La transition vers l’agriculture en Europe du Nord représente une étape complexe d’adaptation et de transformation culturelle. Les premières traces de domestication des animaux apparaissent dans la culture tardive d'Ertebølle-Ellerbek vers 4700-4600 av. J.-C., en particulier dans le Schleswig-Holstein, tandis que dans le sud de la Scandinavie, la production agricole émerge avec la culture du bécher en entonnoir (Funnel Beaker) autour de 4000-3900 av. J.-C. Ce processus de transition, étalé sur plusieurs siècles, résulte de la diffusion progressive des pratiques agricoles d’Europe centrale, où les premières communautés agricoles du nord furent influencées par la culture LBK. La principale question est de savoir si cette adoption de l’agriculture se fit par migration de populations agricoles ou par l’adoption de pratiques et technologies agricoles par les chasseurs-cueilleurs autochtones.
La transition agricole survient pendant la période climatique atlantique, une époque chaude et humide qui favorise le développement de forêts mixtes de tilleuls, chênes, frênes et ormes. Vers 4000 av. J.-C., la zone climatique subboréale engendre un climat plus sec qui, conjugué à la maladie de l’orme, provoque un déclin massif de cet arbre dans toute l’Europe du Nord. Ce changement crée des conditions plus propices pour les agriculteurs en herbe, facilitant le défrichage des terres pour l’agriculture et stimulant le développement de prairies de succession secondaire où se mêlent bouleaux, peupliers et noisetiers. Ces zones ouvertes devinrent favorables pour les cultures céréalières et le pâturage.
Les premières communautés agricoles de la culture LBK (Linearbandkeramik), établies vers 5700-5600 av. J.-C. dans les basses terres fertiles du nord de l’Allemagne et de la Pologne, marquent le début de l’expansion agricole vers le nord. Ces premiers agriculteurs se concentrent sur des sols de loess le long des cours d’eau. Leurs communautés pratiquent principalement l’élevage bovin et cultivent blé, orge, légumineuses et lin. Les analyses isotopiques des squelettes LBK de la vallée du Rhin indiquent une certaine intégration des populations locales, suggérant que des contacts réguliers avec les chasseurs-cueilleurs voisins ont facilité la transmission de pratiques agricoles.
Après 4900 av. J.-C., de nouvelles cultures post-LBK se développent en Europe centrale, comme les cultures Rössen et Lengyel, qui assurent la continuité de l’agriculture dans la région. Ces agriculteurs LBK partagent leur mode de vie avec les chasseurs-cueilleurs tardifs d’Europe du Nord, tels ceux de la culture Ertebølle-Ellerbek.
La culture Ertebølle, active de 5400 à 3950 av. J.-C., est présente dans le sud de la Scandinavie, le Danemark et le nord de l’Allemagne. Cette culture mésolithique tardive adopte progressivement la céramique, l’usage d’haches de bois en forme de T, et montre une économie basée sur la pêche et la chasse. Les amas de coquillages trouvés le long des côtes témoignent d’une exploitation intense des ressources marines, qui joue un rôle central dans leur mode de vie.
À partir de 4700 av. J.-C., la culture Ertebølle-Ellerbek incorpore les premiers éléments agricoles, notamment l’élevage de bovins et l’utilisation d’outils de culture, comme le montrent les analyses de pollen des sites de Rosenhof et Wangels. Dans ce contexte mésolithique tardif, l’introduction de pratiques agricoles semble répondre aux besoins locaux, offrant une source alimentaire complémentaire aux ressources naturelles.
L’adoption de l’agriculture par les groupes Ertebølle se manifeste en trois phases, illustrées par les strates archéologiques de Rosenhof, Wangels et Siggeneben-Süd :
La culture Funnel Beaker (ou Trichterbecherkultur, TRB), qui émerge vers 4100-4000 av. J.-C., marque la véritable intégration de l’agriculture en Scandinavie. Les villages TRB, situés dans des paysages vallonnés avec accès à l’eau douce, exploitent les sols légers et les ressources forestières pour une agriculture mixte. Ces premières communautés d’agriculteurs adoptent des pratiques et technologies de l’Europe centrale tout en maintenant des éléments de leur héritage mésolithique, comme la chasse et la pêche.
La production et l’exploitation du silex pour fabriquer des outils, en particulier des haches, deviennent essentielles. Le silex, extrait des falaises calcaires du nord du Jutland et de la Scanie, est utilisé pour le défrichement et le travail du bois, éléments essentiels à l’agriculture et à la construction des habitations.
La lenteur de la transition vers l’agriculture en Scandinavie pose question. Les populations Ertebølle, bien qu’ayant des contacts avec les cultures agricoles du sud, choisissent de ne pas adopter immédiatement les pratiques agricoles. Des hypothèses économiques avancent que les chasseurs-cueilleurs Ertebølle ont continué leur mode de vie jusqu’à ce que des changements climatiques ou des pénuries de ressources les poussent à cultiver et à élever des animaux. D’autres théories suggèrent un processus plus social et progressif, où les graines et animaux domestiques sont adoptés progressivement comme des « dons fertiles » de la part des agriculteurs LBK.
Le site de Visborg sur le fjord Mariager et la tourbière de Store Åmose témoignent de ce processus hybride. Des restes d’animaux domestiques et de plantes cultivées apparaissent aux côtés de vestiges de gibier et de plantes sauvages, indiquant que les Ertebølle adoptèrent l’agriculture de manière progressive, intégrant les nouveaux éléments dans leur économie mésolithique.
L’introduction de l’agriculture transforme profondément le sud de la Scandinavie, établissant les bases d’une société néolithique distincte. Les premiers fermiers TRB développent une culture matérielle qui inclut des poteries à col évasé, des haches en silex poli, et une industrie de la pierre dédiée au travail agricole. Le mode de vie néolithique, bien que tardivement adopté, mène à un accroissement de la population et à une organisation sociale plus complexe. Les agriculteurs TRB introduisent de nouvelles formes de rites funéraires et construisent des monuments funéraires en pierre, marquant l’émergence de distinctions de statut au sein de ces communautés.
Ainsi, la transition vers l’agriculture en Europe du Nord n’est pas seulement un transfert technologique, mais un processus d’adaptation et de transformation culturelle, influencé par des échanges économiques, des interactions sociales et des changements écologiques. La diffusion de l’agriculture au nord de l’Europe devient l’un des exemples les plus remarquables d’une coexistence et d’une fusion de traditions mésolithiques et néolithiques, façonnant une culture unique dans le nord de l’Europe.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Novembre 2011