À partir du Ve millénaire avant notre ère, on assiste en Europe de l'Ouest, et notamment sur la façade atlantique, à l'émergence de constructions monumentales en pierre, les mégalithes. Ces structures impressionnantes, érigées pour honorer les morts ou pour des rites encore obscurs, représentent les premières œuvres d'architecture monumentale d'Europe. Dans leurs caveaux, les archéologues ont découvert des dizaines de squelettes, preuve de leur fonction funéraire collective. Le phénomène mégalithique est mondial, mais il a connu un développement spectaculaire dans certaines régions d’Europe, notamment en France, où les mégalithes continuent de fasciner les chercheurs.
Les édifices mégalithiques apparaissent en plusieurs phases successives, liées aux mouvements migratoires de différentes cultures. Vers 4530 avant J.-C., des peuples dits "Cardiaux", venus probablement par le Portugal et l'Espagne, s'installent en Vendée et en Charente. Plus tard, entre 4000 et 3800 avant J.-C., des populations "Rubanées", originaires du Bassin parisien, migrent vers la Bretagne. Ces populations se mélangent, donnant naissance à la culture des mégalithes, qui s'étendra ensuite tout au long des côtes atlantiques de l'Europe. Les archéologues identifient des différences régionales dans les styles et les techniques de construction des mégalithes, mais l'idée centrale d'une architecture en pierre pour les morts et les rituels est commune à toutes ces cultures.
L'architecture mégalithique s’étend progressivement :
Les mégalithes, en fonction de leur architecture et de leur usage supposé, sont divisés en différentes catégories : dolmens, cairns, menhirs, et cromlechs. Chacun de ces monuments présente des spécificités techniques et symboliques propres, permettant de mieux comprendre les pratiques et les croyances de ces peuples anciens.
Les dolmens sont des structures formées de plusieurs dalles de pierre : des dalles verticales supportent une dalle horizontale, formant une chambre funéraire. L’image traditionnelle du dolmen comme une simple table de pierre est erronée ; les dolmens étaient en réalité des tombeaux complexes, souvent recouverts de terre ou de pierres pour former des tumulus. Ces constructions datent du Néolithique (environ de 5000 à 2500 ans avant J.-C.), bien avant l'arrivée des Celtes, auxquels ils furent longtemps attribués par erreur.
Dans certaines régions, on trouve des variantes comme les "allées couvertes" : des dolmens plus longs qui comportent plusieurs chambres. Les techniques de construction des dolmens sont impressionnantes, les dalles pouvant peser plusieurs dizaines de tonnes. Selon les recherches, les bâtisseurs utilisaient probablement des techniques de levage en insérant des coins de bois dans des fissures pour extraire les blocs, puis les transportaient en les traînant sur des rondins.
Les cairns, comme les dolmens, sont des sépultures collectives, mais ils sont recouverts de pierres sèches empilées pour former un tumulus. Les cairns abritent généralement plusieurs dolmens, constituant ainsi de véritables complexes funéraires. Ces constructions comportent parfois des entrées formées de trois pierres monumentales en U inversé, donnant accès aux chambres funéraires internes. La structure interne des cairns varie, certains ayant des dolmens sans couloir, d'autres avec des galeries plus élaborées. La chambre principale est généralement orientée à l'ouest, avec une seconde chambre plus petite à l'est, peut-être pour des raisons symboliques liées au lever et au coucher du soleil.
Les cairns témoignent de l’importance des sépultures collectives et de l’effort collectif requis pour ériger de tels édifices, renforçant les liens au sein de ces communautés et marquant leur territoire.
Les menhirs sont des pierres dressées, de taille variable, dont la signification reste sujette à interprétation. La plupart des chercheurs pensent qu'ils avaient une fonction cultuelle, peut-être liée aux rites de fécondité, aux cultes solaires ou à d’autres rituels liés au cycle de la vie et de la mort. Certains menhirs présentent des perforations ou des formes phalliques, ce qui pourrait indiquer des rites symboliques ou spirituels liés à la fertilité. Les menhirs peuvent être érigés seuls, en groupes, ou alignés sur de grandes distances.
Les plus hauts menhirs connus avoisinent les 10 mètres de hauteur et peuvent peser plus de 100 tonnes, soulignant l'ingéniosité des bâtisseurs de l’époque. La technique supposée de leur installation consistait à creuser un trou dans lequel on introduisait la base de la pierre, puis à la caler avec des pierres plus petites.
Les cromlechs sont des cercles de pierres dressées, composés de menhirs ou de dalles, et dont la fonction reste également énigmatique. L’exemple le plus célèbre est Stonehenge, en Angleterre, qui date du Bronze Moyen, mais des cromlechs plus petits et souvent plus anciens se trouvent dans diverses régions d’Europe. Certains de ces cercles sont associés à des sépultures et pourraient avoir servi de lieux de culte ou de rassemblement. Dans certains cas, les cromlechs sont intégrés dans des tertres ou des tumulus, renforçant leur caractère rituel et leur lien avec la mort.
L'architecture mégalithique en Europe semble révéler des sociétés structurées autour de cultes liés à la mort et à la nature. La multiplicité des sépultures collectives (dolmens et cairns) et la complexité des alignements (menhirs et cromlechs) indiquent des pratiques rituelles, mais aussi une organisation sociale qui valorisait les ancêtres et les rites communautaires. Les dolmens et les cairns auraient pu symboliser la continuité entre les vivants et les morts, tandis que les menhirs et cromlechs auraient servi de repères pour les cycles naturels et les croyances cosmiques.
La construction des mégalithes impliquait des techniques avancées et une coopération importante au sein des communautés. Les pierres massives étaient extraites avec des techniques rudimentaires mais efficaces, telles que l'utilisation de coins de bois humide pour fendre les roches. Ces pierres étaient ensuite transportées, parfois sur plusieurs kilomètres, avant d'être dressées. Cette logistique complexe suppose une organisation sociale capable de mobiliser un grand nombre de personnes et des connaissances techniques pour assurer la solidité de ces structures.
Les migrations humaines au Néolithique, combinées aux échanges culturels, ont facilité la diffusion des pratiques mégalithiques en Europe. Le mélange des cultures, comme celle des Cardiaux et des Rubanés en France, a contribué à l'émergence de la culture mégalithique sur la façade atlantique, se répandant ensuite en Espagne, au Portugal et plus au nord, vers les îles britanniques. Ce processus de diffusion est complexe et a engendré des variantes régionales dans les styles et les usages des mégalithes, mais une parenté architecturale demeure entre ces différentes régions, suggérant des croyances partagées et des interactions interrégionales.
Les mégalithes européens du Néolithique illustrent une période de profondes transformations culturelles et sociales, marquant la première architecture monumentale d’Europe. Ces structures témoignent de l’importance des rituels et des croyances dans les sociétés néolithiques, ainsi que de leur capacité à mobiliser des ressources pour des projets collectifs d’une envergure considérable. Les dolmens, cairns, menhirs et cromlechs restent des symboles puissants de ces sociétés anciennes, et leurs mystères continuent d’inspirer des recherches pour percer les secrets de leurs significations et de leur construction.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Septembre 2010