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10 - LE MÉSOLITHIQUE D’IBÉRIE

Le Mésolithique ibérique se caractérise par une transition marquée dans la répartition des établissements humains et une réorganisation de l’économie de subsistance, motivée par des changements environnementaux et climatiques majeurs. Jusqu’à la fin de l’ère glaciaire, les chasseurs-cueilleurs s’étaient installés de façon dense aussi bien à l’intérieur de l’Ibérie que dans les régions côtières, notamment dans les Asturies, la Cantabrie, le Pays basque, l’Estrémadure portugaise, ainsi que dans la vaste arche méditerranéenne, qui s’étendait de Gibraltar aux Pyrénées orientales. Les preuves de cette présence sont particulièrement illustrées par les sites d’art rupestre et d’habitation en plein air, comme ceux de la vallée de la rivière Côa, dans le bassin du Douro. Cependant, après cette période, les mesetas intérieures témoignent d’un déclin notable d’occupation humaine jusqu’aux environs de 4000 av. J.-C., période où elles sont réinvesties de manière significative par des communautés agricoles.

Les raisons de cette réorganisation majeure de la répartition humaine, marquée par un abandon des régions intérieures au profit des côtes, sont probablement à chercher dans les changements climatiques soudains qui marquent la transition de la période Dryas III au Préboréal, vers 9500 av. J.-C. À ce moment, les températures moyennes augmentent de plusieurs degrés en l’espace d’une génération, entraînant des modifications rapides dans les écosystèmes. La montée des eaux, conséquence de la fonte des glaces, submerge également les vastes plateformes littorales au-delà des côtes actuelles, en particulier le long de l’Atlantique. Face à cette évolution, un déplacement vers une dépendance accrue aux ressources aquatiques est observable dans toutes les zones côtières de la péninsule ibérique, où les eaux riches en poissons et en crustacés deviennent un élément central des régimes alimentaires des chasseurs-cueilleurs mésolithiques.

Cette adaptation aux ressources aquatiques avait, en réalité, déjà commencé à émerger au Magdalénien (entre environ 17000 et 12000 av. J.-C.), notamment dans des régions comme la côte cantabrique et la baie de Malaga. Le relief sous-marin abrupt de ces zones côtières a permis la préservation de sites aujourd’hui proches du rivage, fournissant ainsi un enregistrement précieux des adaptations des chasseurs-cueilleurs paléolithiques et mésolithiques. Ailleurs, ces vestiges ont été effacés par la montée des eaux.

L’impact de ces changements se reflète aussi dans les différences observées dans les sites mésolithiques portugais, en fonction de leur distance par rapport à la côte. Avant la transition Dryas III-Préboréal, les sites situés à moins de 10 kilomètres de la mer ne contiennent pratiquement pas de coquilles marines. Après cette transition, les dépôts de coquillages deviennent omniprésents, même à plus de 40 kilomètres de la côte. Cela suggère que les communautés mésolithiques transportaient des ressources côtières, probablement par voie d’eau, jusqu’à leurs camps intérieurs saisonniers. Le réseau fluvial du Mésolithique, alimenté par des précipitations abondantes, permettait des déplacements rapides en canoë, offrant ainsi des voies de communication naturelles et facilitant le transport des ressources.

Dans ce contexte, l’aire d’exploitation économique semble avoir triplé, passant d’environ 500 kilomètres carrés durant le Paléolithique supérieur à environ 1500 kilomètres carrés au Mésolithique. Ce changement reflète une expansion des réseaux d’acquisition des ressources, avec des campements résidentiels le long de la côte servant de base pour les incursions saisonnières vers l’intérieur.

Cette réorganisation explique aussi en partie l’abandon apparent des mesetas ibériques intérieures. Contrairement aux régions d’Europe au nord des Pyrénées, où des lacs et des cours d’eau permanents permettaient une occupation plus soutenue de l’arrière-pays, l’intérieur de l’Ibérie est pauvre en lacs naturels et les rivières, même les plus grandes, tendent à s’assécher en été. La densité de végétation forestière dans ces zones rendait aussi l’accès difficile et peu propice à la chasse et à la cueillette, un schéma que l’on observe également dans d’autres régions isolées à forte densité forestière, comme le sud-ouest de la Tasmanie.

Les données archéologiques portugaises suggèrent qu’en comparaison avec le Paléolithique supérieur, la densité de population et la taille globale des communautés mésolithiques ibériques ont dû diminuer de manière significative. En effet, la réduction des terres habitables due à la montée des eaux a entraîné une baisse du nombre d’individus susceptibles de s’installer dans ces zones réduites, tandis que les territoires exploités par chaque groupe semblaient s’étendre pour compenser cette perte d’espace.

Une comparaison intéressante est celle des chasseurs-cueilleurs de Tasmanie au XVIIe siècle, où des bandes de jusqu’à 50 personnes utilisaient des camps résidentiels situés dans les principaux estuaires le long de la côte, avec des intervalles de 50 à 100 kilomètres. Cette stratégie pourrait avoir été similaire à celle des groupes mésolithiques de la côte atlantique de l’Ibérie, dont les modes de subsistance étaient également axés sur les ressources aquatiques, et dont les conditions environnementales étaient comparables.

Ces observations mettent en évidence la complexité des stratégies d’adaptation des sociétés mésolithiques ibériques, illustrant comment les changements climatiques et environnementaux ont façonné leurs modes de vie et d’occupation du territoire. Les côtes et estuaires sont devenus des pôles de subsistance cruciaux, tandis que l’intérieur perdait progressivement son attractivité en raison des contraintes climatiques et hydrologiques de la région.
 

LA CÔTE CANTABRIQUE


Le Mésolithique de la côte cantabrique en Espagne présente une transition culturelle marquée, de l’Azilien à l’Asturien, en phase avec le passage d’un climat glaciaire à un climat tempéré au cours de la période préboréale. L'Azilien, qui se développe dans la continuité du Magdalénien, repose sur des outils en pierre et des microlithes, intégrant également des harpons en os modifiés. Avec l'Asturien, la technologie se transforme, mettant en avant des outils de galets macrolithiques, caractéristiques de cette culture. La majorité des sites asturiens se trouvent sous forme de « coquilles », des accumulations de coquilles de mollusques, dans des abris sous roche ou à l'entrée de grottes, situés dans l’étroite bande de plaines et de basses terres entre la mer et les montagnes cantabriques.

L'outil emblématique de cette période est le « pic asturien », un galet plat et naturel, de 8 à 10 centimètres, dont un côté est façonné en pointe unifaciale et triangulaire, probablement utilisé pour la récolte de plantes. Les restes alimentaires de ces sites témoignent d’une exploitation variée des ressources : mollusques, poissons et mammifères terrestres. Les espèces de patelles et de monodontes dominent parmi les mollusques, tandis que les cerfs rouges, aux côtés d’aurochs, chevaux, sangliers, chevreuils, chamois et bouquetins, constituent une source importante de protéines animales. Les observations saisonnières suggèrent que la collecte de mollusques, particulièrement intensive en période froide, complétait les régimes alimentaires lorsque les ressources végétales étaient limitées.

Outre les sites côtiers, des installations spécialisées plus en altitude et des sites intermédiaires existent, bien que leur rôle dans le système d'occupation demeure à préciser. Les matériaux utilisés pour les outils, présents en abondance dans certaines zones, indiquent des territoires d’exploitation relativement restreints, ce qui laisse penser que ces sites intermédiaires représentaient probablement des adaptations locales distinctes plutôt que des extensions des sites côtiers.

La culture asturienne n’a laissé aucun vestige artistique, mais des pratiques funéraires sont documentées. La sépulture d’une femme âgée découverte dans le site de coquille de Molino de Gasparín, mise au jour en 1926, en est un exemple notable. Cette femme reposait en position allongée, avec trois pics disposés près de sa tête et recouverte d’un monticule sur lequel un feu avait été allumé. D’autres sépultures, comme celles de la grotte Los Canes, révélées entre 1985 et 1990, témoignent d’une complexité accrue des pratiques funéraires. Ces inhumations, datées de 6000 à 5000 av. J.-C., incluent des corps parés d’ornements tels que des dents percées et des coquillages, associés à des outils en os et des restes d’animaux, peut-être des offrandes de viande. Les corps étaient déposés dans diverses positions et témoignent d’une diversité de rituels funéraires.

Les observations paléopathologiques indiquent une détérioration de la santé dentaire au fil du temps, possiblement due à une alimentation de plus en plus riche en glucides, notamment en végétaux. La région présente également les premiers indices de poterie, datée de 4900 av. J.-C., comme le montrent les analyses au carbone 14 de restes de charbon dans une gaine en céramique à Los Canes. Bien que l’agriculture n’apparaisse que vers 4200 av. J.-C., cette poterie indique l’existence d’échanges avec des groupes agricoles situés dans le bassin supérieur de l’Èbre, suggérant une adoption sélective de technologies par les chasseurs-cueilleurs, sans domestication immédiate des plantes ou des animaux.

Malgré l’introduction de la poterie, les chasseurs-cueilleurs mésolithiques continuent de prospérer jusqu’à au moins 4300 av. J.-C., comme en témoignent les couches archéologiques des sites de Pico Ramos et de La Trecha. En Cantabrie, de même qu’en Galice et dans le nord-ouest du Portugal, l’apparition de l’agriculture et de l’élevage semble coïncider avec l’essor des mégalithes, au cours de la seconde moitié du cinquième millénaire av. J.-C. Ce développement paraît être un processus local et graduel, marqué par un haut niveau de continuité culturelle et une adoption progressive des innovations agricoles et technologiques.Au-delà de la zone asturienne, les assemblages de la région basque, appelés « post-aziliens », révèlent des outils en pierre caractérisés par des microlithes en silex géométriques. Les pratiques d’inhumation dans ces régions sont exemplifiées par la sépulture d’un homme accompagné d’un chien sans tête et d’un agneau dans la grotte de Marizulo, datée de 4150 av. J.-C., qui constitue la première preuve concrète de pratiques agricoles dans cette région.

En somme, le Mésolithique de la côte cantabrique témoigne de profondes adaptations culturelles et économiques, façonnées par les changements environnementaux et par les échanges avec les cultures agricoles. Ces communautés de chasseurs-cueilleurs illustrent une transition progressive vers des modes de vie plus sédentaires et agro-pastoraux, tout en conservant une grande part de leur héritage mésolithique.


LA FAÇADE OUEST

La côte ouest de la péninsule ibérique, englobant la Galice et le nord-ouest du Portugal, révèle des traces d’occupation mésolithique marquée par des assemblages d’outils de pierre, notamment des pics de type asturien et divers outils en pierre réalisés à partir de galets de plage. Bien que les sites ne contiennent pas de restes organiques en contexte, l’abondance d’outils lithiques, en particulier dans des habitats similaires à ceux de la côte cantabrique, suggère des schémas d’occupation et d’organisation des ressources comparables. Au sud du fleuve Mondego, plusieurs sites préboréaux et boréaux attestent de cette occupation, suivant un schéma géographique qui rappelle celui du Paléolithique supérieur, mais adapté aux changements environnementaux et à la disponibilité accrue des ressources aquatiques.

L’intensification de l’exploitation des ressources aquatiques et des changements dans la composition faunique – marqués par un déclin des grands mammifères de la toundra glaciaire et l’expansion d’espèces adaptées aux forêts – témoigne des ajustements de subsistance. En effet, les cerfs rouges, les aurochs, les chevreuils et les sangliers dominent les assemblages fauniques, tandis que les chevaux et autres espèces de plaines se concentrent dans des habitats spécifiques.

Les sites de cette époque peuvent être classés en trois catégories : de grands sites en plein air dans les zones intérieures avec divers types d’armatures, indiquant une exploitation de ressources terrestres ; de petits sites côtiers riches en restes de mollusques, correspondant aux anciens estuaires lorsque le niveau de la mer était plus bas ; et enfin, quelques grottes et abris sous roche contenant des assemblages mixtes de ressources terrestres et côtières, suggérant une occupation temporaire ou saisonnière.

Les grands sites du sud du Portugal, tels que Palheiros do Alegra et Barca do Xarês, correspondent à des palimpsestes qui résultent de multiples occupations spécialisées et répétées. À partir de l’optimum climatique atlantique vers 6500 av. J.-C., on observe une réorganisation de l’occupation autour des estuaires des rivières Mondego, Tage, Sado et Mira, avec des sites tels que les célèbres « middens » de Muge. Ces amas de coquilles témoignent d’une exploitation accrue des mollusques et suggèrent une sédentarité partielle, renforcée par la présence de cimetières sur ces sites, indiquant des liens territoriaux transmis au fil des générations. Les analyses isotopiques de squelettes exhumés à Muge et dans la vallée du Sado montrent que les aliments aquatiques composaient environ 50 % de l’alimentation, illustrant l’importance des ressources estuariennes dans le régime mésolithique.

L’occupation des estuaires atteint son apogée vers 6000 av. J.-C., mais se prolonge jusqu’à environ 4750-5000 av. J.-C. Parallèlement, vers 5500 av. J.-C., des communautés d’agriculteurs néolithiques s’installent dans les massifs calcaires entre le Tage et le Mondego. Ces groupes introduisent de nouveaux éléments culturels, notamment des poteries cardiales, des haches en pierre polie et des ornements, et exploitent un régime alimentaire entièrement terrestre. Ces premières communautés agricoles coexistent avec les chasseurs-cueilleurs, mais l’analyse isotopique suggère deux régimes alimentaires distincts, marquant une séparation nette entre les économies mésolithiques et néolithiques.

L’absence de sites mésolithiques postérieurs à l’optimum climatique dans les zones de peuplement néolithique, ainsi que les similarités culturelles entre le Néolithique portugais et celui des régions méditerranéennes, suggèrent que l’agriculture a probablement été introduite par de petits groupes d’agriculteurs pionniers plutôt que par une évolution locale. Ces groupes se seraient ensuite intégrés aux populations mésolithiques par des mariages et des échanges culturels. Une hypothèse alternative propose que les chasseurs-cueilleurs des massifs calcaires de l’Estrémadure auraient progressivement adopté l’agriculture, tandis que les communautés mésolithiques des estuaires auraient conservé leur mode de vie traditionnel pendant plusieurs siècles supplémentaires.

Les études sur les caractéristiques morphologiques des squelettes humains des deux périodes révèlent une certaine continuité, appuyant l’idée d’une assimilation culturelle plutôt que d’une rupture génétique significative entre les deux populations. Toutefois, la divergence des pratiques et des stratégies économiques entre les communautés des estuaires et celles des massifs calcaires montre que les chasseurs-cueilleurs mésolithiques et les premiers agriculteurs maintenaient des systèmes de subsistance distincts, malgré une proximité géographique et des échanges potentiels.

En somme, la façade ouest de la péninsule ibérique offre une vue complexe et nuancée de la transition entre le Mésolithique et le Néolithique. Elle met en évidence non seulement des changements technologiques et économiques, mais aussi des réponses adaptatives différenciées qui reflètent les interactions uniques entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs pionniers dans ce paysage riche et varié.


L’ARCHE MEDITERRANEENNE

Le long de la côte méditerranéenne de la péninsule ibérique, entre Gibraltar et Valence, se révèle une continuité culturelle notable à travers la transition entre le Pléistocène et l’Holocène (vers 9500 av. J.C.). Cette transition, similaire à celle de la côte cantabrique entre le Magdalénien et l’Azilien, montre une évolution progressive des industries de lames magdaléniennes vers une période appelée épipaléolithique microlaminaire méditerranéen. Cette dernière est marquée par une réduction de la taille et de la diversité des outils de lame, désormais limités à quelques éléments adossés, et par la raréfaction, voire la disparition, des outils en os. Les premiers assemblages de ce type datent de la fin de la dernière période glaciaire, juste avant la transition climatique entre le Dryas III et le Préboréal, et s’étendent jusqu’au milieu du VIIIe millénaire av. J.C.

Avec le changement climatique, les communautés montrent une dépendance accrue envers les ressources aquatiques. Ce phénomène, amorcé durant le Magdalénien, est particulièrement visible dans les niveaux de la grotte de Nerja, où les restes de poissons abondent. Les poissons, autrefois cinq fois plus rares que les lapins dans les niveaux magdaléniens, deviennent dix fois plus nombreux dans les niveaux préboréaux. En complément, la collecte de mollusques marins et terrestres ainsi que de pignons de pin et de glands est attestée, bien que la viande de cerf rouge et de bouquetin demeure la principale source de protéines animales, comme dans les périodes précédentes. Les restes de phoques et diverses espèces d’oiseaux, dont les canards et les perdrix, indiquent un menu élargi.

Les données disponibles sur la saisonnalité suggèrent que Nerja était fréquentée en automne et en hiver, périodes durant lesquelles l’exploitation des ressources aquatiques pourrait avoir joué un rôle essentiel. Les activités estivales et les campements de cette saison restent hypothétiques, en raison de la prédominance des grottes et abris sous roche dans les sites archéologiques, ce qui limite la compréhension de l’établissement mésolithique inférieur dans la région.

Après 7000 av. J.C., les assemblages d’outils en pierre évoluent vers ce que l’on appelle l’épipaléolithique géométrique méditerranéen. Celui-ci se caractérise par une production d’armatures géométriques (trapèzes, triangles) fabriquées avec la technique de microburin. La séquence de la grotte de Cocina montre une phase ancienne dominée par des trapèzes, suivie d’une phase ultérieure dominée par des triangles, parallèle aux évolutions observées dans les middens de Muge au Portugal. Le bouquetin, principal gibier documenté dans ces sites de montagne, témoigne probablement d’un biais d’échantillonnage dû à la localisation des sites en zones montagneuses.

L’exploitation des milieux aquatiques – marais, estuaires et lagunes – est documentée par des sites comme El Collado (Valence), où les coquillages abondent et où l’on a trouvé plusieurs sépultures. Quinze individus y ont été inhumés, souvent en position fléchie avec les pieds rentrés, suggérant un ensachage ou un baguage des corps.

Les premières preuves d’agriculture dans la région apparaissent vers 5500 av. J.C., comme l’attestent des datations directes de restes de céréales provenant des sites de Mas d’Is (un campement en plein air) et de La Falguera (un abri sous roche). Cette période voit aussi l’introduction d’une culture matérielle néolithique : des poteries, des haches en pierre polie, des céréales (blé et orge), ainsi que des moutons domestiques. Une nouvelle technique de taille sous pression pour produire des outils lamellaires, parfois préalablement chauffés, remplace celle de la microburin. Les microlithes géométriques, surtout trapézoïdaux, semblent utilisés en majorité comme lames de faucilles, tandis que les foreurs à pointes épaisses et allongées font leur première apparition. Cette discontinuité dans l’outillage et l’économie suggère une intrusion culturelle en provenance des cultures cardiales plus au nord-est.

La présence de quelques fragments de poterie cardiale dans les niveaux supérieurs des séquences de Cocina pourrait refléter une interaction entre les nouveaux agriculteurs et les chasseurs-cueilleurs locaux, ce qui aurait conduit ces derniers à adopter progressivement des pratiques agricoles et pastorales. Le style macroschématique des peintures rupestres, retrouvé dans les décors des poteries de la région, témoigne également de cette influence culturelle.

Les sites de peintures rupestres, en particulier ceux d’Alicante (comme La Sarga), montrent des superpositions d’art levantin – souvent interprété à tort comme mésolithique en raison de ses thèmes animaliers et de chasse – avec des motifs plus récents datant du Néolithique supérieur et de l’âge du cuivre. Les seules manifestations artistiques clairement mésolithiques dans la région sont représentées par des dalles de calcaire ornées de motifs linéaires et géométriques, comme celles découvertes dans la grotte de Cocina.

En somme, la région méditerranéenne ibérique témoigne d’une transition culturelle marquée, d’abord par une adaptation accrue aux ressources aquatiques, puis par une transition néolithique influencée par des contacts extérieurs et caractérisée par une intégration progressive des innovations agricoles et pastorales.


LE BASSIN DE L’ÈBRE

Le bassin de l’Èbre présente une répartition géographique des sites mésolithiques en trois groupes distincts: l’Aragon inférieur, à environ 60 kilomètres du delta, où se situent des sites célèbres comme Botiquería dels Moros et Costalena; la région pyrénéenne, qui s’étend à travers les montagnes et leurs contreforts, de la Navarre à l’ouest jusqu’à l’Andorre et au nord de la Catalogne, avec des sites importants tels que La Balma de la Margineda et Aizpea; et enfin, le groupe de l’Èbre supérieur, localisé dans la province d’Alava, incluant des sites comme Kanpanoste Goikoa et Mendandia. La séquence culturelle de ces régions est remarquablement homogène sur cette vaste zone d’environ 85 000 km² et montre une transition progressive du Magdalénien à des assemblages de petites lames aziliennes similaires à ceux trouvés dans les régions méditerranéennes.

Les sites catalans de Sant Gregori de Falset et Filador ont livré deux rares objets d’art portables bien datés de cette période de transition: une dalle gravée représentant une biche et un galet peint de lignes parallèles. À partir de 8000 av. J.C., les assemblages se diversifient avec l’apparition de microlithes denticulés et encochés typiques du Sauveterrien, indiquant la fin de la période de transition. Après environ 7000 av. J.C., des assemblages de lames et de trapèzes, caractéristiques de l’épipaléolithique microlaminaire méditerranéen, commencent à se répandre, marquant un développement vers une technologie d’outils plus sophistiquée. Dans la dernière phase, de nouveaux types géométriques comme les triangles de type Cocina apparaissent, ainsi que des points de Sonchamps dans les sites pyrénéens occidentaux.

Les restes alimentaires trouvés dans ces sites sont principalement constitués d’os de mammifères terrestres, incluant cerfs rouges, chevreuils, bouquetins, chamois, sangliers, aurochs, chevaux et lapins. Le site abrité d’Aizpea, avec ses conditions de conservation exceptionnelles, a également révélé une grande quantité de restes de poissons, ainsi que de nombreux outils en os, en particulier des hameçons, suggérant une exploitation intensive des ressources fluviales et illustrant le rôle crucial des aliments d’eau douce dans la colonisation des zones intérieures.

L’économie locale reposait également sur l’exploitation des plantes forestières, comme en témoignent les coquilles de noisettes et les restes de pommes sauvages et d’autres fruits retrouvés dans les sites mésolithiques. Les escargots terrestres, tels que Cepaea nemoralis, dont les coquilles sont nombreuses dans certains sites, semblent avoir été introduits comme source de nourriture. Une découverte notable est celle d’un squelette féminin retrouvé sur le dos contre le mur de l’abri à Aizpea, sans artefacts associés, daté de la dernière période géométrique, unique sépulture mésolithique identifiée dans la région à ce jour.

L’arrivée du Néolithique dans le bassin de l’Èbre est documentée par des sites de grottes pyrénéennes comme La Balma de la Margineda et Chaves, qui ont révélé des niveaux contenant des poteries cardiales ainsi que des restes de moutons et chèvres domestiqués. Les datations au radiocarbone suggèrent une contemporanéité avec les sites valenciens, et la similitude des pratiques indique une propagation de l’agriculture suivant des modèles observés plus au sud.

Enfin, le site lacustre de La Draga, situé à Banyoles, dans le nord de la Catalogne, fournit une vision unique de la vie néolithique dans cette région. Vers 5000 av. J.C., et probablement plus tôt, la colonisation néolithique était déjà bien organisée en villages permanents. Ces habitations, faites de bois, étaient construites en hauteur, mesurant de 3 à 4 mètres, et utilisaient des planches et des poteaux de chêne, illustrant une forme de sédentarisation stable et l’émergence de structures sociales et économiques plus complexes dans le nord de l’Espagne durant le Néolithique.



Références :

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Auteur : Stéphane Jeanneteau

Avril 2015