L’ascension d’un roi méconnuGuillaume le Roux, roi d'Angleterre de 1087 à 1100, est un personnage complexe et souvent controversé. Héritier cadet de Guillaume le Conquérant, il a marqué l’histoire par ses ambitions militaires, son style de gouvernement centralisé et ses relations conflictuelles avec l’Église et ses pairs. Ce texte explore sa vie, ses actions en tant que souverain, ainsi que les impacts de son règne sur l’Angleterre et l’Europe.
Guillaume le Roux, né vers 1060 en Normandie, était le troisième fils de Guillaume le Conquérant et de Mathilde de Flandre. Ce surnom, "le Roux", lui vient probablement de la couleur de ses cheveux flamboyants ou de son teint rosé. Bien que ce surnom ait été peu utilisé de son vivant, il est devenu un moyen pour les historiens de le distinguer des nombreux autres Guillaume de son époque.
Son enfance s’est déroulée dans un contexte familial complexe, marqué par les rivalités entre ses frères et les ambitions politiques de son père. Éduqué par le célèbre moine érudit Lanfranc, alors abbé de l'abbaye aux Hommes de Caen, Guillaume a reçu une formation solide, combinant des bases intellectuelles, religieuses et militaires. Initialement destiné à une carrière ecclésiastique, en partie à cause de son rang dans la fratrie, son destin a été bouleversé par des tragédies et des conflits familiaux. La mort de son frère aîné Richard dans un accident de chasse et les disputes avec son autre frère, Robert Courteheuse, ont placé Guillaume dans une position inattendue au cœur des ambitions dynastiques.
Guillaume s’est rapidement imposé comme un chevalier loyal au service de son père, se forgeant une réputation de jeune homme énergique et persévérant. Ses contemporains louaient son obéissance et son respect pour son père, bien que ces qualités soient parfois éclipsées par son tempérament impulsif et son goût pour les plaisanteries parfois cruelles, comme en témoigne un célèbre incident où il provoqua une dispute violente avec Robert.
La mort de Guillaume le Conquérant en 1087 a déclenché une crise de succession entre ses fils, chacun revendiquant une partie des vastes territoires du père. Robert Courteheuse, l’aîné, a été reconnu comme duc de Normandie, conformément à la tradition féodale, tandis que Guillaume a hérité de la couronne d’Angleterre. Henri, le benjamin, a reçu une somme d’argent importante mais aucun territoire.
Guillaume a rapidement consolidé sa position en Angleterre, s’appuyant sur le soutien de Lanfranc, devenu archevêque de Cantorbéry et figure clé dans l’administration du royaume. Il a également pris le contrôle du trésor royal à Winchester, une étape cruciale pour sécuriser son pouvoir. Son couronnement à l’abbaye de Westminster le 26 septembre 1087, à peine 17 jours après la mort de son père, a été perçu par certains comme un coup d’État politique. En effet, bien que Robert ait été l’héritier présomptif des possessions paternelles, la loyauté de Guillaume envers son père, combinée à ses talents de négociateur, lui a permis de s’imposer comme roi d’Angleterre.
Cependant, cette accession n’a pas été sans opposition. Le partage des territoires a créé une situation instable : de nombreux barons anglo-normands, qui possédaient des terres des deux côtés de la Manche, se sont retrouvés dans une position délicate, contraints de choisir entre deux seigneurs. Guillaume, conscient de ces tensions, a su naviguer habilement dans ce contexte, en consolidant son pouvoir grâce à des alliances stratégiques et une gestion pragmatique des ressources.
Dès le début de son règne, Guillaume le Roux s’est confronté à une opposition significative de la part de la noblesse anglo-normande. Cette rébellion, survenue en 1088, était motivée par le mécontentement des barons face à la séparation des domaines familiaux entre Guillaume en Angleterre et son frère Robert Courteheuse en Normandie. Cette situation obligeait ces barons, dont les terres étaient réparties des deux côtés de la Manche, à prêter allégeance à deux souverains rivaux, une position intenable sur le plan politique et économique.
La révolte a été conduite par des figures puissantes, comme Odon de Bayeux, oncle de Guillaume, et Roger II de Montgomery, comte de Shrewsbury. Ces barons cherchaient à unir l’Angleterre et la Normandie sous la seule autorité de Robert Courteheuse. La rébellion a commencé par des raids et des pillages sur les terres des partisans de Guillaume. En réponse, le roi a adopté une approche méthodique et décisive.
La mobilisation des ressources : Guillaume a puisé dans le trésor royal pour gagner le soutien des élites locales, en promettant des récompenses et des allégements fiscaux. L’appui de l’Église a également été un facteur clé, consolidé par son ancien tuteur Lanfranc, alors archevêque de Cantorbéry.
Une stratégie de division : Le roi a su exploiter les dissensions au sein de ses adversaires. En promettant des amnisties et des concessions à certains rebelles, il a affaibli la coalition adverse. Roger de Montgomery, notamment, s’est rapidement rallié à Guillaume.
Une démonstration de force : Guillaume a dirigé personnellement les opérations militaires, assiégeant et prenant les bastions rebelles tels que Rochester et Pevensey. La rébellion a été écrasée avant même que Robert Courteheuse ne puisse intervenir depuis la Normandie.
La répression qui a suivi a été relativement clémente, à l’exception notable d’Odon de Bayeux, qui a été banni du royaume. Guillaume, pragmatique, a préféré maintenir la stabilité en pardonnant la plupart des rebelles, tout en récompensant ses alliés fidèles, comme Henri de Beaumont et Robert FitzHamon.
Les relations entre Guillaume et son frère aîné Robert Courteheuse ont été un point central de son règne. Après la rébellion de 1088, les tensions entre les deux frères se sont intensifiées, chacun cherchant à étendre son influence sur les territoires hérités de leur père.
Le traité de Caen (1091)
En 1091, Guillaume a entrepris une campagne en Normandie avec l’objectif de réunir les domaines familiaux sous sa domination. Cependant, cette tentative a conduit à des négociations plutôt qu’à un affrontement direct. Le traité de Caen, signé cette année-là, a représenté un compromis fragile : les deux frères se sont désignés héritiers l’un de l’autre, et Guillaume a conservé plusieurs territoires stratégiques en Normandie, notamment Eu, Cherbourg, et l’abbaye de Fécamp. En échange, il a promis d’aider Robert à reconquérir les territoires qu’il avait perdus au profit des barons normands.
Cependant, ce traité n’a jamais pleinement satisfait ni Guillaume ni Robert. Dès 1093, les deux frères ont repris les hostilités. Guillaume, grâce à ses ressources anglaises considérables, a corrompu plusieurs vassaux normands de Robert, affaiblissant ainsi son autorité. De son côté, Robert, soutenu par le roi Philippe Ier de France, a tenté de récupérer des territoires clés, mais sans succès décisif.
Les ambitions de réunification
Guillaume a cherché tout au long de son règne à réunifier l’Angleterre et la Normandie, considérant cette union comme essentielle pour sécuriser ses frontières et renforcer sa position face à ses rivaux continentaux, notamment le roi de France et le comte d’Anjou. Sa stratégie consistait à exploiter les faiblesses de Robert, connu pour sa mauvaise gestion et son tempérament prodigue, tout en consolidant ses propres positions militaires et politiques.
Les conflits avec Henri Beauclerc
Le benjamin de la famille, Henri, a également joué un rôle dans cette rivalité. Après avoir acheté des terres stratégiques en Normandie, il a habilement navigué entre ses deux frères, soutenant parfois Guillaume, parfois Robert, selon ses propres intérêts. La bataille pour le contrôle de la Normandie a donc été marquée par des alliances fluctuantes et des trahisons, rendant la situation encore plus instable.
Le règne de Guillaume le Roux a été marqué par une administration centralisée et des réformes audacieuses qui ont renforcé le pouvoir royal. Héritant des structures administratives élaborées par son père, Guillaume le Conquérant, il a su les développer pour mieux contrôler son royaume. Son approche pragmatique et parfois brutale a permis de consolider son autorité, mais elle a aussi généré des résistances.
Renforcement de l’autorité royaleGuillaume a utilisé la féodalité à son avantage, limitant l’indépendance des barons en intervenant directement dans la succession des terres nobles. En cas de décès d’un seigneur, il retardait souvent la nomination d’un successeur pour s’assurer le contrôle des revenus du domaine. Ce système permettait au roi de maintenir les barons sous pression, tout en consolidant son pouvoir sur les territoires stratégiques.
La centralisation du pouvoir était également visible dans la manière dont Guillaume supervisait personnellement l’administration du royaume. Contrairement à de nombreux souverains médiévaux qui déléguaient largement, Guillaume passait la plupart de son temps en Angleterre, veillant à ce que son autorité soit respectée dans tous les aspects de la gouvernance.
Les réformes fiscales et la gestion des forêts royalesPour financer ses ambitions militaires et ses grands projets de construction, Guillaume a introduit de nouvelles taxes et renforcé l’efficacité de leur collecte. Le rôle de Rainulf Flambard, un administrateur habile mais impopulaire, a été central dans cette politique fiscale. Utilisant des outils comme le Domesday Book, l’administration royale a accru la pression fiscale, suscitant des mécontentements parmi les barons et le clergé.
La gestion des forêts royales, en particulier la New Forest, est un autre exemple de sa volonté de contrôler les ressources du royaume. Ces forêts, utilisées pour la chasse royale, étaient protégées par des lois strictes, souvent perçues comme injustes par la population locale. L’expansion de ces domaines forestiers a renforcé l’autorité symbolique du roi tout en créant des frictions avec les communautés locales.
Projets architecturaux et symboles du pouvoirGuillaume a utilisé l’architecture pour affirmer son autorité. L’achèvement de la Tour de Londres, commencée par son père, et la construction du Grand Hall du Palais de Westminster, symbole du pouvoir royal, témoignent de son ambition de laisser une empreinte durable. Ces édifices étaient non seulement des centres de pouvoir, mais aussi des manifestations tangibles de la stabilité et de la grandeur du royaume.
Les relations de Guillaume avec l’Église ont été marquées par des tensions constantes. Contrairement à son père, qui entretenait des rapports plus harmonieux avec les institutions ecclésiastiques, Guillaume se distinguait par son pragmatisme fiscal et son mépris apparent pour la piété traditionnelle.
Une politique fiscale agressiveGuillaume a exploité les richesses de l’Église pour financer son règne. Il maintenait volontairement les sièges épiscopaux et abbayes vacants pour percevoir les revenus des domaines ecclésiastiques. Cette pratique, bien que efficace pour renflouer les caisses royales, a suscité l’indignation des ecclésiastiques. Elle renforçait l’image d’un roi davantage préoccupé par ses ambitions matérielles que par les devoirs spirituels associés à son rôle.
Le conflit avec AnselmeL’un des épisodes les plus emblématiques des tensions entre Guillaume et l’Église fut son affrontement avec Anselme, archevêque de Cantorbéry. En 1093, alors gravement malade, Guillaume avait accepté la nomination d’Anselme à ce poste, mais leur relation s’est rapidement détériorée. Anselme, défenseur des réformes grégoriennes et allié du pape Urbain II, s’est heurté aux pratiques de Guillaume, notamment son contrôle sur les nominations ecclésiastiques et son exploitation des biens de l’Église.
Le conflit a culminé en 1095 lors du concile de Rockingham, où Guillaume a accusé Anselme de déloyauté pour avoir reconnu l’autorité du pape sans l’approbation royale. Bien que le roi ait fini par reconnaître Urbain II comme pape, le différend a perduré. En 1097, Anselme, estimant sa position intenable, s’est exilé volontairement, laissant Guillaume sans opposition ecclésiastique directe.
Une réputation anti-cléricaleLes pratiques de Guillaume lui ont valu une réputation d’irréligiosité. Il ne patronnait pas les monastères et montrait peu d’intérêt pour les affaires spirituelles. Ses détracteurs, en particulier les chroniqueurs religieux comme Orderic Vital, l’ont décrit comme un roi débauché et insensible aux valeurs chrétiennes. Pourtant, il est probable que Guillaume voyait l’Église avant tout comme une institution à gérer, au même titre que la noblesse ou l’administration.
Guillaume le Roux a hérité de la tâche complexe de maintenir la domination anglaise sur l’Écosse, un royaume souvent hostile aux ambitions normandes. Les relations entre les deux royaumes, déjà tendues sous Guillaume le Conquérant, ont continué à représenter un défi stratégique majeur.
La soumission de Malcolm IIIEn 1091, Guillaume a mené une campagne contre Malcolm III d'Écosse, qui avait envahi le nord de l'Angleterre. La menace écossaise a été neutralisée par une combinaison de force militaire et de diplomatie. Guillaume a contraint Malcolm à prêter hommage et à reconnaître la domination anglaise, confirmant ainsi une relation de vassalité qui garantissait une certaine stabilité dans la région.
Cependant, les relations se sont détériorées après la mort de Malcolm en 1093. Guillaume a soutenu les fils de Malcolm dans leur lutte pour le trône contre leur oncle Donald III, ce qui a permis à Edgar Ier, un allié des Normands, d’accéder au pouvoir. Ce soutien stratégique a consolidé l’influence anglaise en Écosse, bien que cette domination restait fragile et dépendante des conflits internes écossais.
Les conséquences territorialesGuillaume a annexé la Cumbrie en 1092, une région traditionnellement disputée entre l’Angleterre et l’Écosse. Il a refondé la ville de Carlisle et renforcé la frontière nord en construisant des fortifications, marquant ainsi une étape importante dans la sécurisation des limites septentrionales de son royaume.
Le Pays de Galles, avec ses seigneurs locaux et ses territoires montagneux difficiles à contrôler, a représenté un autre défi majeur pour Guillaume.
Une présence normande renforcéeGuillaume a poursuivi l’expansion normande amorcée par son père. Il a soutenu les seigneurs des marches, comme Roger de Montgomery et Bernard de Neufmarché, dans leurs efforts pour soumettre les Gallois. Des forteresses ont été construites pour affirmer le contrôle normand, notamment dans le sud du Pays de Galles, une région stratégique.
Les révoltes galloisesMalgré ces efforts, le contrôle normand a été continuellement contesté par des révoltes galloises. En 1094, une rébellion généralisée a éclaté, affaiblissant la domination normande dans la région. Guillaume a mené plusieurs campagnes pour rétablir l’ordre, mais ces succès militaires n’ont jamais permis une pacification totale du Pays de Galles, qui restait un territoire fragmenté et instable.
Sur le continent, Guillaume le Roux a cherché à étendre son influence en Normandie, au Maine, et même dans le domaine capétien, mais ses ambitions se sont heurtées à des rivalités tenaces.
La Normandie et le MaineGuillaume a concentré ses efforts pour reprendre le contrôle des territoires normands et du Maine, un état-tampon crucial entre la Normandie et l’Anjou. En 1098, il a réussi à capturer Élie de la Flèche, comte du Maine, renforçant temporairement la domination normande. Cependant, les pressions angevines et la révolte de la population locale ont limité ses gains territoriaux. La maîtrise de ces territoires restait précaire, exigeant des campagnes militaires répétées.
Le Vexin françaisLe Vexin, une région stratégique à la frontière entre la Normandie et le domaine capétien, était une priorité pour Guillaume. En 1097, il a lancé une campagne militaire dans cette région, soutenu par ses alliés normands. Bien qu’il ait construit la puissante forteresse de Gisors pour consolider sa position, ses ambitions dans le Vexin se sont heurtées à la résistance du roi de France, Philippe Ier. Si cette campagne a permis de dévaster des régions autour de Paris, elle n’a pas abouti à des gains territoriaux significatifs.
Une opposition capétienne et angevineLes ambitions continentales de Guillaume ont été freinées par deux puissances : les Capétiens, maîtres du domaine royal français, et les comtes d’Anjou, rivaux traditionnels des Normands. Bien qu’il ait réussi à maintenir une pression constante sur ces adversaires, Guillaume n’a jamais pu imposer sa domination de manière décisive.
Le 2 août 1100, Guillaume le Roux trouva la mort lors d’une chasse dans la New Forest, un événement qui reste entouré de mystère et de controverses. Selon les récits de l’époque, une flèche tirée par Gautier II Tirel, un noble français présent à la chasse, aurait accidentellement tué le roi en lui transperçant le cœur. Cependant, les circonstances exactes de sa mort ont alimenté de nombreuses spéculations.
Un accident ou un assassinat ?
Un contexte de rivalités politiquesLa mort de Guillaume survient dans un contexte de tensions dynastiques et de rivalités politiques. L’absence d’héritier direct de Guillaume a rendu la succession incertaine, créant une opportunité pour Henri. En outre, les ambitions de Guillaume sur le continent, notamment ses projets supposés contre les Capétiens, pourraient avoir motivé des acteurs externes à orchestrer sa disparition. Certains historiens, comme Emma Mason, ont même évoqué une possible implication française dans ce qui aurait été un assassinat déguisé.
Une mort aux conséquences durablesLa mort soudaine de Guillaume a déclenché une période de transition politique. Henri Beauclerc, en s’imposant rapidement comme roi d’Angleterre, a dû faire face à l’opposition de son frère aîné Robert Courteheuse, qui revenait de croisade. Cette situation a marqué le début d’une lutte prolongée pour la domination de la Normandie et de l’Angleterre.
Guillaume le Roux laisse derrière lui un règne contrasté, oscillant entre des réussites administratives et des échecs politiques.
Les réussites
Les échecs et limites
Un roi incompris ?Les témoignages des chroniqueurs dressent un portrait ambigu de Guillaume. S’il est souvent décrit comme cruel et arrogant, certains soulignent également son humour, son courage et sa loyauté envers ses soldats. Cependant, son incapacité à résoudre durablement les tensions internes et externes a limité l’impact de ses réformes et ambitions.
Mort de Guillaume le Roux. Lithographie de A. de Neuville (1895), extraite de Universal History par Ridpath.
Guillaume le Roux est un souverain dont la complexité réside dans ses contradictions : un homme à la fois courageux et brutal, ambitieux mais pragmatique, centralisateur mais incapable de résoudre les querelles dynastiques. Son règne a profondément marqué l’Angleterre et la Normandie, influençant les relations politiques et militaires en Europe au tournant du XIIe siècle.
Auteur : Stéphane Jeanneteau, mars 2014.
Sources et références :