’effet des invasions vikings, hongroises et sarrasines, mais aussi à cause du développement de la féodalité. Les grands seigneurs, maîtres de leurs fiefs, prennent progressivement le pas sur une monarchie carolingienne affaiblie. Cette dynamique ouvre la voie à une réorganisation complète du pouvoir.
L’avènement d’Hugues Capet en 987 constitue un tournant décisif. Avec son élection, les Capétiens posent les bases d’une monarchie stable et héréditaire, rompant avec le modèle électif des derniers Carolingiens. S’appuyant sur le rituel du sacre, qui leur confère une légitimité divine, les Capétiens instaurent une dynastie qui régnera pendant près de huit siècles. Ce changement marque la transition vers une monarchie centralisée, bien qu’elle reste initialement fragile face à la puissance des grands seigneurs.
Parallèlement, l’essor du duché de Normandie, né des concessions faites aux Vikings, redéfinit l’équilibre des pouvoirs en Europe. Devenue une région prospère et stratégiquement importante, la Normandie joue un rôle clé dans les relations internationales. La conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 exacerbe les tensions entre la France et l’Angleterre, inaugurant une rivalité qui structurera les grandes luttes territoriales de l’histoire médiévale, notamment la guerre de Cent Ans.
En somme, cette période illustre une transformation majeure : la fin d’une fragmentation politique héritée des Carolingiens et l’émergence d’une monarchie capétienne stable, s’accompagnant de la montée en puissance de nouveaux acteurs territoriaux comme la Normandie. Ces évolutions posent les fondations de la France médiévale et de ses futures dynamiques politiques.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, mars 2013.
Sources et références :