Les Guerres de Messénie, qui s’étendirent sur près de trois siècles, s’inscrivent dans un cadre historique complexe où plusieurs dynamiques géographiques, politiques, sociales et militaires convergèrent. Ces conflits opposèrent la cité-État de Sparte, en pleine expansion territoriale, à la région voisine de la Messénie, riche et fertile, située au sud-ouest du Péloponnèse. Le contexte général de ces guerres est marqué par les ambitions expansionnistes de Sparte, les caractéristiques uniques de la société spartiate et les tensions sociales entre les populations asservies et leurs oppresseurs.
La Messénie, bordée par l’Arcadie et la Laconie (territoire spartiate), était réputée pour la fertilité de ses terres. La vallée de la rivière Pamissos et les riches plaines environnantes permettaient une agriculture prospère, incluant la culture des céréales, des olives et du raisin. Ces ressources naturelles en faisaient une cible de choix pour Sparte, une cité-État dont l’économie était fondée sur l’agriculture, mais qui souffrait d’une pression démographique croissante.
Au VIIIe siècle avant J.-C., Sparte traversa une période de croissance démographique importante. Pour maintenir son modèle économique, fondé sur une classe dominante réduite en nombre, les Spartiates avaient besoin de terres supplémentaires. La Messénie représentait une opportunité stratégique pour répondre à ces besoins.
Sparte était une cité oligarchique, où une élite militaire (les Homoioi ou « égaux ») dominait les Hilotes, une population d’esclaves agricoles. Ce système nécessitait une main-d’œuvre abondante pour exploiter les terres agricoles. En annexant la Messénie, Sparte visait non seulement à s’approprier ses ressources, mais aussi à assujettir sa population pour en faire des Hilotes.
Les frontières entre Sparte et la Messénie étaient floues, notamment dans les zones de pâturages partagées. Ces zones étaient souvent sources de conflits, car elles constituaient des terres communes revendiquées par les deux parties. Ces disputes territoriales fournirent à Sparte un prétexte pour justifier ses guerres d’annexion.
La Grèce archaïque était un espace fragmenté, composé de cités-États souvent en conflit. Ces rivalités exacerbèrent les tensions entre Sparte et la Messénie :
Les guerres de Messénie se déroulèrent à une époque où les techniques militaires grecques étaient en pleine évolution. L’apparition de la phalange hoplitique, une formation de combat disciplinée et structurée, joua un rôle crucial, notamment dans la Seconde Guerre de Messénie. Cette période marque une transition entre des combats sporadiques, typiques de l’époque mycénienne, et des batailles rangées plus organisées.
Les Spartiates justifièrent leurs conquêtes en invoquant des droits ancestraux et des griefs religieux. L’assassinat supposé du roi spartiate Télècle dans un temple messénien servit ainsi de casus belli pour déclencher la Première Guerre de Messénie.
Dans la mythologie grecque, la Messénie était associée aux légendes de Nestor, roi de Pylos, et au royaume d’Apharée. Ces récits renforçaient l’idée que la Messénie avait une histoire prestigieuse et une importance stratégique dans le Péloponnèse.
Les Guerres de Messénie eurent un impact profond sur l’histoire grecque :
La Première Guerre de Messénie marque l’un des conflits les plus emblématiques de la Grèce archaïque, opposant Sparte, en pleine expansion, à la Messénie, région voisine fertile et stratégiquement importante. Ce conflit, bien que mal documenté, constitue une étape décisive dans l’histoire de Sparte et dans l’établissement de son système politique et social basé sur l’exploitation des Hilotes.
La Messénie, avec ses terres fertiles et son abondance de ressources agricoles, attirait depuis longtemps la convoitise de Sparte. À l’époque, Sparte faisait face à une forte croissance démographique et à des besoins accrus en terres pour nourrir sa population. La Messénie, située à l’ouest du Taygète, offrait des plaines riches et des zones favorables à l’agriculture intensive.
Le déclencheur immédiat de la guerre est attribué à l’assassinat du roi spartiate Télècle, qui aurait été tué dans le temple d’Artémis Limnatis, à la frontière entre Sparte et la Messénie. Les Spartiates accusèrent les Messéniens de ce meurtre, tandis que les Messéniens affirmèrent que Télècle avait orchestré un piège pour les accuser à tort. Cet événement fut utilisé par Sparte comme prétexte pour justifier son invasion de la Messénie.
La Première Guerre de Messénie fut un conflit prolongé, marqué par des sièges, des raids et des batailles, sans affrontement décisif majeur.
Dès les premières années, Sparte lança une offensive contre la Messénie, visant à s’emparer de ses plaines fertiles. Cependant, les Messéniens, dirigés par leur roi légendaire Aristodème, organisèrent une résistance acharnée. Selon les récits, Aristodème mobilisa non seulement les soldats messéniens, mais également des alliés issus des cités voisines, notamment l’Arcadie, Sicyone et Argos.
La résistance messénienne se concentra autour du mont Ithômé, une forteresse naturelle située au cœur de la Messénie. Ithômé devint le symbole de la défense messénienne et le point central de leur stratégie. Les Spartiates tentèrent à plusieurs reprises de l’assiéger, mais les Messéniens résistèrent pendant près de deux décennies.
La Première Guerre de Messénie fut l’une des premières guerres grecques marquées par des sièges prolongés. La capacité des Spartiates à maintenir la pression sur Ithômé, tout en continuant à ravager les plaines messéniennes, fut un facteur décisif.
Après près de vingt ans de résistance, les Messéniens furent finalement submergés par la supériorité militaire spartiate. La forteresse d’Ithômé tomba, marquant la fin de la guerre. Selon certaines sources, le roi Aristodème, désespéré par la défaite imminente, se suicida pour ne pas assister à l’asservissement de son peuple.
La victoire permit à Sparte de s’imposer comme une puissance militaire majeure dans le Péloponnèse. Les terres messéniennes enrichirent considérablement l’économie spartiate, tout en augmentant leur dépendance vis-à-vis des Hilotes, ce qui renforça les tensions sociales internes à Sparte.
Le poète spartiate Tyrtée, qui vécut au VIIe siècle av. J.-C., fournit l’un des rares récits de cette guerre. Dans ses poèmes, il glorifie le courage spartiate et justifie la conquête de la Messénie comme une entreprise légitime. Il célèbre également la bravoure des soldats spartiates et leur droit divin à posséder les terres messéniennes.
La guerre de Messénie fut intégrée dans la mythologie grecque, avec des récits héroïques sur Aristodème et la résistance messénienne. La forteresse d’Ithômé devint un symbole de résilience, même après la défaite.
La Première Guerre de Messénie est aujourd’hui perçue comme une guerre d’expansion motivée par des besoins économiques et démographiques. Sparte, en quête de terres agricoles pour nourrir sa population croissante, utilisa des prétextes politiques pour justifier son invasion.
La géographie joua un rôle clé dans ce conflit. La Messénie, avec ses riches plaines, était une cible idéale pour une cité comme Sparte, tandis que le mont Ithômé offrait une défense naturelle aux Messéniens.
Cette guerre contribua à façonner la société spartiate, notamment son militarisme et son système rigide de domination sur les Hilotes. Elle renforça également la solidarité entre les citoyens spartiates, qui se considéraient comme une élite militaire unie par un destin commun.
La Seconde Guerre de Messénie marque un nouveau chapitre dans la rivalité historique entre Sparte et la Messénie. Ce conflit est largement perçu comme une révolte des Messéniens contre l’asservissement imposé après leur défaite lors de la Première Guerre de Messénie. Cette guerre, tout comme la précédente, met en lumière les tensions sociales, politiques et économiques qui sous-tendent les relations entre ces deux régions.
Après la victoire spartiate lors de la Première Guerre de Messénie, la population messénienne avait été réduite à l’état d’Hilotes (serfs attachés à la terre) et contrainte de céder une grande partie de leur production agricole à leurs maîtres spartiates. Ce système, bien qu’économiquement profitable pour Sparte, créa un ressentiment profond parmi les Messéniens, alimenté par l’humiliation et les lourdes charges qui leur étaient imposées.
La structure sociale spartiate, qui dépendait fortement du travail des Hilotes, nécessitait une répression constante pour prévenir les révoltes. Sparte continuait par ailleurs à étendre son influence dans le Péloponnèse, notamment en entrant en conflit avec d’autres cités comme Argos, ce qui affaiblit temporairement son contrôle sur la Messénie.
Les Messéniens profitèrent de la défaite spartiate face aux Argiens à la bataille d’Hysiai (669 av. J.-C.), qui affaiblit l’autorité spartiate. Avec le soutien d’alliés tels que les Arcadiens, les Argiens et les Pisates, les Messéniens saisirent cette opportunité pour se rebeller.
Les Messéniens trouvèrent un leader en la personne du roi Aristomène, une figure héroïque qui incarna la résistance messénienne. Aristomène rassembla une armée et chercha l’appui de plusieurs cités du Péloponnèse opposées à Sparte, notamment les Arcadiens, qui fournirent des troupes et des ressources.
Côté spartiate, les armées furent dirigées par le poète et stratège militaire Tyrtée, dont les chants patriotiques galvanisèrent les troupes spartiates et renforcèrent leur moral.
Cette guerre vit l’apparition de la phalange hoplitique, une formation militaire organisée de soldats lourdement armés (hoplites), qui transforma la manière de mener les batailles en Grèce. Cette innovation tactique joua un rôle clé, favorisant d’abord les Messéniens, mais permettant finalement aux Spartiates de triompher grâce à leur discipline et leur entraînement.
L’un des événements marquants de la Seconde Guerre de Messénie fut la bataille du Grand Fossé, où les Messéniens subirent une défaite décisive, notamment en raison de la trahison d’un de leurs alliés, le roi Aristocrates II d’Orchomène. Cette trahison permit aux Spartiates de prendre l’avantage et de démoraliser leurs adversaires.
Après leur défaite sur le champ de bataille, les Messéniens se replièrent sur le mont Eira, une forteresse naturelle située dans le sud de la Messénie. De là, Aristomène organisa une résistance acharnée contre les Spartiates, menant des raids sur les plaines et attaquant les convois spartiates.
La défense du mont Eira dura plusieurs années, témoignant de la détermination messénienne à résister malgré des conditions difficiles. Selon les récits, Aristomène échappa à plusieurs tentatives d’assassinat et continua à inspirer ses troupes jusqu’à la chute finale.
Après environ 17 ans de guerre, la forteresse d’Eira tomba sous les assauts spartiates. Aristomène et une poignée de survivants réussirent à s’échapper et trouvèrent refuge à Arcadie ou à Rhodes, où il finit ses jours. La majorité des Messéniens restants furent réduits à l’état d’Hilotes, subissant à nouveau la domination spartiate.
La victoire permit à Sparte de pérenniser son système social basé sur la domination des Hilotes. Cependant, cette dépendance accrue envers une population servile exacerba les tensions internes et contraignit Sparte à maintenir un état de vigilance permanente.
La Seconde Guerre de Messénie joua un rôle crucial dans le développement de la machine de guerre spartiate. L’usage de la phalange hoplitique, combiné à une discipline stricte, devint la marque de fabrique des Spartiates et leur permit de dominer les champs de bataille grecs pendant plusieurs siècles.
Aristomène devint une figure mythique dans l’histoire grecque, célébrée pour son courage et sa ténacité. Sa lutte contre Sparte symbolisa la résistance face à l’oppression, et son nom fut préservé dans les traditions orales et écrites.
Les poèmes de Tyrtée, bien que pro-spartiates, fournissent des informations précieuses sur l’idéologie militaire spartiate et la perception de la guerre. Ils exaltent la discipline, le sacrifice et l’unité en temps de crise.
La Troisième Guerre de Messénie marque l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire de la lutte entre Sparte et les Messéniens, cette fois sous la forme d’une révolte massive déclenchée par une catastrophe naturelle : le tremblement de terre dévastateur de 464 av. J.-C. Cette guerre fut à la fois une révolte d’Hilotes et une insurrection nationale messénienne, et elle souligna la vulnérabilité structurelle de Sparte face à sa dépendance envers une population servile importante.
Après la Seconde Guerre de Messénie, les Messéniens avaient été intégrés à l’ordre spartiate en tant qu’Hilotes (serfs attachés à la terre), contraints de fournir la majeure partie de leur production agricole à leurs maîtres spartiates. Ce système oppressif maintenait une hostilité latente, et des poches de résistance continuaient de subsister.
La révolte fut précipitée par un tremblement de terre catastrophique qui ravagea Sparte et ses environs. Cet événement détruisit une grande partie de la ville et tua un grand nombre de citoyens spartiates. Il affaiblit considérablement les institutions militaires et politiques de la cité.
Les Hilotes messéniens, ainsi que certaines cités périèques (cités dépendantes mais non asservies), profitèrent de cette opportunité pour se soulever. Ce soulèvement est souvent décrit comme un événement spontané, mais il est probable que des préparatifs et une organisation préalable aient existé.
Le mont Ithômé, lieu symbolique de la résistance messénienne lors des deux premières guerres, devint une nouvelle fois le centre de la révolte. Les rebelles s’y retranchèrent, transformant le site en une forteresse naturelle difficile à prendre.
Bien que gravement affaiblie par le tremblement de terre, Sparte réagit rapidement sous la direction du roi Archidamos II. Ce dernier rassembla les forces restantes pour contenir l’insurrection et appela ses alliés, notamment les cités du Péloponnèse et Athènes, à l’aide.
Les alliés spartiates, parmi lesquels figurèrent Égine, Mantinée et Platées, répondirent à l’appel. Cependant, l’intervention athénienne fut marquée par des tensions politiques croissantes entre les deux cités. Ces tensions culminèrent lorsque Sparte, méfiante envers les Athéniens, renvoya leur contingent, alimentant ainsi l’hostilité qui déboucha plus tard sur les guerres du Péloponnèse.
Les Hilotes et les Messéniens rebelles résistèrent sur le mont Ithômé pendant près de dix ans. Les Spartiates, incapables de déloger les insurgés par la force, recoururent à une stratégie d’usure, espérant affamer les rebelles et les contraindre à se rendre. La forteresse d’Ithômé devint un symbole de défi pour Sparte et un bastion de la résistance messénienne.
Après dix années de résistance acharnée, les rebelles furent contraints de se rendre. Cependant, plutôt que d’être exécutés ou réduits à nouveau en esclavage, les survivants furent autorisés à partir sous la médiation d’Athènes, marquant ainsi une solution inhabituelle pour Sparte.
Les Messéniens exilés furent réinstallés à Naupacte, une cité située sur la côte nord du golfe de Corinthe, sous la protection athénienne. Cette réinstallation permit à Athènes de disposer d’un avant-poste stratégique dans sa lutte contre Sparte, renforçant ainsi l’hostilité entre les deux puissances.
La Troisième Guerre de Messénie reste un symbole de la lutte contre l’oppression et de la résistance face à une puissance dominante. Elle marqua également le début de l’affaiblissement progressif de l’hégémonie spartiate, qui culmina des siècles plus tard avec la chute définitive de son système social basé sur l’exploitation des Hilotes.
Pausanias, Description de la Grèce (IVe siècle ap. J.-C.)
Tyrtée (VIIe siècle av. J.-C.)
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse (Ve siècle av. J.-C.)
Strabon, Géographie (Ier siècle av. J.-C.)
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique (Ier siècle av. J.-C.)
Xénophon, Helléniques (IVe siècle av. J.-C.)
Les chercheurs modernes se basent sur ces récits antiques et les complètent par des analyses archéologiques et anthropologiques :
William Smith, A Dictionary of Greek and Roman Geography (1873)
N.G.L. Hammond, A History of Greece to 322 B.C.
Victor Davis Hanson, The Other Greeks: The Family Farm and the Agrarian Roots of Western Civilization (1999)
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Octobre 2010