Le royaume des Asturies vit le jour dans un contexte de bouleversements majeurs suivant la conquête musulmane de la péninsule ibérique en 711. Fondé en 718 par Pélage (Pelayo), un noble wisigoth, ce royaume émergea comme le premier État chrétien à résister aux forces omeyyades. La victoire de Pélage lors de la bataille de Covadonga marqua un tournant décisif, symbolisant la résistance chrétienne et posant les bases d’un nouvel ordre politique dans le nord-ouest de la péninsule.
La bataille de Covadonga, souvent perçue comme une escarmouche d’ampleur modeste, acquit une importance symbolique considérable dans l’historiographie chrétienne. Elle cimenta la légitimité de Pélage en tant que souverain et inspira la résistance face à l’avancée musulmane. Pélage établit sa cour à Cangas de Onís, posant ainsi les bases d’une administration rudimentaire pour gouverner les montagnes cantabriques et leurs vallées environnantes. Ce territoire, bien qu’isolé, offrait un abri stratégique difficile d’accès, idéal pour organiser la résistance et pour encourager la migration des populations chrétiennes vers le nord.
Durant ses premières décennies, le royaume des Asturies resta un territoire modeste, centré autour des montagnes cantabriques. Ces montagnes jouèrent un rôle essentiel dans la défense naturelle du royaume, permettant de contenir les incursions musulmanes et d’assurer la sécurité de ses habitants. Pour renforcer son autorité, Pélage s’appuya sur les structures sociales locales héritées de l’époque préromaine et romaine, tout en s’efforçant de restaurer un semblant d’unité parmi les communautés chrétiennes dispersées.
Sous les successeurs de Pélage, notamment Favila (737-739) et Alphonse I (739-757), le royaume commença à s’organiser davantage. Alphonse I, en particulier, entreprit d’unifier les territoires voisins, consolidant le contrôle asturien sur les zones adjacentes. Il encouragea également le repeuplement des régions abandonnées, favorisant le retour des populations chrétiennes dans des zones stratégiques. Ces initiatives permirent d’établir une base démographique et économique pour soutenir la résistance à long terme.
La consolidation du pouvoir passa également par la réorganisation politique et militaire. Les souverains asturiens mirent en place un système de défense basé sur des fortifications locales et des garnisons mobiles capables de réagir rapidement aux incursions ennemies. Parallèlement, ils développèrent une identité chrétienne distincte, se positionnant comme les défenseurs de la foi face à l’islam. Cette idéologie de résistance s’appuya sur des récits bibliques et sur la mémoire de la monarchie wisigothique, renforçant ainsi la légitimité de la dynastie fondée par Pélage.
Sous les règnes d'Alphonse I (739-757) et de ses successeurs, les Asturies étendirent progressivement leur territoire en profitant de la géographie montagneuse et des difficultés internes du califat de Cordoue. Les souverains asturiens menèrent des campagnes régulières pour sécuriser leur position, tout en attirant les populations chrétiennes des plaines vers les montagnes.
Le tournant majeur survint au IXe siècle, sous le règne d’Alphonse III le Grand (866-910). Ce roi énergique renforça les frontières et fit du royaume une puissance militaire et politique majeure dans le nord de la péninsule. Il engagea également un processus de "reconquête" symbolique en revendiquant l’héritage des Wisigoths et en consolidant une idéologie de résistance chrétienne.
Alphonse III entreprit une vaste réorganisation du royaume. Il établit des alliances avec d’autres entités chrétiennes, notamment les comtés pyrénéens, tout en consolidant son influence dans les territoires du nord-ouest. Sa politique intérieure favorisa le repeuplement des zones abandonnées et le renforcement des infrastructures militaires et civiles. Ce repeuplement, connu sous le nom de "repopulation", permit de revitaliser les régions désertées à la suite des invasions et des conflits. Cette initiative fut soutenue par une administration renforcée et par l’établissement de nouveaux centres de pouvoir, dont Léon devint le symbole.
La cour fut transférée de la ville d’Oviedo à Léon, marquant un changement stratégique crucial. Léon, mieux située géographiquement, offrait un accès direct aux plaines fertiles et aux voies commerciales, tout en constituant une base avancée pour les futures campagnes militaires. Ce déplacement marqua également une évolution idéologique : le royaume ne se percevait plus uniquement comme un bastion de résistance, mais comme un acteur proactif de la reconquête.
Les réformes administratives et militaires d’Alphonse III furent essentielles pour faire de Léon une puissance majeure. Il renforça les structures féodales et s’appuya sur une aristocratie fidèle pour gouverner les territoires étendus. Par ailleurs, il promut une identité culturelle et religieuse commune, s’appuyant sur des récits glorifiant l’héritage wisigoth et les exploits des rois asturiens.
C’est cette transformation, amorcée sous Alphonse III, qui permit au royaume de Léon de devenir un acteur central de la Reconquista. La puissance militaire, l’organisation politique et la capacité d’adaptation du royaume furent des atouts essentiels pour la reconquête progressive des territoires dominés par Al-Andalus.
Le royaume des Asturies, puis de Léon, entretint des relations complexes et variées avec les autres entités chrétiennes de la péninsule ibérique, qui étaient elles-mêmes en pleine émergence. Ces relations furent marquées par des alliances ponctuelles, des rivalités territoriales et des échanges culturels.
Avec les comtés pyrénéens, notamment ceux de Sobrarbe, Ribagorce et Pallars, des alliances furent régulièrement conclues pour mutualiser les efforts contre les incursions musulmanes. Ces comtés, bien que petits et isolés, jouèrent un rôle stratégique en formant une ceinture protectrice dans le nord-est de la péninsule. Ces alliances étaient souvent renforcées par des mariages dynastiques, qui permettaient d’établir des liens solides entre les différentes familles régnantes.
La Navarre, autre acteur majeur du nord de la péninsule, entretint des relations fluctuantes avec les Asturies et Léon. Bien qu’une alliance naturelle semblait exister face à l’ennemi commun qu’était Al-Andalus, des rivalités éclatèrent fréquemment, notamment pour le contrôle des territoires frontaliers. Les tensions avec la Navarre furent parfois exacerbées par les ambitions d’unification des territoires chrétiens, chaque royaume revendiquant un rôle prééminent.
Le comté de Castille, initialement vassal du royaume de Léon, devint progressivement un partenaire important mais également une source de tensions internes. Sous la pression des barons castillans, le comté accrut son autonomie, ce qui mena à des conflits avec la couronne léonaise. Ces conflits culminèrent au XIe siècle avec la proclamation du royaume de Castille, marquant une fracture dans l’unité des royaumes chrétiens du nord.
En dépit des rivalités, la coordination militaire était essentielle dans la lutte contre Al-Andalus. Les souverains des Asturies et de Léon participèrent à des campagnes militaires conjointes avec d’autres royaumes, partageant des ressources et des stratégies pour repousser les incursions musulmanes. Les alliances temporaires se transformaient parfois en affrontements, mais elles permirent de maintenir une pression constante sur les territoires musulmans.
Sur le plan culturel et religieux, les relations entre ces royaumes favorisèrent également un échange d’idées et de traditions. Les monastères et églises jouèrent un rôle central dans la diffusion des textes sacrés et des techniques architecturales. Ces échanges contribuèrent à forger une identité chrétienne commune, renforçant le sentiment d’unité malgré les divisions politiques.
En somme, les relations entre le royaume des Asturies/Léon et les autres royaumes chrétiens furent à la fois conflictuelles et collaboratives. Elles reflétaient les dynamiques complexes d’une péninsule en mutation, où les ambitions territoriales coexistaient avec un objectif commun : la reconquête des terres sous domination musulmane.
Auteur : Jeanneteau, Stéphane. Mars 2015.