Les Alains, peuple scythique et nomade, ont marqué l’histoire de l’Antiquité tardive et du début du Moyen Âge par leurs migrations, leur influence militaire et leur intégration aux civilisations environnantes. Originaires des steppes de l’Eurasie, ils ont joué un rôle clé dans les dynamiques des Grandes Invasions, tout en laissant une empreinte durable sur les régions qu’ils ont traversées.
Les Alains, un peuple nomade d’origine scythique, sont issus des vastes steppes eurasiennes qui s'étendent de la mer Noire à la Caspienne. Ce peuple est étroitement apparenté aux Sarmates, dont ils partageaient les traditions, la langue et la culture. Leur langue appartenait au groupe iranien nord-oriental, un ensemble linguistique qui s’inscrit dans la grande famille indo-européenne. Les Alains sont mentionnés pour la première fois au Ier siècle de notre ère par l’historien Flavius Josèphe, qui les situe entre le Don et la mer d'Azov, dans une région correspondant à l’actuelle Russie méridionale et à l’Ukraine.
Durant cette période, ils vivaient en tribus éparpillées dans les steppes, pratiquant un mode de vie nomade fondé sur l'élevage, le pillage et le commerce. Leur habitat consistait principalement en chariots couverts, qui leur permettaient de se déplacer avec aisance et de s’adapter aux défis de leur environnement. Cette mobilité était essentielle pour survivre dans les vastes étendues des steppes, souvent confrontées à des conditions climatiques difficiles et à la concurrence d'autres peuples nomades.
La société alaine était fortement militarisée. Comme la plupart des peuples des steppes, ils accordaient une importance primordiale à la cavalerie, qui était à la fois un moyen de transport, une arme et un symbole de pouvoir. Les cavaliers alains, notamment les cataphractaires ou cavaliers lourds, sont devenus célèbres dans l’Antiquité pour leur discipline et leur efficacité. Armés de lances, de sabres et d’arcs, et protégés par des armures métalliques qui recouvraient hommes et chevaux, ils étaient redoutés par leurs adversaires.
La structure sociale alaine reposait sur des clans dirigés par des chefs tribaux, souvent choisis pour leurs compétences militaires. Ces chefs jouissaient d’un pouvoir limité, dépendant de leur capacité à mobiliser des guerriers pour les expéditions de guerre ou de pillage. La royauté alaine, bien que présente, n’était pas stable ni centralisée ; elle s’articulait autour de figures charismatiques capables de fédérer les différentes tribus.
La religion des Alains était imprégnée de la culture des steppes. Ils vénéraient des divinités liées à la guerre, au feu et au soleil. L’un des rites les plus caractéristiques, mentionné par Ammien Marcellin, était l’adoration d’une épée plantée dans le sol, symbole de leur dieu guerrier. Ce culte rappelle les pratiques des Scythes et des Huns, suggérant une continuité spirituelle dans les traditions des peuples nomades d’Eurasie.
Les Alains méprisaient la mort de vieillesse, considérée comme une fin déshonorante. Mourir au combat était vu comme un idéal, une attitude partagée par d'autres peuples nomades et barbares. Ce trait illustre l’importance du courage et de l’honneur dans leur société, valeurs qui les rendaient particulièrement redoutables sur les champs de bataille.
Les Alains apparaissent sur la scène historique comme un peuple dynamique, impliqué dans de nombreuses interactions avec leurs voisins. Dès le Ier siècle, ils mènent des incursions dans les territoires perses, contribuant à la chute de l’Empire parthe et à l’émergence des Sassanides. Ces affrontements soulignent leur rôle en tant qu’acteurs majeurs des luttes pour le pouvoir en Eurasie.
Au IIe siècle, les Alains étendent leur influence plus largement dans les steppes et atteignent les montagnes du Caucase. Ils y établissent un royaume éphémère, consolidant leur présence dans cette région stratégique entre l’Europe et l’Asie. Leurs raids atteignent également les frontières de l'Empire romain, où leur cavalerie rapide et bien organisée pose de sérieux défis aux forces impériales.
Les premières migrations alaines vers l’ouest trouvent leur origine dans l’invasion hunnique des steppes eurasiennes à la fin du IVe siècle. En 375, les Huns, sous la direction de Balamber, écrasent les Alains. Cette défaite provoque une scission parmi eux. Certains groupes choisissent de se soumettre aux Huns et de s’intégrer à leur confédération, tandis que d’autres fuient vers l’ouest, entraînant un enchaînement de migrations qui bouleversera l’équilibre de l’Europe.
Ces Alains occidentaux s’allient à d’autres peuples barbares, tels que les Vandales et les Suèves, et franchissent le Rhin en 406-407. Ce mouvement marque le début de leur rôle central dans les Grandes Invasions, où ils participent à la désintégration progressive de l’Empire romain d’Occident
Les Grandes Invasions, déclenchées à partir du IVe siècle, marquent une période de profonds bouleversements en Europe. Sous la pression des Huns, des tribus germaniques et des peuples des steppes eurasiennes, l’Empire romain d’Occident commence à vaciller. Les Alains, un peuple nomade d’origine scythique, jouent un rôle clé dans ces mouvements, se trouvant à la croisée des dynamiques des peuples barbares et des politiques impériales romaines.
En 375, les Huns, dirigés par Balamber, traversent le Don et envahissent les territoires occupés par les Alains. Ce choc déstabilise profondément leur société, divisant les tribus alaines. Une partie se soumet aux Huns et intègre leur confédération militaire, tandis qu’une autre, menée par des chefs comme Respendial et Goar, choisit l’exil vers l’ouest.
Cette migration alaine marque leur entrée dans le monde romain et germanique. Chassés de leurs territoires originels, les Alains commencent à chercher de nouvelles terres, soit en s’alliant avec d'autres peuples en migration, soit en pactisant avec l’Empire romain pour obtenir des terres et des droits.
En 406-407, les Alains franchissent le Rhin gelé avec d'autres peuples barbares, dont les Vandales et les Suèves, lors de la célèbre traversée près de Mayence (Mogontiacum). Ce passage ouvre une voie aux Grandes Invasions, entraînant le pillage des provinces romaines de Gaule.
En Gaule :Sous le leadership de Respendial et de Goar, les Alains participent à la dévastation de villes comme Strasbourg, Reims, et Orléans. Toutefois, une division survient parmi eux :
En Hispanie :En Hispanie, les Alains s’installent principalement en Lusitanie (actuel Portugal) et dans les plateaux du centre de la péninsule ibérique. Ils y établissent une domination brutale, utilisant leur cavalerie lourde pour contrôler les populations locales. Cependant, leur règne est de courte durée. En 418, les Wisigoths, sous le commandement de Rome, les délogent de leurs territoires.
En 429, Geiseric, roi des Vandales, invite les Alains à se joindre à son expédition en Afrique du Nord. Ensemble, ils traversent la Méditerranée avec environ 80 000 hommes, s’emparant de Carthage en 439. Geiseric adopte le titre de "Roi des Vandales et des Alains", marquant l’union entre les deux peuples. En Afrique, les Alains contribuent à la fondation du royaume vandale, un État qui contrôlera des territoires stratégiques pour le commerce méditerranéen, notamment en Tunisie et en Algérie.
Bien que leur identité ethnique commence à se diluer, leur influence militaire persiste, notamment grâce à leur cavalerie. Le royaume vandale, dans lequel les Alains sont intégrés, devient une puissance redoutable, menant des raids jusqu’en Italie et en Grèce. Cependant, cet État sera détruit par la reconquête byzantine menée par Bélisaire en 534.
L’un des épisodes les plus célèbres de l’histoire des Alains est leur participation à la bataille des Champs Catalauniques, près de Troyes, en 451. À cette époque, les Alains de la Loire, sous le commandement de Sangiban, rejoignent la coalition romaine dirigée par Aetius pour affronter les Huns d’Attila.
Rôle central :Les Alains occupent le centre du dispositif militaire romain, une position critique face à la cavalerie hunnique. Leur cavalerie lourde, les cataphractaires, joue un rôle décisif en freinant l’assaut des Huns, bien que leur loyauté ait été mise en doute. Sangiban aurait envisagé de se rendre à Attila avant d’être contraint de rester dans la coalition.
Une bataille emblématique :Bien que la bataille ne soit pas une victoire totale pour les Romains et leurs alliés, elle marque un coup d’arrêt à l’expansion hunnique en Europe occidentale. Les Alains, en tant que peuple fédéré, y renforcent leur réputation militaire.
Après les Grandes Invasions, les Alains perdent progressivement leur identité en Occident. Leur faible démographie et leur dispersion parmi d’autres peuples barbares comme les Vandales, les Wisigoths et les Burgondes accélèrent leur assimilation.
Malgré leur disparition en tant que peuple distinct en Occident, les Alains laissent un héritage culturel et militaire notable :
Les Alains, bien que souvent éclipsés par d’autres peuples barbares, occupent une place unique dans l’histoire des Grandes Invasions. Leur trajectoire illustre l’adaptabilité des peuples nomades face aux bouleversements historiques et leur rôle décisif dans la transformation de l’Europe antique en Europe médiévale.
Bien qu'ils aient été peu nombreux, les Alains ont eu un impact disproportionné sur l’histoire européenne. Leurs compétences militaires, en particulier leur cavalerie lourde, ont marqué les armées romaines tardives et leurs successeurs barbares. Leur intégration dans les royaumes vandale et wisigoth illustre leur capacité à influencer des cultures plus établies.
Les Alains, nomades des steppes devenus acteurs majeurs des migrations barbares, illustrent la dynamique complexe des relations entre Rome et ses périphéries, ainsi que l’émergence des nouvelles identités européennes dans le sillage des Grandes Invasions.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Septembre 2010