La culture à céramique linéaire, souvent désignée sous le nom allemand Linearbandkeramik (LBK), marque l’un des premiers exemples d’agriculture établie en Europe centrale. Vers 5700 avant J.-C., les agriculteurs de la LBK s’établissent pour la première fois dans la plaine hongroise, autour de Budapest, et amorcent une expansion rapide qui atteindra en quelques siècles la majeure partie de l'Europe centrale. Leur économie agricole introduit de nouveaux modes de subsistance basés sur l'agriculture et l'élevage, tandis que leurs villages, souvent organisés autour de maisons longues, deviennent des centres permanents de peuplement. Contrairement à l’idée longtemps soutenue d’une expansion pacifique et autarcique de la culture LBK, les recherches récentes montrent des interactions sociales plus complexes, notamment des conflits violents avec les populations locales, probablement des chasseurs-cueilleurs mésolithiques.
La LBK émerge d’abord dans la région danubienne, influencée par les cultures agricoles balkaniques (Starčevo, Körös, Criș) où l’agriculture s’est implantée depuis plus d’un millénaire. Cette influence se manifeste dans les similitudes des poteries et de certains aspects de l'économie LBK avec celles de ces cultures antérieures. En l’espace de sept siècles, les sites LBK s’étendent rapidement de la plaine hongroise vers le nord et l’ouest, couvrant l’Allemagne, la Belgique, le nord de la France, ainsi que la Basse-Autriche, la Bohême et la Moravie.
Les vestiges de cette culture sont identifiables par leur poterie caractéristique, ornée de motifs linéaires gravés ou incisés, et leurs maisons longues en bois, conçues pour des groupes familiaux étendus. Ces villages sont situés sur des sols de loess fertiles, souvent près des cours d'eau, ce qui facilite à la fois l'agriculture et le commerce intercommunautaire. Les phases d’expansion sont marquées par des distinctions régionales dans les styles de céramique et des variations dans la chronologie, allant de 5700 à 4900 av. J.-C., ce qui témoigne d’une adaptation locale à des conditions écologiques et culturelles diverses.
La structure sociale de la LBK reste en grande partie égalitaire, bien que des indices archéologiques suggèrent une spécialisation économique et une interdépendance entre villages voisins. Par exemple, certains villages semblent se concentrer sur la production d'outils en silex ou la transformation de peaux. De plus, le commerce à longue distance de matières premières rares, comme le silex d’Olszanica ou les coquilles marines de Spondylus venues de la mer Noire et Égée, atteste de liens économiques étendus. Ces échanges contribuaient sans doute au renforcement des alliances sociales et à la cohésion entre les villages, bien que les conflits internes et externes semblent aussi avoir marqué cette culture.
Des preuves archéologiques démontrent que la fin de la culture LBK fut marquée par une montée de la violence, en particulier dans la partie occidentale du territoire LBK. Des fortifications et fossés défensifs ont été construits autour de nombreux villages, témoignant de tensions et d’un besoin accru de sécurité. Les découvertes de fosses contenant des squelettes marqués de traumatismes violents, comme à Talheim en Allemagne et Schletz-Asparn en Autriche, indiquent des massacres de populations entières. Ces épisodes de violence semblent pointer vers des périodes de crise sociale, possiblement liées à des conflits pour les ressources ou à des tensions avec les populations mésolithiques environnantes.
La coexistence avec les chasseurs-cueilleurs mésolithiques a eu un impact significatif sur la culture LBK, notamment par le biais d’échanges culturels et de conflits. Certains artefacts découverts dans les sites LBK, comme les poteries de La Hoguette et du Limbourg, témoignent de l’influence des traditions mésolithiques locales, bien que ces influences restent minimes par rapport à la culture LBK dominante. Ces échanges d’idées et de technologies illustrent une acculturation partielle, où les populations mésolithiques adoptent certaines pratiques agricoles et artisanales sans abandonner entièrement leurs modes de vie traditionnels.
Le site de Bruchenbrücken en Allemagne, dans la région de Wetterau, offre un exemple frappant de cette interaction. Les vestiges archéologiques révèlent la présence simultanée de poteries LBK et de La Hoguette, signe d’un partage de territoire entre agriculteurs LBK et chasseurs-cueilleurs mésolithiques pratiquant l’horticulture. Ce site montre aussi des liens de commerce à longue distance, puisque 80 % du silex provient de la vallée de la Meuse, située à 250 kilomètres. Les échanges de biens et de savoir-faire entre les deux groupes ethniques semblent avoir facilité une coexistence temporaire, mais les traces de violence et de fortifications suggèrent que ces relations étaient parfois tendues.
Vers 4800 av. J.-C., la culture LBK s’effondre progressivement, cédant la place à de nouvelles cultures régionales telles que Rössen, Lengyel, et la culture du Blicquy en Belgique. Ces cultures post-LBK adoptent certaines pratiques agricoles et artisanales de la LBK tout en développant des particularismes régionaux. L’expansion vers le nord, vers les plaines de l’Europe du Nord et la Scandinavie, est poursuivie par des groupes apparentés aux LBK, comme la culture du vase à entonnoir (TRB), qui adopte certaines traditions LBK tout en innovant.
La culture LBK a donc marqué une étape cruciale dans la néolithisation de l’Europe centrale, créant les premières sociétés agricoles de la région et inaugurant une période d’intensification des échanges économiques, de transformations sociales et de tensions ethniques. La transition vers l’agriculture a aussi laissé un héritage durable dans les pratiques agricoles et dans l’organisation des habitats, qui influencera les cultures néolithiques suivantes.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Décembre 2013