Le Mésolithique du nord-ouest de l'Europe est une période riche en innovations techniques et en adaptations environnementales, située entre la fin de la dernière glaciation et la transition vers l’agriculture, marquant ainsi un changement majeur dans la préhistoire de l'humanité. Ce moment, d’environ six millénaires, débute vers 10 000 ans avant JC et voit l’essor des chasseurs-cueilleurs dans un environnement radicalement transformé par le réchauffement climatique. Le terme « Mésolithique », introduit dans les années 1920, signifie littéralement « âge moyen de la pierre » et faisait référence à une étape jugée à l'époque transitoire et mineure, entre le Paléolithique (ancien âge de la pierre) et le Néolithique (nouvel âge de la pierre). Cependant, les découvertes archéologiques ont révélé que le Mésolithique était une période essentielle d'innovation et d'adaptation pour les humains modernes, particulièrement dans cette région qui fait face aux défis et opportunités d’un paysage postglaciaire en mutation.
La caractéristique centrale de la technologie mésolithique dans le nord-ouest de l'Europe réside dans la production de microlithes : des outils en pierre très petits, souvent de moins de 10 millimètres de long, taillés principalement dans le chert, le silex et d'autres pierres locales. Ces microlithes, montés en série sur des flèches ou d'autres projectiles, constituaient les principales armes de chasse. Un microlithe agissait comme une pointe de perçage, tandis que les autres, disposés en rangée le long de la tige, faisaient office de barbes, élargissant la plaie et maximisant les chances de saignement pour immobiliser les animaux chassés. En Suède, des exemples de flèches avec leurs microlithes montés ont été découverts, illustrant le raffinement technique de ces outils composites.
L’arc et la flèche deviennent des armes emblématiques de la chasse mésolithique, bien que leurs origines remontent aux dernières périodes du Paléolithique supérieur. L'arc, léger et puissant, permettait de chasser plus efficacement dans les paysages denses en végétation qui se développaient au fur et à mesure que le climat se réchauffait. Cette arme de chasse a permis aux groupes humains d’étendre leur aire d’action, de diversifier leur gibier et de tirer parti de nouvelles opportunités dans un environnement en transition.
Les microlithes du Mésolithique évoluent en formes et tailles, un développement qui a permis aux archéologues de subdiviser la période en étapes distinctes. Ces variations régionales et chronologiques sont aujourd’hui principalement datées au radiocarbone, mais les typologies de microlithes restent une source précieuse pour la compréhension de la période.
Dans les régions nordiques, les premiers microlithes mésolithiques étaient réalisés sur des lames larges, souvent cassées obliquement pour former des pointes robustes, avec des retouches latérales pour un montage plus sûr dans la flèche. Ces microlithes robustes, dont les origines remontent aux assemblages paléolithiques dits « ahrensbourgiens », sont prévalents dans les assemblages dits « maglémosiens » du sud de la Scandinavie et sont souvent qualifiés de Mésolithique précoce en dehors de cette région.
Plus au sud, dans les régions de la France actuelle, les microlithes du type Sauveterrien prédominaient, avec des formes plus géométriques, influencées par les traditions aziliennes du Paléolithique supérieur. Ces outils sont devenus plus petits et plus géométriques au fil du temps, une évolution qui reflète des besoins fonctionnels spécifiques et des influences culturelles entre le centre et le sud de la France et le nord-ouest de l'Europe. Vers 7000 ans avant JC, une nouvelle phase technologique, le Tardénoisien, voit apparaître des microlithes en forme de trapèze, témoignant d’un changement de tactique de chasse où ces trapèzes étaient souvent montés individuellement au bout de flèches, mais ne semblent pas avoir atteint les îles britanniques.
Les chasseurs-cueilleurs mésolithiques ne se limitaient pas à la pierre ; ils utilisaient une large gamme de matériaux organiques pour fabriquer leurs outils, bien que les traces archéologiques de ces matériaux périssables soient rares. Les outils en os et en bois de cerf sont des exceptions, retrouvés en grand nombre, avec des catégories distinctes comme les pointes de projectile barbelées et les outils de creusage. Les pointes barbelées, utilisées comme pointes de flèche ou de harpon, montrent une continuité avec les pratiques du Paléolithique supérieur. Leur production évolua, passant d'éclats d’os à des sections fendues de bois de cervidé vers 8000 avant JC.
Les « piqûres », des outils de creusage, montrent également un usage persistant mais peu d'évolution technique au cours du Mésolithique. Les premiers exemplaires sont fabriqués à partir de la base des bois de cervidés, tandis que dans les phases plus tardives, les poutres en bois de cerf sont favorisées. Ces outils démontrent une adaptation astucieuse aux matériaux disponibles et montrent comment les communautés mésolithiques tiraient parti de chaque ressource dans leur environnement.
Le Mésolithique, bien que moins riche en expressions artistiques que le Paléolithique supérieur, recèle des indices d’une culture symbolique et de rituels liés à la chasse. Les frontlets en bois de cerf trouvés à Star Carr en Angleterre, taillés pour être portés comme des coiffes, pourraient être interprétés comme des déguisements de chasse ou des objets rituels, impliquant un lien fort entre la chasse et la spiritualité. D’autres découvertes, comme les inhumations formelles et les figurines anthropomorphiques, suggèrent une organisation sociale où certains individus recevaient des rites funéraires particuliers, comme en témoignent les sépultures de Téviec et Hoëdic en Bretagne, où des tombes collectives reflètent peut-être les prémices de pratiques funéraires plus élaborées du Néolithique.
La subsistance des peuples mésolithiques du nord-ouest de l’Europe reflète une adaptation habile aux ressources disponibles et aux bouleversements environnementaux de l’époque. Ces communautés étaient essentiellement des chasseurs-cueilleurs, dépendant de la faune et de la flore locales pour subvenir à leurs besoins. Cependant, vers la fin de cette période, des indices montrent que certains groupes ont pris des mesures pour gérer activement leur environnement, notamment par le biais de brûlis contrôlés. Cette technique, consistant à allumer des feux de forêt modérés, visait probablement à renouveler la végétation pour attirer le gibier et ainsi optimiser la productivité de leur habitat naturel.
Au cours des six millénaires du Mésolithique, le nord-ouest de l'Europe a connu des transformations écologiques majeures. Le réchauffement progressif a permis à des espèces végétales et animales, qui avaient migré vers le sud lors de la glaciation, de revenir progressivement vers le nord. Cette région s'est alors couverte d'une dense forêt à feuilles caduques, bien que la composition spécifique des espèces végétales ait varié selon les latitudes. Par exemple, le chêne s’étendait largement, mais dans les régions plus méridionales, des espèces aimant la chaleur, telles que le pistachier, faisaient également partie de la couverture végétale, tandis que dans les zones nordiques, le bouleau était une essence dominante. Cette mosaïque d’espèces forestières fournissait une riche variété de ressources pour les populations mésolithiques, influençant leurs habitudes alimentaires et leurs techniques de chasse.
Les forêts mésolithiques étaient habitées par une faune diversifiée, constituant une source alimentaire cruciale. Les espèces les plus chassées comprenaient le cerf rouge, le chevreuil, le bétail sauvage et le sanglier. Au début de la période, les orignaux étaient également présents, bien que leur extinction dans la région, autour de 9000 avant JC, semble due à la déforestation et à la pression de la chasse. D’autres animaux de plus petite taille, comme le lièvre, le castor et la martre des pins, étaient chassés et piégés principalement pour leurs fourrures. De plus, les oiseaux aquatiques, abondants dans les zones humides, constituaient une ressource complémentaire. Cette diversité animale était essentielle pour assurer une subsistance variée et équilibrée aux communautés mésolithiques.Les ressources aquatiques, tant d'eau douce que marines, occupaient également une place de choix dans leur alimentation, et leur importance a crû au fil du temps. Avec l'élévation du niveau de la mer et la formation des côtes actuelles, les ressources marines comme les poissons, les mammifères marins, les mollusques et les crustacés sont devenus accessibles en abondance, enrichissant les stratégies de subsistance. Ces ressources aquatiques, combinées aux ressources terrestres, offraient aux peuples mésolithiques une alimentation diversifiée et leur permettaient de s’adapter aux fluctuations saisonnières.
Les changements significatifs du niveau de la mer, provoqués par la fonte des calottes glaciaires, ont profondément transformé les territoires mésolithiques. Au maximum de la glaciation, le niveau de la mer dans le nord-ouest de l'Europe était jusqu'à 130 mètres plus bas qu’aujourd'hui, reliant les îles britanniques au continent par des terres aujourd'hui submergées sous la mer du Nord. Cette région, connue sous le nom de Doggerland, permettait aux populations mésolithiques de se déplacer librement entre les actuels Pays-Bas et le sud-est de l'Angleterre. Vers le huitième millénaire avant notre ère, la montée des eaux a transformé ce territoire en mer, isolant la Grande-Bretagne du continent européen. Cette élévation du niveau de la mer a eu des effets marqués sur les communautés mésolithiques, provoquant des déplacements de populations et une adaptation de leurs stratégies de subsistance pour tirer parti des nouvelles ressources côtières et estuariennes.
Outre la chasse et la collecte de ressources aquatiques, les peuples mésolithiques semblent avoir expérimenté des formes de gestion environnementale. Vers la fin de la période, des preuves archéologiques suggèrent que certains groupes ont employé des brûlis contrôlés, une technique qui consiste à incendier volontairement certaines zones forestières pour encourager la repousse de jeunes plantes et attirer le gibier. Ces brûlis contrôlés améliorent la productivité des forêts en facilitant la régénération d'espèces végétales, augmentant ainsi la quantité de nourriture pour les herbivores, lesquels deviennent des cibles pour les chasseurs. Cette pratique montre une première tentative d'influence sur leur environnement, préfigurant des formes de gestion des terres qui se développeront avec l’arrivée de l’agriculture.
Malgré le rôle central des ressources animales dans la subsistance mésolithique, les communautés mésolithiques exploitaient également des ressources végétales. Bien que les preuves de l'utilisation des plantes soient rares en raison de la dégradation des matériaux organiques, des restes de noisettes, souvent trouvés sur les sites mésolithiques, montrent leur importance dans l'alimentation. Les noisettes étaient probablement consommées pour leurs valeurs nutritives élevées et leur capacité de stockage, utile en prévision des périodes de disette. Par ailleurs, des découvertes archéologiques montrent que les chiens avaient été domestiqués, servant probablement de partenaires pour la chasse et la protection. Leur statut dans la société mésolithique est reflété par leur inhumation occasionnelle auprès des humains, indiquant une relation sociale et fonctionnelle forte entre les hommes et les chiens.
Les inventaires de faune découverts sur plusieurs sites mésolithiques illustrent la flexibilité des stratégies de subsistance adoptées par les populations de cette époque. Les changements du littoral et la création d’estuaires offraient de nouvelles zones poissonneuses et marines à exploiter, complétant les ressources terrestres. Cette diversité écologique permettait aux chasseurs-cueilleurs mésolithiques de varier leurs pratiques en fonction des saisons, des migrations animales et de la disponibilité des ressources.En conclusion, la subsistance des populations mésolithiques du nord-ouest de l'Europe était le résultat d'une adaptation complexe aux fluctuations de l'environnement. Alliant chasse, cueillette, pêche et première gestion de l'écosystème, ces sociétés ont développé un mode de vie résilient face aux bouleversements naturels. Ces pratiques évolutives et cette adaptation remarquable posent les bases des transformations qui mèneront, dans le millénaire suivant, à l'adoption de l’agriculture au Néolithique.
La présence de frontlets de bois de cerf rouge, retrouvés sur le site mésolithique de Star Carr dans le Yorkshire en Angleterre, apporte un éclairage supplémentaire sur les pratiques rituelles de cette époque. Ces frontlets, modifiés pour être portés en guise de coiffes, ont suscité des débats quant à leur fonction. Bien que certains archéologues les considèrent comme des déguisements utilisés pour chasser, d'autres y voient des objets ayant une fonction rituelle, impliquant un aspect spirituel de la chasse. La frontière entre les comportements séculiers et rituels semble floue au Mésolithique, et il est possible que la chasse ait été entourée de pratiques symboliques pour honorer les animaux ou pour invoquer le succès.
L’inhumation est l’une des rares pratiques rituelles clairement attestées dans le nord-ouest de l’Europe mésolithique, bien que les découvertes soient modestes comparées à celles de la Scandinavie ou de la région baltique. Les sépultures mésolithiques sont peu nombreuses, indiquant que seuls certains individus avaient droit à une inhumation formelle, alors que les autres défunts étaient probablement exposés pour se décomposer avant la collecte de leurs os. Cette pratique est illustrée par les ossements isolés retrouvés sur l'île d'Oronsay en Écosse, où des restes humains, tels que des os de doigts et d'orteils, semblent avoir été laissés dans des amas de coquillages après l’exposition des corps. Ce traitement funéraire a des parallèles dans les pratiques de certains chasseurs-cueilleurs modernes, où les corps sont temporairement exposés avant que les os ne soient rassemblés et disposés ailleurs.
Dans d’autres cas, notamment dans les sites bretons de Téviec et Hoëdic, des inhumations collectives témoignent de rituels funéraires plus complexes. À Téviec, dix tombes ont révélé les restes de vingt-trois personnes, et à Hoëdic, treize individus ont été retrouvés dans neuf tombes. Ces inhumations multiples reflètent peut-être une organisation sociale et familiale spécifique ou des pratiques rituelles de commémoration collective, une tradition qui préfigure les rites funéraires collectifs du Néolithique. De plus, certaines sépultures, comme celle d’un jeune homme à Téviec portant une pointe de flèche dans la colonne vertébrale, montrent des traces de violence, suggérant la possibilité de conflits interpersonnels ou de tensions entre groupes mésolithiques. Cette découverte, ainsi que d’autres cas de blessures mortelles observées dans des sépultures mésolithiques ailleurs en Europe, ont conduit certains chercheurs à émettre l’hypothèse que les derniers millénaires du Mésolithique pourraient marquer l’apparition de formes précoces de guerre organisée.
La fin du Mésolithique est caractérisée par un changement profond, avec l’apparition progressive de l’agriculture, influencée par des cultures venues du Proche-Orient et de la Méditerranée. Les raisons de cette transition demeurent débattues, mais des pressions environnementales et démographiques ont probablement joué un rôle dans la modification des modes de subsistance. L'agriculture, qui permet de subvenir aux besoins d’une population croissante, semble avoir été un facteur incitatif pour les populations mésolithiques qui, bien que principalement composées de chasseurs-cueilleurs, ont fini par adopter certaines pratiques agricoles. Cependant, cette adoption a été progressive et non homogène : certains groupes mésolithiques semblent avoir intégré des éléments néolithiques de manière sélective, combinant la chasse et la cueillette avec l’élevage et la culture.Des signes de cette influence néolithique sont apparus dès le septième millénaire avant notre ère dans les régions côtières méditerranéennes et au cinquième millénaire plus au nord, notamment par la présence de poteries et d’outils liés à l’agriculture. Contrairement aux hypothèses anciennes qui supposaient une migration massive de populations néolithiques, il est désormais admis que cette transition a souvent été une adoption culturelle des pratiques agricoles par les communautés mésolithiques locales, influencées par les interactions avec des groupes agricoles voisins.
Malgré l’essor de l’agriculture au Néolithique, les pratiques mésolithiques ont persisté et se sont même mêlées aux innovations agricoles. La chasse et la cueillette n'ont pas disparu immédiatement avec l’introduction de l’agriculture ; au contraire, elles ont coexisté pendant plusieurs siècles, notamment dans les zones forestières où le gibier abondait. Ce mode de vie mixte montre comment le Mésolithique a continué d'influencer les premières sociétés néolithiques, à la fois dans leurs pratiques économiques et dans leur organisation sociale.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Aout 2008