Le Mésolithique en Europe est une période marquée par de profondes transformations dans les modes de vie et les technologies des groupes humains, en réponse à l’installation définitive du milieu forestier et au retrait des glaciers. La fin du Paléolithique supérieur voit ainsi les cultures de chasseurs-cueilleurs adapter leurs outils et stratégies de subsistance pour tirer parti d'un environnement radicalement transformé par l’Holocène. Au cours de cette période, les microlithes et les lamelles deviennent des éléments clés des armatures de chasse, tandis que l’usage de l’arc se généralise, augmentant la précision et l’efficacité des pratiques de chasse. L’apparition de microlithes géométriques, façonnés par la fracturation de lamelles et des retouches minutieuses, donne naissance à une gamme d’outils de petite taille, comme les triangles et segments de cercle, qui reflètent l’évolution technique de cette époque.
En Europe, plusieurs cultures mésolithiques développent leurs propres traditions lithiques et pratiques de subsistance, souvent influencées par les héritages locaux du Paléolithique supérieur :
L'Épigravettien est une culture tardive de l'Europe méditerranéenne, dérivant directement du Gravettien. À la différence des Magdaléniens d'Europe de l'Ouest, les Épigravettiens continuent à développer leur propre industrie lithique dans le sud-est de la France, en Italie et dans les Balkans. Ce faciès est caractérisé par des lamelles à dos droit et des microlithes géométriques, souvent en forme de triangles ou de segments, et par des armatures de projectiles miniaturisées, comme les microgravettes.Les Épigravettiens chassent principalement les ongulés, tels que les cerfs, rennes et bouquetins, et leurs sites de chasse montrent une organisation spécifique aux paysages méditerranéens de la fin de l’âge glaciaire. Ils sont aussi l’une des premières cultures d’Europe à pratiquer des sépultures élaborées. Les tombes épigravettiennes, retrouvées principalement en Italie, contiennent des adultes et des enfants parés de perles et de mobilier funéraire. L'utilisation de l’ocre rouge pour les rituels funéraires, fréquente dans les périodes gravettienne et épigravettienne, décline néanmoins dans la phase finale de cette culture, ce qui pourrait indiquer une évolution des pratiques symboliques et religieuses.
En Europe occidentale, l'Azilien marque la transition entre le Paléolithique et le Mésolithique, laissant place au Sauveterrien vers 10 000 av. J.C. Le Sauveterrien se distingue par ses pointes à deux bords abattus et des microlithes géométriques. L'Azilien, associé aux chasseurs de la zone franco-cantabrique, est parfois vu comme un précurseur du Sauveterrien, qui reprend et affine l’usage des microlithes et des pointes de flèches.
Le Tardenoisien, aussi connu sous le nom de Beuronien, est une culture mésolithique largement répandue dans le centre et le nord du Bassin parisien. Son nom est dérivé de la région du Tardenois, mais cette industrie se retrouve également dans le nord-ouest de l’Europe, en Europe centrale et orientale, et jusqu’au sud de la Grande-Bretagne, alors reliée au continent par le Doggerland. Le Tardenoisien se caractérise par l’usage de microlithes géométriques en forme de trapèze, des triangles et des pointes triangulaires asymétriques. Cette culture occupe toute la période mésolithique dans certaines régions jusqu’au début du Néolithique, et ses traits sont présents dans les îles britanniques jusqu’à environ 4 500 av. J.C.
En Europe septentrionale, le Maglemosien (dérivant du Paléolithique tardif Ahrensbourgien) s'étend de 9 000 à 6 000 av. J.C. Cette culture est particulièrement bien connue grâce aux nombreux sites de tourbières, où des conditions de conservation exceptionnelles ont permis la préservation de matériaux organiques périssables, comme le bois, l’os, et même les fibres végétales. Les découvertes incluent des pirogues, des filets et des nasses, qui témoignent de l’importance de l’exploitation des milieux aquatiques.Les outils maglemosiens en bois animal (dont le bois de renne et de cerf) complètent un arsenal de chasse sophistiqué. Les objets en os et bois, ainsi que les techniques de pêche (filets et pièges) montrent l’adaptation de cette culture aux zones humides et aux lacs formés par la fonte des glaciers.
Au Mésolithique, l’implantation de vastes forêts modifie les écosystèmes européens, entraînant un remplacement des espèces adaptées aux steppes glaciaires par des espèces de forêts tempérées. Les grands herbivores migrateurs disparaissent ou se déplacent vers le nord, tandis que de nouvelles espèces comme les cerfs, les sangliers et les chevreuils deviennent les principales cibles de la chasse. Les populations mésolithiques développent des stratégies de chasse adaptées à ces nouvelles proies, avec un usage croissant de l'arc et des flèches munies de microlithes.Les groupes mésolithiques tendent également à se sédentariser partiellement, établissant des campements de plus en plus permanents. En Europe du Sud et au Proche-Orient, des groupes commencent même à exploiter des ressources végétales spécifiques, comme les céréales sauvages, et développent des techniques de stockage. En Europe centrale et septentrionale, des sites sont réoccupés de manière cyclique, et des habitations semi-durables, souvent circulaires, apparaissent, montrant une organisation plus complexe de l’espace domestique.
Le Mésolithique est également une période de transformations culturelles. Les pratiques symboliques évoluent, avec une augmentation de la diversité des rites funéraires et des représentations artistiques. En Europe de l'Ouest, des sépultures mésolithiques indiquent une attention particulière aux rites funéraires. Des inhumations en position fléchie ou allongée sont accompagnées de dépôts de mobilier funéraire, parfois décoré, et des corps sont parés de colliers de perles en coquillage, probablement signe de statuts sociaux ou de rôles particuliers dans les groupes.Les représentations artistiques du Mésolithique, bien que moins spectaculaires que celles du Paléolithique supérieur, montrent une évolution vers des motifs géométriques et abstraits, visibles dans certaines gravures sur pierre et os. Ces représentations géométriques pourraient avoir un rôle rituel ou de transmission de savoirs, mais elles restent souvent énigmatiques pour les chercheurs. Les abris sous roche des régions méditerranéennes et les gravures en plein air témoignent de la continuité et de l’adaptation des pratiques artistiques aux nouvelles conditions de vie mésolithiques.
La période mésolithique en Europe septentrionale et centrale est marquée par une variété de cultures de chasseurs-cueilleurs adaptant leurs modes de vie et leurs techniques aux environnements post-glaciaires et aux forêts boréales en pleine expansion. Parmi ces cultures, la Fosna-Hensbacka, la Komsa, le Maglemosien, le Sauveterrien, la culture de Kunda et la culture de Komornica se distinguent par leurs adaptations spécifiques, leurs industries lithiques et leurs pratiques de subsistance.
Les cultures de Fosna et Hensbacka, bien que distinctes géographiquement, sont souvent regroupées en une même entité, désignée culture Fosna-Hensbacka, en raison de leurs similitudes culturelles et technologiques. La culture de Fosna est située le long de la côte norvégienne, tandis que la culture de Hensbacka est centrée sur la côte ouest de la Suède, notamment dans le Bohuslän. La culture Komsa, qui se développe dans le nord de la Norvège, est parfois incluse dans ce complexe malgré des différences dans les types d'outils, en raison de son lien avec les territoires côtiers.La culture Komsa est bien adaptée à un mode de vie marin, caractérisé par une chasse intensive aux phoques et une compétence notable dans la construction de bateaux et la pêche en mer. Les établissements Komsa, situés dans le nord de la Norvège, exploitent les terres nouvellement libérées par le retrait glaciaire, et les outils trouvés sont plus rudimentaires que ceux des Fosna au sud, avec des lames de silex plus simples et un nombre réduit de microlithes. Ce mode de vie maritime, qui s'étendait également aux poissons côtiers, met en évidence leur grande adaptation à l’environnement marin, alors en pleine transformation en raison de la montée des eaux et de l’évolution des rivages.
Le Maglemosien, une culture mésolithique du nord de l’Europe, se développe au Danemark, en Angleterre, en Pologne, et dans le nord de la France. Le terme "Maglemosien" provient du site type de Mullerup, au Sjælland (Danemark), découvert en 1903 par George F.L. Sarauw. La culture Maglemosienne prospère durant une période de bas niveau marin, à une époque où l'Europe continentale et la Scandinavie étaient reliées à la Grande-Bretagne par le Doggerland, permettant une continuité territoriale propice aux échanges et à la migration des groupes humains.Les Maglémosiens vivent dans un environnement dominé par les forêts et les marécages, exploitant les ressources aquatiques et forestières. Ils maîtrisent la fabrication d'outils en bois, en os et en silex, et développent une culture matérielle incluant des pirogues, des harpons en os, des filets et des nasses pour la pêche, ce qui atteste leur expertise dans l’exploitation des ressources aquatiques. Leurs techniques de chasse incluent l’utilisation d'arc et de flèches équipées de microlithes, souvent symétriques ou triangulaires. Les sépultures Maglémosiennes montrent des morts enterrés en position allongée sur le dos, ce qui pourrait indiquer l’existence de pratiques funéraires normées.
Ce harpon en os de la période Maglemose a été trouvé près de Tørning Mølle. Il est exposé dans Gottorp Slot à Slesvig - De: Maglemose bopladser omkring Hammerlev.
Le Sauveterrien, issu de la culture azilienne, se développe dans le sud de la France, la Suisse, et s'étend jusqu'au centre de l'Europe. Le site type de cette culture, Sauveterre-la-Lémance dans le Lot-et-Garonne, en France, est connu pour sa richesse en microlithes, probablement utilisés comme armatures de flèches. Le Sauveterrien présente une variété d’outils, notamment des pointes de Sauveterre, des triangles, des trapèzes, et des segments, souvent associés à des pratiques de chasse diversifiées. En Italie et dans certaines régions d’Angleterre, des cultures similaires au Sauveterrien témoignent de l'adaptation des groupes de chasseurs-cueilleurs au climat tempéré de cette période.
L'industrie lithique sauveterrienne comprend des microlithes de différentes formes géométriques, qui sont probablement des armatures de projectiles, comme les pointes de flèches. Ces populations semblent également avoir utilisé des outils en os décorés de motifs géométriques, soulignant des pratiques artisanales et des traditions symboliques communes aux groupes mésolithiques.
La culture de Kunda, qui succède au Swidérien paléolithique, s’étend des pays baltes jusqu’à l'ouest de la Russie actuelle. Cette culture, du nom de la ville estonienne de Kunda, est notable pour son adaptation aux environnements forestiers de la Baltique. Les établissements Kunda sont généralement situés près de rivières, de lacs ou de marais, où les ressources aquatiques et forestières sont abondantes.
La culture de Kunda est marquée par des activités de chasse, de pêche, et de cueillette. L’élan est un gibier prisé par ces chasseurs, et la présence de chiens de chasse est également attestée. Sur la côte, les Kunda chassent le phoque et pratiquent la pêche, notamment pour attraper le brochet dans les cours d’eau. Leurs outils en os et en bois sont souvent décorés de motifs géométriques simples, suggérant une culture artisanale propre mais moins complexe que celle des Maglémosiens. Les Kunda auraient progressivement évolué vers la culture de Narva, qui introduit la poterie dans la région autour de 5 500 av. J.C., marquant ainsi une transition vers des pratiques plus sédentaires et néolithiques.
La culture de Komornica se développe dans la région de l’actuelle Pologne autour de 8 000 av. J.-C., dans une période de diversification des groupes mésolithiques en Europe centrale. La culture Komornica présente une industrie lithique qui témoigne d’une adaptation locale aux ressources disponibles dans les environnements boisés et aquatiques. Les chasseurs-cueilleurs de cette culture exploitent les ressources forestières et marécageuses, et leurs techniques de chasse incluent l'utilisation de microlithes comme armatures de projectiles. Dans sa partie occidentale, la culture de Komornica cède la place à la culture Chojnice-Pienki, tandis que la culture de Janislawice lui succède à l'est, indiquant une continuité culturelle et des interactions entre les groupes mésolithiques voisins.
Le site de Star Carr, découvert près de Scarborough dans le Yorkshire du Nord en Angleterre, est un des plus importants sites mésolithiques d'Europe, offrant une fenêtre unique sur la vie des chasseurs-cueilleurs vers 9 000 av. J.-C. Cette occupation coïncide avec les périodes climatiques préboréale et boréale, à un moment où les conditions environnementales se stabilisaient après la dernière ère glaciaire. Les fouilles archéologiques de Sir Grahame Clark, initiées en 1948, ont révélé un large éventail de trouvailles exceptionnelles, telles que des outils en pierre, des restes de faune et, plus remarquablement, des objets rituels uniques.
À l’époque de l’occupation de Star Carr, bien que les glaciers aient fondu et que le climat se soit adouci, la Grande-Bretagne était encore connectée à l’Europe continentale par le Doggerland, une vaste plaine inondable qui permettait le déplacement de populations humaines, d’animaux et de cultures entre les deux régions. Le site de Star Carr se trouvait en bordure d’un lac, entouré d’une forêt mixte de bouleaux, de trembles et de saules, bordée de marais remplis de roseaux et de nénuphars. Cette flore variée contribuait à un écosystème riche et diversifié, abritant de nombreuses espèces animales, aussi bien herbivores (castor, cerf élaphe, aurochs, sanglier, wapiti) que carnivores (loup, lynx, ours, martre des pins).
Les variations dynamiques du niveau du lac, influencées par les précipitations et la fonte des neiges, auraient offert des ressources saisonnières variées pour les chasseurs-cueilleurs, qui exploitaient probablement les zones riveraines pour leur richesse en poissons, oiseaux et mammifères aquatiques. Les preuves archéologiques montrent que le castor était particulièrement important dans leur économie, vraisemblablement pour sa chair, sa fourrure et peut-être ses os.
Outre les silex et les outils typiques des sites mésolithiques, Star Carr révèle un grand nombre d’objets en matériaux organiques rares pour l’époque, car généralement périssables, tels que le bois de cerf et de wapiti, des os d’aurochs et des morceaux de bois travaillés. L’excellente conservation des vestiges organiques à Star Carr, grâce aux conditions marécageuses, permet de mieux comprendre les pratiques et la culture matérielle de ces chasseurs-cueilleurs. Parmi les trouvailles les plus notables figurent :
Collection Star Carr au musée du Yorkshire - coiffe mésolithique en crâne de cerf. Depuis la plus ancienne colonie post-glaciaire connue en Angleterre
Les frontlets et les pointes barbelées, ainsi que les objets en ambre et en schiste, suggèrent des rituels complexes et une vie spirituelle riche. La fragmentation volontaire de certains objets indique peut-être des rituels d’offrandes ou des pratiques funéraires symboliques. Les frontlets, en particulier, pourraient avoir été portés lors de cérémonies pour invoquer des esprits animaux ou faciliter une connexion spirituelle avec la nature environnante. Ces pratiques chamaniques possibles rappellent les traditions de nombreuses autres cultures de chasseurs-cueilleurs, pour lesquelles les animaux jouent un rôle central dans la mythologie et les croyances.
Star Carr révèle des éléments d'une économie mixte, où la chasse aux mammifères, la pêche et la collecte de végétaux sont les principaux moyens de subsistance. La présence d’aménagements en bordure du lac suggère que les habitants tiraient parti des ressources aquatiques et forestières de manière saisonnière. La consommation de cerf élaphe, d’aurochs et de castors est attestée par les ossements retrouvés, et les noisettes calcinées indiquent une collecte de fruits à coque, probablement pour leur apport nutritionnel élevé.Le site montre des preuves d’occupation épisodique, sur environ 800 ans, indiquant que Star Carr était peut-être utilisé comme camp saisonnier, ou comme lieu rituel important où les groupes revenaient périodiquement. Ces occupations ne semblent pas permanentes, mais le fait de retourner fréquemment sur ce site témoigne de l’importance de cet emplacement dans la culture mésolithique britannique.
Les datations au radiocarbone du site de Star Carr situent les premières occupations autour de 9 335 à 9 275 av. J.-C., avec une présence humaine intermittente jusqu’à environ 8 440 av. J.-C. Cette occupation semble être influencée par les cycles climatiques, qui déterminent la disponibilité des ressources saisonnières et la viabilité des campements. Le lac, qui était un point focal pour les chasseurs-cueilleurs, aurait vu son niveau varier au fil des années, modifiant l’accessibilité des zones de chasse et de cueillette. La fin de l’occupation pourrait être due à des changements écologiques ou à une modification des itinéraires de déplacement des populations mésolithiques.
Star Carr, par ses découvertes remarquablement bien conservées, est une source précieuse pour comprendre la culture mésolithique en Grande-Bretagne. Ce site fournit non seulement des informations sur les techniques de subsistance et les savoir-faire techniques, mais aussi sur les pratiques spirituelles et rituelles de ces communautés. Les frontlets en bois de cerf et les pointes barbelées, uniques en leur genre, montrent que ces chasseurs-cueilleurs ne vivaient pas seulement en harmonie avec la nature, mais entretenaient également des relations symboliques et spirituelles avec leur environnement. Ce site mésolithique ouvre une fenêtre rare sur une période où les humains ont su s’adapter avec ingéniosité aux paysages en mutation de l’Europe post-glaciaire.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Octobre 2013