Le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911 marque un tournant majeur dans l'histoire de la Normandie. Rollon, chef viking, reçoit des terres en échange de sa conversion au christianisme et de sa vassalité envers le roi de France, Charles III. Cette alliance inaugure une période de prospérité pour le duché. Les Normands, initialement redoutés pour leurs incursions maritimes, s’assimilent rapidement à la culture franque, tout en conservant une organisation militaire et administrative remarquablement efficace.
Sous les premiers ducs, notamment Richard II et ses successeurs, la Normandie s’affirme comme l’un des duchés les plus puissants du royaume de France. Les ducs centralisent le pouvoir, évitant de déléguer des responsabilités excessives à leurs vassaux, une stratégie qui garantit la stabilité et l'autorité. Ce modèle s’étend au contrôle économique avec la frappe de monnaie, la levée d'impôts et une justice rigoureuse. La richesse du duché repose sur un savant mélange de traditions scandinaves et franques, favorisant son expansion, notamment sous Guillaume Longue-Épée, fils de Rollon.
La Normandie devient un creuset culturel et militaire, capable de rivaliser avec les grandes principautés européennes, un point central dans les événements qui mèneront à la conquête de l'Angleterre.
L’ascension de Guillaume, surnommé « le Bâtard » en raison de l’origine modeste de sa mère Arlette, est une histoire de survie et de stratégie. Orphelin à un jeune âge, il doit affronter la trahison de ses barons et l’instabilité de son duché. Soutenu par le roi de France Henri Ier, il écrase la révolte de Vals-les-Dunes en 1047, consolidant ainsi son autorité.
Sa fidélité envers son épouse Mathilde de Flandres, qu’il épouse en 1050, contraste avec les pratiques polygames de son époque, illustrant sa modernité et sa capacité à unir les familles nobles par des alliances solides. Guillaume s’impose comme un homme de guerre redoutable, bâtissant des fortifications, notamment le château de Caen, et deux abbayes emblématiques. Sa maîtrise des conflits féodaux et sa vision politique le placent parmi les figures dominantes de son époque.
En 1066, Guillaume est un stratège accompli, à la tête d’une Normandie puissante et prospère, prêt à revendiquer le trône d’Angleterre.
La mort du roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur, en 1066, ouvre une crise de succession. Bien qu’Harold Godwinson soit couronné, Guillaume revendique le trône en vertu d’une promesse faite par Édouard et appuyée par la reconnaissance de ses droits sur des reliques sacrées. Fort du soutien du pape, il prépare minutieusement une expédition militaire.
L'invasion normande est un chef-d'œuvre de planification. Des chevaliers de toute la France se rallient à Guillaume, attirés par la promesse de richesses. Sous la bannière papale, ils traversent la Manche pour affronter les forces d’Harold. La bataille décisive se déroule le 14 octobre 1066 à Hastings, où Guillaume, grâce à une tactique ingénieuse – une feinte de retraite – désorganise les rangs saxons. Harold périt, probablement frappé par une flèche à l’œil, et Guillaume est couronné roi d’Angleterre à Noël 1066.
La victoire de Guillaume inaugure une ère nouvelle pour l’Angleterre. L’implantation normande transforme profondément le pays : un nouveau système féodal, une architecture imposante (dont la Tour de Londres), et l’introduction du français à la cour contribuent à fusionner les cultures anglo-saxonne et normande. Le Domesday Book, un recensement détaillé commandé par Guillaume en 1085, témoigne de sa volonté de gouverner efficacement.
Cette conquête marque également le début d’un antagonisme durable entre la France et l’Angleterre, les possessions continentales des rois anglais devenant une source de conflits incessants.
La bataille d’Hastings symbolise la supériorité tactique normande. Les Saxons, malgré leur courage, souffrent d’une organisation inférieure. L’armée de Guillaume, diversifiée et bien équipée, introduit l’arc long, une arme qui jouera un rôle déterminant dans l’histoire militaire anglaise.
Le simulacre de retraite orchestré par Guillaume démontre sa capacité à adapter sa stratégie sur le champ de bataille. Cette victoire consolide sa légitimité, transformant une campagne militaire en une croisade légitime aux yeux du pape et de la chrétienté.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, octobre 2013