Les débuts de la poterie néolithique dans les plaines de l’Est de l’Europe reflètent une évolution technologique et culturelle majeure, dont les implications dépassent la simple fabrication de récipients. L’apparition de la poterie marque un tournant pour ces communautés, puisqu’elle offre de nouvelles possibilités de conservation, de préparation des aliments, et de rituels symboliques. Dans ces régions, plusieurs styles de poteries coexistent, correspondant à différentes traditions culturelles et influences géographiques, chacune avec ses particularités décoratives et techniques.
Les céramiques peignées, introduites autour de 5 800 av. J.-C., sont associées à la région forestière allant du Moyen-Oural à Moscou. Selon Karmanov, cette poterie pourrait avoir été influencée par les traditions de Sibérie occidentale. On trouve en effet des similitudes stylistiques et technologiques avec des sites comme Koksharovsky et Barsova Gora, dans le bassin du Middle Ob, où des objets similaires datés d’environ 6 400 av. J.-C. ont été découverts. Ces poteries sont caractérisées par des motifs géométriques, tels que des bandes horizontales et des impressions créées par un « peigne » ou un outil cranté, qui sont appliqués avec précision sur la surface de la poterie. Ce style devient un marqueur distinctif dans la région, et sa propagation suggère des contacts et des échanges culturels qui traversent les steppes et les forêts de l’Est.
Plus anciennes encore, les poteries de la Basse Volga apparaissent vers 6 500 av. J.-C. et se distinguent par des motifs triangulaires et diagonaux, parfois qualifiés de « décoration de steppe ». Ces éléments ornementaux sont associés à d’autres cultures néolithiques tardives, comme celles de Potapovka, Andronovo, ou encore Sintashta, qui partagent des éléments culturels liés aux steppes. Les sites de cette tradition se trouvent sur les rives orientales de la Haute Volga, ainsi que dans la culture Kairshak, près de Volgograd. Ils témoignent de la capacité des premiers potiers à manier différents styles, et de l’influence probable de cultures orientales en provenance des steppes de Sibérie et d’Asie centrale.
Situé sur une île du bas Don, Rakushechny Yar représente un cas d’étude singulier et intrigant pour les archéologues. Ce site se trouve dans un carrefour géographique stratégique, à proximité de la mer d’Azov et des connexions entre la mer Caspienne et l’Ukraine orientale. L'assemblage céramique y est particulier : seulement 9 % des poteries retrouvées sont décorées, le reste étant laissé sans ornements. Cependant, des analyses ont montré que plus de 10 % de ces récipients avaient été enduits d’ocre rouge et jaune, peut-être à des fins symboliques ou rituelles. Cette coloration ajoute une dimension supplémentaire à l’usage de la poterie, potentiellement liée à des pratiques rituelles ou de prestige social. Les motifs, quand ils existent, sont simples : des lignes parallèles horizontales qui ornent la partie supérieure des récipients, une décoration sobre mais qui pourrait souligner une intention symbolique.
La poterie Elshan, datant de 6 500 av. J.-C., a été découverte dans la région de Samara et montre des similarités avec les poteries de Rakushechny Yar. Elle est peu décorée, se limitant souvent à des motifs sur les bords sous forme de boutons ou de creux. Ce style rappelle également la simplicité d’autres céramiques de la région, soulignant que la décoration n’était pas toujours essentielle dans les traditions potières de cette époque. Comme dans le cas de Rakushechny Yar, la poterie Elshan aurait également pu être influencée par les traditions du sud de la mer Caspienne, où l’ocre et les jantes décorées étaient déjà des éléments communs.
La diffusion des traditions potières au Néolithique s’est faite de manière progressive et sélective dans les plaines de l’Est. Par exemple, les poteries Kairshak de la Basse Volga ont mis plusieurs siècles à se diffuser jusqu’aux rives occidentales de la Volga, et ce n’est que deux siècles plus tard qu’elles atteignent la région de Volgograd. Les poteries Elshan suivent un schéma de diffusion similaire, se propageant de la rivière Sok jusqu’au bassin d’Oka. Bien que ces potiers ne soient pas restés statiques, les groupes de poteries semblent avoir évolué dans des zones centrales bien définies avant de se diffuser plus largement. Les influences entre les régions sont visibles dans les couches archéologiques inférieures de Rakushechny Yar et d’Elshan, où les décorations triangulaires caractéristiques de Kairshak apparaissent sporadiquement. Des échanges et des contacts culturels semblent également s’être produits avec des zones plus éloignées, comme en témoigne la présence d’un tesson de poterie à jante rainurée à Algay, dans la Basse Volga.
Dans la région de la Dvina-Dnepr, autour de Vitebsk et Smolensk, la culture Serteya développe un style céramique qui présente des dates anciennes, autour de 6 500 av. J.-C. Cette région pourrait être considérée comme un centre important du Néolithique ancien, car elle a livré environ 130 récipients céramiques retrouvés sur 22 sites. Cette culture est unique, car elle montre l’arrivée simultanée de trois traditions céramiques distinctes, sans aucune association avec des pratiques agricoles :
Les poteries des plaines de l’Est ne constituent pas seulement des récipients de stockage ; elles sont des témoins des relations culturelles et des influences migratoires qui traversent l’Europe de l’Est et l’Asie centrale au Néolithique. Les différentes techniques de décoration, qu’elles soient simples ou complexes, et l’usage de l’ocre révèlent une compréhension symbolique de la poterie, au-delà de sa fonctionnalité première. La coexistence de plusieurs styles céramiques reflète également la diversité des modes de vie, allant des groupes semi-nomades aux communautés sédentarisées. L'absence d'association entre la poterie et l'agriculture dans ces régions laisse penser que la poterie est née en réponse à des besoins quotidiens de stockage et de transport de nourriture, mais aussi, peut-être, en tant qu'outil de différenciation sociale ou culturelle.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Mars 2011 & Janvier 2023