À l’aube de la période boréale, vers 8000 av. J.C., les Balkans présentent un environnement largement similaire à celui que l’on connaît aujourd’hui, mais la région révèle un modèle de peuplement mésolithique peu dense. Bien que les chasseurs-cueilleurs soient bien documentés en Europe centrale et septentrionale, les Balkans montrent une répartition inégale de sites, souvent le long de la côte égéenne, dans les montagnes des Alpes dinariques, le long du Danube et dans quelques régions intérieures telles que la Thessalie. Ce peuplement clairsemé a mené certains chercheurs à avancer que de grandes portions de la région étaient inhabitée durant le postglaciaire, hypothèse qui s’est imposée comme une théorie répandue dans la recherche archéologique. On suppose que la société mésolithique dans les Balkans se composait de petites bandes exogames, partageant des territoires et accédant collectivement aux ressources disponibles, avec une faible densité de population permettant une relative stabilité territoriale sans conflits majeurs.
Avec l'arrivée du Néolithique, la Thessalie devient une région pivot pour l’émergence de communautés agricoles, grâce à l’installation de colons venus du Proche-Orient. Ces nouveaux arrivants auraient apporté avec eux les connaissances nécessaires pour la culture des terres et l’élevage, une transition révolutionnaire qui a permis de surmonter les défis de subsistance liés au mode de vie de chasseurs-cueilleurs. Cette approche agro-pastorale a favorisé l'accumulation de ressources, réduisant ainsi la nécessité de partage et augmentant la capacité de ces sociétés à gérer les incertitudes environnementales, tout en introduisant des pratiques de redistribution de surplus.
Le modèle de "néolithisation" communément admis suppose que ces premiers agriculteurs anatoliens, avec leurs compétences, se sont installés d’abord dans les plaines fertiles de Thessalie, établissant les premières colonies permanentes. La diffusion des techniques agricoles aurait ensuite été facilitée par la migration de ces communautés néolithiques vers le nord, à travers une zone dynamique d’expansion agricole. Cette phase initiale se manifeste par l'apparition de poteries monochromes et précéramiques dans le sud des Balkans, identifiant la Thessalie comme le cœur de la propagation néolithique. Au fur et à mesure de la migration, ces pionniers ont apporté avec eux de nouveaux styles de poterie, comme la céramique peinte en blanc ou en rouge, dont la dispersion marque la progression des populations néolithiques vers le bassin sud des Carpates, formant le complexe Starčevo-Körös-Criş.
Le phénomène de dispersion des communautés néolithiques prend également racine dans l’introduction de la poterie Cardial-Impresso le long de la côte Adriatique, un style distinctif qui se développe le long du littoral ionien et adriatique. Cette poterie incisée à la cardiale, caractérisée par des motifs imprimés à l'aide de coquillages, souligne la particularité culturelle et géographique des communautés installées près des côtes par rapport à celles de l'intérieur. Ces mouvements de population se traduisent par une expansion démographique régulière en Europe, tirée par les excédents agricoles qui ont non seulement permis la subsistance mais aussi une croissance de la population, capable de s’implanter dans de nouvelles régions en absorbant ou en remplaçant les chasseurs-cueilleurs autochtones clairsemés.
L'introduction de la poterie est un autre tournant culturel majeur, qui accompagne l’apparition de la sédentarité et renforce l’identité des communautés agricoles. Selon V. Gordon Childe, la poterie est un marqueur universel de la transition vers le Néolithique, illustrant l’origine et l’unité culturelle des premiers agriculteurs. La présence de fragments de poterie sur un site est ainsi souvent interprétée comme une preuve néolithique, même en l’absence d'autres indicateurs agricoles, car elle marque un changement fondamental dans les pratiques domestiques, notamment dans la conservation des aliments et la préparation des repas. En Thessalie, la poterie monochrome fabriquée par les premiers agriculteurs anatoliens a été rapidement remplacée par des styles plus diversifiés à mesure que les pratiques agricoles se diffusaient vers le nord.
Au cours de la dernière partie du septième millénaire av. J.C., une forme plus consolidée de communautés agricoles émerge dans les Balkans, avec des colonies bien distinctes dans le sud et dans le nord des Balkans. Les sites du sud montrent des similitudes étroites avec les colonies grecques contemporaines, tandis que les sites nordiques, associés aux cultures Starčevo-Körös-Criş, démontrent une adaptation unique aux conditions continentales tempérées. Les différences dans la culture matérielle, notamment dans les styles de poterie, soulignent la diversité au sein des Balkans néolithiques. Le complexe sud, représenté par les cultures de Kremikovci et Karanovo I, se distingue par une forte influence des pratiques agricoles grecques, tandis que le complexe nord adopte des éléments locaux et se développe indépendamment en réponse aux spécificités environnementales du centre des Balkans.
À partir du sixième millénaire av. J.C., la poterie peinte devient la norme dans l’intérieur des terres, alors que la technique Cardial-Impresso continue d’être pratiquée le long de la côte adriatique. Ce phénomène suggère une différenciation culturelle marquée entre les côtes et l’intérieur, reflet d’échanges limités entre les communautés de l’Adriatique et celles des plaines intérieures. Dans cette période de diversification régionale, les colonies balnéaires démontrent une continuité avec les pratiques établies par les chasseurs-cueilleurs mésolithiques, tandis que les colonies continentales, influencées par les cultures de Grèce et d’Anatolie, illustrent l’émergence de nouvelles formes d’organisation sociale et économique.
La période qui suit l'adoption des premières innovations céramiques et néolithiques par les chasseurs-cueilleurs des Balkans voit l'émergence de communautés agricoles consolidées et diversifiées au cours du dernier quart du septième millénaire et du début du sixième millénaire avant J.-C. Dans cette phase de transition, la distinction géographique et culturelle entre le sud et le nord des Balkans devient manifeste, avec des particularités notables entre les établissements des plaines inondables méridionales et les colonies adaptées aux climats continentaux tempérés du nord. Deux principaux complexes culturels illustrent cette diversité : le complexe Kremikovci-Karanovo I, au sud, et le complexe Starčevo-Körös-Criş, plus au nord.
Dès 6200 av. J.-C., les communautés du complexe Kremikovci-Karanovo I s'établissent autour des rivières de l'ouest et du sud de la Bulgarie, un choix stratégique pour exploiter les sols fertiles alluviaux, propices à l’agriculture naissante. Ces groupes bâtissent des habitations rectangulaires en bois et en argile, utilisant une architecture simple, mais bien adaptée aux matériaux locaux. Contrairement aux constructions plus massives de Grèce, les habitations du complexe Kremikovci-Karanovo sont dépourvues de fondations en pierre et de briques crues, formant des hameaux où les habitations se superposent avec le temps pour constituer des monticules stratifiés (ou tells).
Les fouilles à Chevdar et Karanovo, deux sites néolithiques majeurs de la Bulgarie, révèlent une agriculture diversifiée, avec des cultures de blé amidonnier, de pois, de haricots et d’autres légumineuses, témoignant d’une gestion agricole avancée. Les pratiques d’élevage s’y concentrent principalement sur les moutons et les chèvres, avec un rôle secondaire pour les bovins et les porcs. La poterie y est également très élaborée, avec des céramiques d’abord monochromes blanches, puis peintes en rouge, marquées par des formes variées et une sophistication technique croissante.
Ces communautés produisent aussi des figurines anthropomorphes et zoomorphes, une production qui s’étend de la Macédoine à la Hongrie. Bien que l'interprétation précise de ces objets reste incertaine, elles semblent jouer un rôle dans les rituels sociaux, renforçant les structures communautaires et marquant des valeurs culturelles partagées, selon l’analyse de l’archéologue Douglass Bailey. Ces figurines, surtout féminines ou asexuées, pourraient symboliser des mythes ou des rituels liés à la fertilité et à l’identité communautaire.
Les sites de Kremikovci-Karanovo montrent des pratiques funéraires limitées, avec des sépultures principalement réservées aux enfants et aux nourrissons, enterrés sous les planchers des maisons ou dans des fosses à ordures. Lorsque des objets funéraires accompagnent les inhumations, ils incluent souvent des récipients en céramique et des ornements en os ou en silex, suggérant que ces communautés pratiquent des rites funéraires sobres mais symboliquement chargés. L’emplacement des tombes dans ou près des habitations laisse penser que ces sépultures participaient à la consolidation de l’identité familiale ou communautaire.
Dans les régions du centre et du nord des Balkans, le complexe Starčevo-Körös-Criş se développe et s'étend dans le bassin des Carpates, incluant des groupes culturels identifiés comme Starčevo en Serbie, Körös en Hongrie et Criş en Roumanie. La céramique distinctive de ce complexe, majoritairement monochrome et souvent ornée de stries et de motifs imprimés, est une signature culturelle des communautés néolithiques dans cette vaste région. L'argile y est traitée avec des techniques rudimentaires, incluant la barbotine rugueuse, mais les styles évoluent progressivement avec l'adoption de motifs blancs ou rouges.
L'émergence de ce complexe est souvent associée à une migration vers le nord des populations des Balkans méridionaux. Les sites tels que Gura Baciului en Transylvanie marquent des points d’implantation clés, où les communautés adaptent leurs techniques agricoles à des sols et des climats différents. La culture Starčevo, introduite par des fouilles dans les années 1920, trouve ainsi une correspondance géographique et culturelle dans les régions proches du Danube et du bassin de la Körös en Hongrie. Ces lieux révèlent une organisation sociale et économique adaptée aux zones de plaine, avec des pratiques agricoles rudimentaires et des élevages restreints.
Le complexe Starčevo-Körös-Criş montre une agriculture encore limitée, avec des traces de blé épeautre, d’orge à six rangs et de pois, bien que les archéologues aient noté une attention insuffisante à la récupération des graines dans les fouilles antérieures. Les animaux domestiqués incluent surtout des moutons et des chèvres, alors que les bovins et les porcs, bien qu’identifiés, ne jouent pas un rôle prépondérant. Les populations locales semblent également exploiter les ressources naturelles de manière opportuniste : les restes d'aurochs sauvages et de poissons, en particulier sur les sites de Transylvanie et de la vallée de la Körös, montrent que la pêche et la chasse sont des compléments majeurs à l’économie de subsistance.
Les établissements le long des rivières dans la région de la Körös exploitent pleinement les ressources aquatiques. Les os de poissons abondent, soulignant la dépendance de ces groupes envers un environnement riche en poissons. La pêche, notamment dans les habitats fluviaux et marécageux de la Hongrie méridionale, est complétée par l’élevage de bovins et la collecte de fruits sauvages, ce qui illustre l’adaptabilité de ces communautés à divers milieux.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Janvier 2013