L’invasion anglo-saxonne du Ve siècle, bien qu’inscrite dans le cadre plus large des migrations germaniques, diffère par son caractère unique et ses conséquences durables. Contrairement à la Gaule ou à l’Espagne, où les peuples germaniques tels que les Francs, les Burgondes ou les Wisigoths cohabitèrent et s’intégrèrent avec les populations locales, les Anglo-Saxons adoptèrent une stratégie de conquête brutale, souvent marquée par une extermination systématique des populations brittoniques. Cette invasion transforma la Bretagne romaine en un territoire dominé par des peuples germaniques, effaçant presque totalement les traces de la civilisation locale.
En 449, les premiers Anglo-Saxons, menés par Hengist et Horsa, deux chefs jutes, débarquèrent sur la côte du Kent, invités par le roi britton Vortigern pour défendre son royaume contre les Pictes. Bien que ces mercenaires aient initialement rempli leur rôle, ils se retournèrent rapidement contre leurs hôtes, établissant leur propre royaume dans le Kent. Cet épisode marqua le début de la vague d’invasions et de colonisations anglo-saxonnes, suivies par d’autres tribus germaniques.
Dans les décennies suivantes, des chefs saxons comme Aelle (477-490) fondèrent le Sussex (royaume des Saxons du Sud), tandis que Cerdic et Kenric, arrivés en 495, jetèrent les bases du Wessex, destiné à devenir le royaume dominant des Anglo-Saxons. Parallèlement, d’autres tribus germaniques, telles que les Angles, s’installèrent dans le nord et l’est de l’île, fondant des royaumes comme l’East Anglia, la Mercie, et la Northumbrie.
Contrairement à d’autres peuples germaniques, les Anglo-Saxons menèrent une guerre d’extermination contre les Bretons, éliminant non seulement les élites locales, mais aussi une large partie des populations. Ils laissèrent derrière eux des territoires désertés en Basse-Allemagne, emportant femmes, enfants et même bétail pour coloniser le sol britannique. Ce processus fit de la Bretagne un territoire germano-saxon, effaçant presque complètement les traditions romano-brittoniques dans les régions conquises.
Après l’établissement des royaumes anglo-saxons, le territoire britannique entra dans une période de fragmentation politique appelée l’Heptarchie. Ce terme désigne les sept principaux royaumes anglo-saxons : Kent, Sussex, Essex, Wessex, East Anglia, Mercie, et Northumbrie. Cependant, leur nombre exact varia au fil du temps en fonction des guerres et alliances.
Les royaumes du nord, comme la Northumbrie, jouèrent un rôle particulièrement influent dans les premiers siècles de l’Heptarchie, tandis que le Wessex émergea progressivement comme le royaume le plus puissant, posant les bases de l’unification de l’Angleterre.
Les Anglo-Saxons importèrent leurs institutions sociales et politiques germaniques, transformant le paysage social britannique. La base de leur organisation reposait sur la famille et la terre. Le hyde, une unité de terre nécessaire à la subsistance d’une famille, formait le fondement de leur système territorial. Ces unités s’agrégeaient pour former des communautés (marks), des centaines (hundreds), et finalement des comtés (shires), chacun dirigé par un ealdorman.
Les assemblées locales (shiregemots) et nationales (wittenagemot) jouèrent un rôle central dans la gouvernance. À la tête de chaque royaume se trouvait un roi (cyning), souvent issu d’une lignée prétendument divine, descendant d’Odin. Bien que les rois anglo-saxons jouissent d’un pouvoir considérable, leur règne était précaire, marqué par des intrigues et des assassinats.
Au VIIe siècle, les Anglo-Saxons se convertirent progressivement au christianisme grâce aux efforts des missionnaires envoyés par le pape Grégoire le Grand, notamment Saint Augustin, qui établit son siège à Canterbury en 597. Cette conversion joua un rôle crucial dans l’unification morale et culturelle des royaumes anglo-saxons. Contrairement à l’ancienne Église brittonique, qui fut marginalisée dans les montagnes du pays de Galles ou contrainte à l’exil en Armorique, l’Église anglo-saxonne resta étroitement liée à Rome.
L’Église participa également à l’organisation sociale et territoriale, divisant les territoires en paroisses et renforçant les structures locales. Cependant, elle fut aussi critiquée pour ses excès, comme en témoigne Bède le Vénérable dans son Histoire ecclésiastique des Anglais.
L’Heptarchie dura jusqu’en 829, lorsque Egbert de Wessex soumit les autres royaumes anglo-saxons, devenant ainsi le premier roi de toute l’Angleterre. Bien que des fédérations informelles aient existé auparavant, Egbert fut le premier à consolider son hégémonie, jetant les bases de l’unification anglaise. Cependant, son règne coïncida avec le début des invasions danoises, qui allaient ravager l’Angleterre pendant plusieurs siècles.
Ces invasions, initialement caractérisées par des raids côtiers, évoluèrent vers des conquêtes territoriales, les Vikings s’établissant dans des régions comme le Danelaw. L’unification amorcée par Egbert permit néanmoins de coordonner une résistance efficace, notamment sous Alfred le Grand, roi de Wessex, qui joua un rôle crucial dans la préservation de l’identité anglo-saxonne face aux envahisseurs.
Auteur Stéphane Jeanneteau
Juin 2011