Dans le Levant, l'Épipaléolithique représente une période clé de transition culturelle et technologique qui s'étend de 19 000 à environ 9 600 av. J.-C., marquée par des cultures distinctes qui témoignent de transformations notables dans les modes de vie des populations locales. Durant cette époque, plusieurs faciès culturels se succèdent, notamment le Kébarien, le Kébarien géométrique, et enfin le Natoufien, chacun caractérisé par des outils, des pratiques de subsistance et des structures d'habitat spécifiques.
Les groupes épipaléolithiques de cette région sont encore des chasseurs-cueilleurs nomades, bien que l’évolution vers une territorialisation accrue commence à apparaître. Certains de ces groupes, comme les Natoufiens, amorcent des formes de sédentarité partielle, ce qui préfigure la transition vers le Néolithique. Ces changements sont souvent interprétés comme les prémices de l'agriculture et de l'élevage, bien qu'il s'agisse davantage d'une évolution lente que d'un basculement brusque vers des modes de vie néolithiques.
Le Kébarien (19 000 - 16 000 av. J.-C.) et le Kébarien géométrique (15 500 - 12 500 av. J.-C.) marquent deux étapes successives de l'Épipaléolithique au Levant sud, couvrant une région étendue, entre le Sinaï et la Syrie. Ces cultures se distinguent par une industrie lithique composée principalement de microlithes en forme de trapèzes, de rectangles et de triangles, utilisés dans la fabrication d’armes et d’outils spécialisés pour la chasse et la cueillette. Le Kébarien géométrique, en particulier, tire son nom de la prédominance de ces formes géométriques dans les outils retrouvés.
Les sites kébariens, de taille variée, témoignent d'une occupation saisonnière, certains étant utilisés en fonction de cycles de migration saisonniers pour tirer parti de la diversité des ressources locales. Cette période voit un début de territorialisation, les groupes semblent choisir des emplacements privilégiés pour s'installer de manière répétée, signalant une exploitation intensive de leur environnement immédiat. Le Kébarien géométrique précède la culture natoufienne et pourrait avoir influencé certains aspects de cette dernière, notamment en termes d'outillage et d'utilisation des ressources.
À la même époque, dans la région montagneuse du Zagros (Iran actuel), la culture zarzienne se développe. Ce faciès culturel, identifié dans les années 1930, se distingue par une industrie lithique marquée par l’utilisation de microlithes, souvent associés à la chasse de gibiers montagnards comme les chèvres sauvages et les daims. Bien que la transition entre le Paléolithique supérieur et l'Épipaléolithique soit moins documentée dans cette région, il est probable que les groupes zarziens, en raison du relief accidenté, aient adapté leur mode de vie à la chasse en altitude et à la collecte de ressources variées.Le Zarzien témoigne d'une occupation non sédentaire, les sites étant principalement constitués d'abris temporaires. En revanche, cette culture partage certains traits avec le Kébarien et le Natoufien en termes de techniques de taille de la pierre et de modes de subsistance. La culture zarzienne semble toutefois avoir maintenu un mode de vie plus mobile que les Natoufiens, malgré quelques similitudes dans leurs industries lithiques.
Le Natoufien représente l’Épipaléolithique final du Levant et marque une étape cruciale vers la sédentarisation. Définie par l'archéologue Dorothy Garrod dans les années 1930 à partir des fouilles dans les montagnes du Carmel et en Galilée, cette culture se caractérise par une industrie lithique spécifique, avec des microlithes variés et d'autres outils de taille réduite. Les sites natoufiens se retrouvent dans une vaste zone s’étendant du sud du Levant jusqu'au Moyen-Euphrate. Le Natoufien ancien (12 500 – 11 500 av. J.-C.) coïncide avec le réchauffement climatique de Bölling-Alleröd, ce qui semble avoir favorisé la sédentarisation.
Dorothy Garrod (au centre) et deux collaborateurs devant la grotte de Shuqba en , où ses fouilles repèrent la culture natoufienne.
Les Natoufiens commencent à expérimenter une sédentarité partielle, vivant dans des constructions circulaires en pierre, parfois regroupées en villages rudimentaires, indiquant une occupation prolongée de certains sites. Si certains établissements semblent habités de manière permanente, d'autres servent de camps saisonniers. Cette semi-sédentarité semble liée à une intensification de la collecte des céréales sauvages (comme l'épeautre et l'orge) et de la chasse à la gazelle. La cueillette, particulièrement des céréales et des fruits, prend une importance croissante, suggérant une transition progressive vers l’agriculture.
La seconde phase du Natoufien (Natoufien récent, 11 500 – 9 600 av. J.-C.) voit un retour à une plus grande mobilité en raison de l'épisode climatique du Dryas récent, une période froide et sèche. La diminution des ressources disponibles pousse les groupes à redevenir plus nomades, mais certains éléments de leur mode de vie restent, y compris les structures d'habitat et les pratiques de cueillette avancée, préfigurant les débuts de l'agriculture. Ce recul relatif de la sédentarité pourrait également expliquer pourquoi les populations natoufiennes se sont adaptées à des territoires plus diversifiés pour optimiser leur subsistance.
Les sites natoufiens contiennent certaines des premières preuves de la domestication du chien. Les découvertes dans les sites d'Ain Mallaha et de la grotte de Hayonim en Israël témoignent de cette relation : à Ain Mallaha, un chien a été enterré aux côtés d'un humain, et à Hayonim, des canidés ont été retrouvés enterrés avec des humains, indiquant un lien particulier entre les Natoufiens et ces animaux.
Les Natoufiens ne sont pas isolés dans leur région ; ils coexistent avec d'autres cultures épipaléolithiques aux pratiques similaires dans les territoires voisins :
La partie "dallée" du site de Shubayqa 1
Professor Elisabetta Boaretto and Dr. Tobias Richter. Credit: The Weizmann Institute of Science
Le Natoufien se développe dans la même région que les complexes culturels antérieurs du Kébarien et du Kébarien géométrique, qui ont probablement influencé son émergence. Par ailleurs, le Natoufien coexiste avec des cultures voisines comme la culture mushabienne du Sinaï et du Néguev, qui pourrait avoir contribué au développement des pratiques et des outils natoufiens.
La culture natoufienne et les autres faciès épipaléolithiques du Levant démontrent que la transition vers le Néolithique est un processus long et graduel, impliquant une territorialisation progressive, des pratiques de cueillette avancée et de premières tentatives de domestication. Les travaux de chercheurs comme N. Munro et L. Grosman suggèrent que le Néolithique ne représente pas un début absolu de l’agriculture, mais plutôt un point culminant d’une transformation commencée durant l’Épipaléolithique.
La culture zarzienne, définie par l'archéologue Dorothy Garrod, est présente dans les montagnes du Zagros, en Iran, pendant l'Épipaléolithique final. Principalement connue à travers des sites en plein air, des abris et des grottes dans les régions du Marv Dasht et d'Arsanjan, cette culture montre des occupations relativement denses, organisées autour de camps de base entourés de sites satellites, notamment dans des grottes. Cette disposition évoque une gestion territoriale avancée, suggérant une forme de territorialisation plus marquée. Le matériel archéologique inclut des microlithes de petites dimensions, souvent de forme géométrique, qui témoignent d'une spécialisation des outils.
Les Zarziens chassent essentiellement des chèvres et des moutons sauvages, mais aussi le daim et l'onagre, bien que les vestiges de végétaux consommés manquent. On suppose cependant une cueillette de céréales sauvages, de fruits et de noix. Dans sa phase finale, parfois appelée « post-Zarzien » ou « proto-néolithique », la culture zarzienne semble montrer des signes de sédentarisation partielle, avec des huttes circulaires. Les sites de Shanidar et Zawi Chemi témoignent de ce mode de vie, bien que temporaire, à l’époque froide du Dryas récent. Ces communautés tendent alors à se concentrer dans des zones plus basses, et une plus grande importance est accordée aux plantes dans leur régime alimentaire.
Intérieur de la grotte de Shanidar (Irak) avec, en avant plan, le chantier archéologique.
Vers la fin de la période zarzienne, des villages semi-sédentaires apparaissent dans la région du Haut Tigre, dont les sites de Demirköy, Körtik Tepe et Hallan Çemi. Ces communautés, caractérisées par des maisons circulaires et des modes de subsistance fondés sur la chasse et la cueillette, partagent des traits culturels avec les Zarziens, suggérant des influences croisées ou un héritage commun.
La culture trialétienne, située dans le Caucase et en Anatolie orientale, se développe parallèlement au Zarzien. Cette culture mésolithique doit son nom au site de Trialeti en Géorgie. Elle est caractérisée par une subsistance centrée sur la chasse au bouquetin caucasien, au sanglier et à l’ours brun. La fin du Trialétien est mal définie, mais des preuves indiquent une transition vers des pratiques néolithiques, notamment le développement du Jeitunien, qui évolue dans certaines régions vers une version locale du PPNB (Précéramique Néolithique B).
L’Épipaléolithique en Anatolie centrale reste peu documenté. Le site de Pınarbaşı, dans la région de Konya, montre une occupation de chasseurs-cueilleurs dès 13 000 av. J.-C. Les similitudes entre l’industrie lithique de Pınarbaşı et celle des sites natoufiens du Levant laissent penser à des échanges, notamment de l’obsidienne, une pierre volcanique prisée pour sa qualité de coupe. Ce type de commerce pourrait expliquer la circulation de certaines pratiques techniques et des traits culturels entre l'Anatolie et le Levant.
À Chypre, l'Épipaléolithique est représenté par le site d'Aetókremnos, un abri rocheux du sud de l'île. Ce site est contemporain du Natoufien levantin et a livré de nombreux restes d'hippopotames nains, aujourd'hui éteints, ce qui suggère une exploitation intensive des ressources animales. Bien que l’extinction de l’hippopotame nain soit parfois attribuée à une surexploitation humaine, les preuves restent insuffisantes pour établir un lien direct. Les connexions culturelles entre Chypre et le continent restent également peu claires en raison du manque de données pour cette période.
Photo d' aperçu du site d'Aetokremnos, un petit abri rocheux du sud de la péninsule d'Akrotiri. L' encart montre le rooffall recouvrant et protégeant les vestiges culturels .
Le Sébilien, identifié par Edmond Vignard à Kom Ombo en Haute-Égypte, est une culture épipaléolithique qui se développe en parallèle des transformations climatiques et environnementales de la fin du Pléistocène. Les Sébiliens, vivant entre la deuxième cataracte du Nil et Edfou, adoptent un mode de vie axé sur l’exploitation des cours d'eau, et leur industrie lithique est influencée par les industries capsiennes du Maghreb, ce qui conduit certains chercheurs à envisager un lien culturel entre le Sébilien et le Capsien.
Les Sébiliens exploitent les ressources aquatiques et chassent des animaux de grande taille. Cependant, en raison de la nature dispersée des sites et de leur localisation le long du Nil, il est difficile de reconstituer en détail leur mode de vie. Cette culture semble préfigurer des pratiques qui seront importantes dans les cultures néolithiques égyptiennes, telles que la gestion des ressources fluviales.
L'Ibéromaurusien, culture épipaléolithique du Maghreb, couvre une vaste région littorale allant de la Tunisie au Maroc. Identifiée au début du XXe siècle par Paul Pallary dans des abris sous roche près de Maghnia, en Algérie, cette culture est caractérisée par une industrie microlithique dominée par des lamelles transformées en outils par la technique du microburin. Les Ibéromaurusiens chassent principalement le mouflon à manchettes, les bovidés et les suidés, et complètent leur régime alimentaire par la pêche et la collecte de coquillages et de gastéropodes, une activité qui s'intensifie après 13 000 av. J.C.
Les Ibéromaurusiens exploitent une zone phyto-climatique aujourd'hui connue sous le nom de Tell, une région aux précipitations abondantes qui offre une grande diversité de ressources. Des études récentes ont montré que les populations modernes du Maghreb possèdent entre 20 % et 50 % de patrimoine génétique issu des Ibéromaurusiens, révélant une continuité génétique significative. L'arrivée de fermiers de la culture de la céramique cardiale depuis la péninsule ibérique a par la suite contribué à la composition génétique actuelle des populations de cette région.
Grotte des Pigeons à Taforalt au Maroc
@ Nicolas Perrault III - Own work, CC0,
Les cultures épipaléolithiques du Proche-Orient et du nord de l’Afrique montrent une remarquable diversité d’adaptations aux environnements en mutation de la fin du Pléistocène. Chaque groupe, du Zarzien aux Ibéromaurusiens, en passant par les Sébiliens et les Trialétiens, adopte des stratégies de subsistance, des techniques de taille et des formes d’organisation spatiale spécifiques qui reflètent des réponses distinctes aux contraintes et aux opportunités de leurs milieux respectifs. Ces groupes illustrent également les premiers pas vers une sédentarité partielle et une gestion plus complexe des ressources, éléments précurseurs des sociétés néolithiques à venir.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Octobre 2009