La période de néolithisation au Proche-Orient représente une transition fondamentale vers l'agriculture et la sédentarité, qui aboutira à la naissance des premières civilisations dans le Croissant fertile. Cette région, englobant les terres fertiles de la Mésopotamie, du Levant et de l’Anatolie, voit émerger des cultures successives ayant chacune contribué au développement de l’agriculture, de l’élevage et d’une vie sédentaire organisée en villages. La chronologie de cette transition révèle un processus long et complexe marqué par l’adaptation progressive des populations aux changements environnementaux, l’invention de nouvelles technologies et des innovations sociales majeures.
Le Natoufien est souvent considéré comme le point de départ de la néolithisation, marquant une rupture avec les économies de chasseurs-cueilleurs mobiles de l’Épipaléolithique. Cette culture est surtout présente dans le Levant sud, en Israël et en Palestine actuels, et elle s’étend jusqu’au littoral méditerranéen. Les Natoufiens adoptent une économie mixte basée sur la chasse et la cueillette, exploitant une grande variété de ressources végétales et animales, tout en développant des techniques de stockage pour les ressources végétales. Les sites natoufiens révèlent les premières structures semi-permanentes, souvent des maisons circulaires construites en pierre et partiellement enterrées, qui semblent témoigner d’une occupation sédentaire ou semi-sédentaire.Les Natoufiens se distinguent par leur armement lithique, constitué principalement de microlithes intégrés dans des outils plus grands, et par le développement des premiers « villages » sédentaires. Des sites comme Hayonim Cave et ‘Ain Mallaha ont livré des vestiges d’habitats semi-permanents et des sépultures, signe d’une organisation sociale plus complexe. Les tombes révèlent des pratiques funéraires variées, incluant des sépultures primaires et secondaires, ainsi que des dépôts d’ocre rouge. Le chien est domestiqué à cette époque, probablement pour son utilité dans la chasse ou comme compagnon.
Industrie osseuse, poinçons. Provient du site de Mugharet el Wad (Israël), niveau B2. Fouilles de Dorothy Garrod Daté du Natoufien inférieur, v. 14500-13500 BP. Musée d'archéologie nationale.
Le Khiamien marque une phase de transition entre le Natoufien et le Néolithique précéramique A (PPNA). Cette période est caractérisée par l’apparition de nouveaux outils lithiques, dont les fameuses « pointes d’El Khiam », des pointes de flèches en silex à encoches latérales, qui semblent indiquer une évolution dans les techniques de chasse et de collecte de ressources. Le Khiamien se situe dans le Levant sud, où les populations continuent d’occuper des habitats semi-permanents construits en pierre, tout en introduisant quelques innovations dans l’architecture et les représentations symboliques.
Le Khiamien semble préfigurer l’émergence d’une organisation sociale plus complexe et l’utilisation accrue de symboles. Les établissements khiamiens sont souvent situés près de ressources en eau et continuent d’exploiter les animaux sauvages et les plantes locales, bien que des premières tentatives de domestication végétale soient supposées. La culture du Khiamien met en place des éléments culturels qui vont se retrouver dans les cultures néolithiques ultérieures.
Le PPNA marque le début formel du Néolithique et se traduit par des changements profonds dans l’organisation sociale et les pratiques agricoles. Les cultures du PPNA se répartissent entre plusieurs ensembles régionaux : le Sultanien au Levant sud, le Mureybétien au Levant nord et d’autres complexes régionaux en Anatolie et dans la Djéziré. Les premières preuves d’une agriculture naissante se manifestent par la présence de céréales sauvages, comme le blé et l’orge, et des structures de stockage.
Les villages deviennent plus grands et les maisons circulaires en pierre évoluent vers des structures rectangulaires, grâce à l’introduction de la technique du chaînage d’angle. Des espaces communautaires, destinés au stockage et aux rassemblements, apparaissent également, témoignant d’une organisation sociale plus complexe. La faune exploitée inclut encore des animaux sauvages tels que les gazelles et les aurochs, mais la domestication animale commence avec les premières tentatives d’apprivoisement du bœuf et de la chèvre.
Vestiges d'un bâtiment circulaire à Gesher (Israël).
Le PPNB est la phase la plus avancée du Néolithique précéramique, marquée par une expansion et une diversification des cultures néolithiques dans tout le Levant et le sud-est de l’Anatolie. Le PPNB est divisé en plusieurs phases : ancien (8 700 - 8 200 av. J.-C.), moyen (8 200 - 7 500 av. J.-C.), récent (7 500 - 7 000 av. J.-C.) et final (7 000 - 6 200 av. J.-C.). Cette période voit l’apparition des grandes flèches pédonculées et l’utilisation de techniques de débitage bipolaire pour produire des outils lithiques, dont le type le plus répandu est la pointe de Byblos.
Les villages deviennent de véritables communautés agricoles avec des habitations rectangulaires en pierre et des bâtiments communautaires spécialisés. Des sites comme Çayönü et Nevalı Çori en Anatolie, et Mureybet en Syrie, montrent des structures architecturales complexes, comprenant des sanctuaires. Les céréales domestiques deviennent la base de l’économie alimentaire, tandis que l’élevage des bovins, des chèvres, des moutons et des porcs est parfaitement maîtrisé. Cette période se caractérise par une explosion démographique visible à travers l’augmentation de la taille des villages et la prolifération des sites néolithiques.
La diversité des techniques de construction s’accompagne de l’usage de la chaux et du plâtre pour les sols et les murs. La fin du PPNB voit également l’émergence de la céramique dans certaines régions, bien que les zones arides du Levant continuent d’utiliser des contenants en plâtre. Les réseaux d’échange de biens et de matériaux se renforcent, notamment pour le commerce de l’obsidienne, une roche volcanique utilisée pour la fabrication d’outils tranchants, et provenant principalement d’Anatolie.
reconstitution de maisons d'Aşıklı Höyük (Turquie)
En parallèle de ces développements dans le Croissant fertile, des changements écologiques et sociaux significatifs surviennent en Égypte et dans le Sahara environnant. Vers 11 000 av. J.-C., la vallée du Nil est encore froide et aride, mais la fin de la dernière glaciation, vers 10 000 av. J.-C., apporte plus d'humidité, transformant le Sahara en un territoire habitable avec des lacs saisonniers et des prairies. Entre 7 000 et 4 400 av. J.-C., le Sahara connaît une période d’humidité accrue, permettant aux populations de s’y installer de manière semi-permanente.Ces populations sahariennes développent des techniques de collecte et de stockage des graines sauvages, construisent des huttes et creusent des puits pour un accès permanent à l'eau. À Nabta Playa, des preuves d’un élevage de bétail apprivoisé et d’une agriculture naissante suggèrent des échanges culturels avec le Levant, préfigurant les développements qui mèneront à la civilisation égyptienne vers 3 100 av. J.-C.
Chypre offre un autre exemple de néolithisation insulaire, influencée par les migrations depuis le Levant. Le site d’Akrotiri-Aetokremnos, daté de 8200 av. J.-C., est le plus ancien témoignage d’occupation humaine à Chypre, révélant une exploitation périodique par des chasseurs-cueilleurs. Ces premiers visiteurs, influencés par la culture natoufienne, apportent avec eux des techniques de chasse avancées et des pratiques de collecte.
Après Akrotiri, une culture néolithique acéramique s’installe, marquée par l’arrivée de colons agricoles qui introduisent les premières plantes et animaux domestiqués sur l’île. Cette période de colonisation néolithique est accompagnée d’une forte demande en obsidienne, indiquant des liens commerciaux avec l’Anatolie, et posant les bases de la culture Khirokitia, qui se développera un millénaire plus tard.
La transition vers des sociétés agricoles au Néolithique dans le Croissant fertile, en Égypte et à Chypre, révèle des dynamiques complexes d'adaptation écologique, de diffusion culturelle et de transformation sociale. Les progrès dans les techniques de construction, de stockage et de subsistance posent les fondations de la civilisation urbaine dans ces régions. Le développement de pratiques agricoles et pastorales entraîne des changements profonds dans l’organisation sociale, l’architecture, les pratiques funéraires et les échanges commerciaux, avec des impacts qui se répercuteront sur toute la Méditerranée et l’Europe.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Novembre 2009