Après avoir écrasé l’Empire perse achéménide lors des batailles du Granique (334 av. J.-C.), d’Issos (333 av. J.-C.), et de Gaugamèles (331 av. J.-C.), Alexandre le Grand poursuit son rêve d’une conquête universelle. En 327 av. J.-C., ayant consolidé son autorité sur la Bactriane et la Sogdiane, il se tourne vers les terres riches et encore inexplorées de l’Inde. L’expansion vers l’Est est motivée par un mélange d’ambitions politiques, économiques et stratégiques, ainsi que par le désir personnel d’Alexandre d’étendre son empire jusqu’aux confins du monde connu.
Alexandre reçoit alors des émissaires d’Omphis, roi de Takshashîlâ (Taxila), un royaume de la vallée de l’Indus. Craignant l’expansion de son voisin et rival, Pôros, roi du Paurava, Omphis demande l’aide d’Alexandre et offre son allégeance. Alexandre y voit une opportunité de sécuriser des alliances locales tout en étendant son empire jusqu’aux rivières de l’Inde, considérées à l’époque comme les limites ultimes du monde civilisé.
La région de l’Hydaspe, correspondant au Jhelum dans l’actuel Pakistan, est stratégique pour plusieurs raisons :
Pôros, roi du Paurava, est décrit comme un souverain puissant et ambitieux. Il commande une armée impressionnante comprenant de l’infanterie, de la cavalerie, des chars et surtout 200 éléphants de guerre. Ces derniers représentent une arme redoutable, inconnue des Macédoniens, et constituent un atout majeur dans la guerre défensive. Pour Alexandre, la victoire sur Pôros n’est pas seulement stratégique, mais symbolique, car elle démontre sa capacité à triompher face à des cultures et des armées radicalement différentes.
Pôros s’allie au prince du Cachemire et tente de rallier d’autres royaumes indiens, mais ses efforts restent limités. Lorsque les forces d’Alexandre approchent, il se prépare à défendre son royaume sur la rive gauche de l’Hydaspe, utilisant la rivière comme une barrière naturelle contre l’envahisseur.
En arrivant sur la rive droite de l’Hydaspe, Alexandre met en place une stratégie complexe pour traverser le fleuve. Il sait que le fleuve, gonflé par la mousson, constitue un obstacle naturel infranchissable sans une planification minutieuse. La cavalerie et les éléphants de Pôros, positionnés sur la rive opposée, rendent toute attaque directe suicidaire.
Alexandre divise son armée. Tandis que Cratère reste à son campement principal pour feinter une attaque, Alexandre, accompagné de ses forces d’élite, prépare une traversée secrète en amont. En manipulant l’information et en exploitant les failles de la surveillance indienne, Alexandre prouve sa maîtrise de la guerre psychologique et de la dissimulation.
La bataille de l’Hydaspe, survenue en 326 av. J.-C., est l’un des affrontements les plus impressionnants de l’histoire d’Alexandre le Grand. Elle illustre à la fois son génie tactique et sa capacité à s’adapter face à une armée dotée de caractéristiques uniques, comme les éléphants de guerre.
Arrivé sur la rive droite de l’Hydaspe, Alexandre établit son camp principal face à celui de Pôros, situé sur la rive gauche. Pôros, conscient des capacités militaires de son adversaire, positionne son armée pour empêcher toute traversée. La rivière, gonflée par les premières pluies de mousson, est rapide, profonde, et difficilement guéable. Alexandre comprend qu’une attaque frontale serait désastreuse.
Feintes et Désinformation : Pendant plusieurs jours, Alexandre déplace son armée de nuit le long de la rivière, simulant des tentatives de traversée. Ces mouvements déstabilisent les forces de Pôros, qui ne peuvent identifier où l’attaque principale aura lieu. Alexandre envoie également des paysans locaux diffuser de fausses informations, convainquant Pôros que l’armée macédonienne considère la traversée comme impossible.
Une traversée audacieuse : Alexandre découvre un point de passage à environ 27 km en amont de son camp principal. Profitant de la nuit et des forêts environnantes, il divise ses forces :
La traversée est lente et difficile. Alexandre établit d’abord une base sur un îlot, puis franchit le reste de la rivière. À l’aube, ses forces débarquent sur la rive gauche, sans alerter immédiatement l’armée de Pôros
La réaction de Pôros : Lorsque Pôros apprend qu’Alexandre a traversé, il envoie son fils à la tête d’un détachement de cavalerie et de chars pour contenir l’avancée. Cependant, les chars s’enlisent dans les terrains boueux près de la rive, rendant leur manœuvre inefficace. Alexandre contre-attaque avec ses archers montés, infligeant de lourdes pertes. Le fils de Pôros est tué dans l’affrontement.
Conscient de la menace, Pôros rassemble le gros de son armée et marche vers Alexandre, laissant un petit détachement pour surveiller Cratère.
L’armée de Pôros : Pôros déploie environ 30 000 fantassins, 4 000 cavaliers, 300 chars et 200 éléphants de guerre. Il place :
L’armée d’Alexandre : Alexandre adopte une tactique flexible :
Malgré la bravoure de Pôros, qui combat à dos d’éléphant jusqu’à être gravement blessé, son armée est écrasée. L’infanterie indienne est encerclée et subit de lourdes pertes. Les éléphants restants sont capturés ou tués, et la cavalerie indienne est annihilée.
Pôros, gravement blessé, est capturé par Alexandre. Impressionné par son courage, Alexandre lui accorde la vie sauve et lui restitue son royaume, agrandi de territoires voisins.
Il est difficile d'estimer les pertes des deux camps, mais les Indiens perdirent probablement toute leur cavalerie, beaucoup de leur infanterie et plus de 100 éléphants de guerre. Arrien avance 20.000 fantassins et 3.000 cavaliers tués. En ce qui concerne les Macédoniens. Alexandre captura plus de 80 éléphants, sa cavalerie fut épargnée mais il perdit une partie importante de son infanterie. Selon Arrien, les pertes Macédoniennes ne se furent que de 310, 80 fantassins et 230 cavaliers. Les historiens modernes, comme John Frederick Charles Fuller, considèrent plus réaliste le chiffre donné par Diodore de Sicile d'environ 1.000 hommes, 700 fantassins et 280 cavaliers, qui semble effectivement plus plausible compte tenu du succès partiel des éléphants de guerre Indiens. L'historien Peter Green estime qu'Alexandre perdit 4.000 hommes, la plupart étant des phalangistes qui subirent le combat contre les éléphants, car les chevaux de la cavalerie Macédonienne avaient refusé de s'en approcher.
La victoire d’Alexandre le Grand à l’Hydaspe est un événement marquant de sa campagne en Asie. Elle témoigne de son génie tactique et de sa capacité à s’adapter face à des défis inédits, comme les éléphants de guerre et la tactique indienne. Cette bataille a des conséquences profondes, tant sur le plan militaire que politique, stratégique et symbolique.
Victoire décisive : La bataille de l’Hydaspe démontre une fois de plus la supériorité tactique des armées d’Alexandre face à des adversaires numériquement supérieurs. Bien que l’armée macédonienne subisse des pertes importantes, elle écrase les forces de Pôros :
Capture des éléphants : Alexandre capture une centaine d’éléphants, qui deviennent un atout stratégique pour ses futures campagnes. Ces bêtes impressionnent ses troupes et renforcent la réputation de son armée comme invincible.
Relation avec Pôros : Impressionné par la bravoure et les compétences de Pôros, Alexandre choisit de le récompenser au lieu de le punir. Il lui restitue son royaume, élargi avec des territoires conquis, et en fait un allié loyal. Ce geste reflète la politique d’intégration d’Alexandre, qui préfère coopérer avec les chefs locaux pour stabiliser ses conquêtes.
Établissement de la domination macédonienne : La victoire ouvre la voie à la soumission des royaumes voisins du Pendjab. Pôros joue un rôle crucial dans la pacification de la région, servant de tampon contre d’éventuelles rébellions ou invasions depuis l’Inde.
Fondation de villes : Alexandre fonde deux nouvelles cités pour consolider sa domination :
Prestige accru d’Alexandre : La victoire à l’Hydaspe renforce encore la réputation d’Alexandre comme un conquérant invincible, capable de triompher dans des conditions difficiles contre des adversaires redoutables.
Craintes dans l’armée macédonienne : La bataille met en lumière les limites de la résistance des soldats d’Alexandre. Confrontés à des adversaires déterminés, comme Pôros et ses éléphants de guerre, les soldats commencent à ressentir de l’épuisement après des années de campagne.
Rébellion de l’armée : La bataille de l’Hydaspe marque également un tournant dans la campagne indienne. Après cette victoire, l’armée d’Alexandre, épuisée par les combats, refuse de continuer vers l’Est. Les soldats craignent de devoir affronter des armées encore plus grandes, notamment celle de l’empire Nanda, qui dispose d’un vaste contingent d’éléphants de guerre.
Retrait vers l’Ouest : Devant l’opposition de ses troupes, Alexandre renonce à poursuivre la conquête de l’Inde et décide de retourner vers l’Ouest. Ce retrait marque la limite orientale de son empire.
Introduction de la culture grecque en Inde : La victoire établit un contact durable entre la culture grecque et les traditions indiennes. Les villes fondées par Alexandre et les échanges qui en découlent participent à l’émergence d’une ère de syncrétisme culturel.
Influence sur les royaumes locaux : Les royaumes voisins de Pôros adoptent certains aspects de l’organisation militaire macédonienne, notamment l’utilisation des éléphants de guerre dans des formations plus disciplinées.
Un modèle pour la stratégie militaire : La bataille de l’Hydaspe est étudiée par les tacticiens pour sa démonstration de manœuvres complexes et l’utilisation innovante des ressources disponibles. Alexandre y montre sa capacité à s’adapter à des conditions de combat inédites.
Dernière grande bataille d’Alexandre : L’Hydaspe est le dernier affrontement majeur d’Alexandre. Bien qu’il engage d’autres combats en Inde et en Perse, aucun ne rivalise avec l’envergure et la complexité de cette bataille.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Décembre 2010