Les guerres entre Rome et Véies marquent l'une des premières grandes rivalités territoriales et militaires de la République romaine naissante, opposant la cité-État de Rome à la puissante cité étrusque de Véies. Situées à seulement 17 kilomètres l'une de l'autre, les deux villes se disputent le contrôle du Tibre, des routes commerciales, et des ressources stratégiques comme les salines. Ces conflits s'étendent sur près d'un siècle et s'articulent autour de trois grandes guerres marquées par des batailles décisives, des sièges prolongés, et des périodes de trêve.
Carte de Rome et de ses environs au ve siècle av. J.-C.En rouge, la cité de Rome.En vert, les cités étrusques de Véies, Caeré et Tarquinia.En orange, les cités latines.
La première guerre entre Rome et Véies constitue un épisode fondateur des relations hostiles entre ces deux cités. Cette guerre, bien que marquée par des batailles décisives comme celle du Crémère, est surtout le théâtre de rivalités économiques et territoriales croissantes entre la jeune République romaine et la puissante cité étrusque de Véies.
Au début du Ve siècle av. J.-C., Rome traverse une période de transition politique marquée par le passage de la monarchie à la République. La chute des Tarquins affaiblit temporairement l'influence de Rome sur la ligue latine et laisse la jeune République dans une position vulnérable. Malgré cette instabilité, Rome parvient à préserver son territoire grâce à la bataille du lac Régille (vers 496 av. J.-C.) et au traité du fœdus Cassianum (493 av. J.-C.), qui réintègre la cité dans la ligue latine.
Véies, de son côté, est l'une des cités les plus puissantes de la confédération étrusque. Située à seulement 17 kilomètres de Rome, sur la rive droite du Tibre, elle contrôle des ressources stratégiques, notamment les salines et la cité de Fidènes, qui constitue un nœud de commerce sur le Tibre. La rivalité économique et territoriale s'intensifie lorsque les deux cités cherchent à étendre leur influence sur ces ressources.
La guerre éclate en 485 ou 482 av. J.-C., selon les sources, à la suite d'une série d'accrochages frontaliers et de raids sur les terres romaines. La gens Fabia, l'une des plus anciennes et influentes familles patriciennes de Rome, joue un rôle central dans les premières années du conflit, tant sur le plan militaire que politique.
La gens Fabia se distingue par son rôle de chef de file dans la lutte contre Véies. En 479 av. J.-C., après plusieurs années de guerre infructueuse, les Fabii, menés par Marcus Fabius Vibulanus, proposent de prendre en charge la guerre contre Véies à leurs frais. Ils jurent devant le Sénat de soulager Rome de ce fardeau en combattant avec leurs propres troupes.
Les Fabii, au nombre de 306 hommes, établissent un fort près de la rivière Crémère, un affluent du Tibre situé à une dizaine de kilomètres en amont de Rome. À partir de cette base, ils mènent des raids réguliers sur les terres véiennes, infligeant des pertes importantes à l’ennemi et rapportant un butin conséquent à Rome.
Après une série de succès initiaux, les Fabii tombent dans une embuscade. Sûrs de leur supériorité, ils s'aventurent en territoire véien pour capturer du bétail, mais sont surpris et encerclés par une armée étrusque supérieure en nombre. Les Fabii tentent de briser l'encerclement en concentrant leur force sur un point précis, mais ils sont finalement submergés. Seuls quelques survivants parviennent à fuir, et la quasi-totalité de la gens Fabia est massacrée.
La perte des Fabii est un coup dur pour Rome, tant sur le plan militaire que symbolique. Le Sénat doit réagir rapidement pour éviter que Véies ne profite de cette victoire pour envahir le territoire romain.
À la suite du désastre du Crémère, les Véiens lancent une offensive majeure et occupent le Janicule, une colline stratégique située de l'autre côté du Tibre, face à Rome. Les consuls de l'année, Titus Menenius et Caius Horatius Pulvillus, sont envoyés pour défendre la ville. Après plusieurs batailles sanglantes près des portes de Rome, les armées véiennes sont repoussées et contraintes de se retrancher sur le Janicule.
L’année suivante, en 476 av. J.-C., sous le consulat de Spurius Servilius Priscus Structus et Aulus Verginius Tricostus Rutilus, les Romains organisent une contre-offensive. Ils tendent une embuscade aux Véiens, infligeant de lourdes pertes à l’armée étrusque. Une tentative d’assaut nocturne sur le camp romain échoue, et les Véiens se replient définitivement sur leur territoire.
Malgré ces victoires romaines, la guerre se termine sans gain territorial majeur pour les deux parties. Un statu quo est établi et une trêve de quarante ans est conclue, permettant aux deux cités de se concentrer sur leurs autres ennemis respectifs.
Affirmation de Rome : Malgré les pertes subies au Crémère, Rome démontre sa résilience et sa capacité à repousser une armée étrangère jusqu’à ses portes. Ce conflit marque une étape importante dans la consolidation de la République naissante.
Affaiblissement des Fabii : La disparition de la plupart des membres de la gens Fabia laisse un vide politique et militaire à Rome. Cependant, leur sacrifice contribue à renforcer l’unité et la cohésion de la cité.
Expansion future : Si cette guerre ne mène pas à une expansion immédiate, elle constitue un prélude aux guerres suivantes qui permettront à Rome de s'imposer comme la puissance dominante dans la région.
Montée en puissance de Véies : Malgré la trêve, Véies conserve son influence en Étrurie et continue de rivaliser avec Rome pour le contrôle du Tibre et des territoires environnants, préparant le terrain pour les guerres futures.
La première guerre entre Rome et Véies illustre les débuts d’une rivalité qui marquera durablement l’histoire de la République romaine. Ce conflit pose les bases des futures confrontations, marquées par la montée en puissance de Rome face à l’une des cités les plus influentes de l’Étrurie.
La deuxième guerre entre Rome et Véies, également connue sous le nom de « guerre de Fidènes », représente une nouvelle phase d’affrontements entre la jeune République romaine et l’importante cité étrusque de Véies. Ce conflit s’inscrit dans un contexte de rivalité stratégique et économique, marqué par la lutte pour le contrôle de Fidènes, une position clé sur le Tibre.
Après la trêve de quarante ans conclue à l’issue de la première guerre (477 av. J.-C.), les tensions entre Rome et Véies ne disparaissent pas. Rome, bien qu’affaiblie par le désastre du Crémère et les incursions régulières des Volsques et des Èques, réussit à se stabiliser politiquement et militairement. La République réaffirme son autorité sur ses alliés latins, tandis que Véies continue de s’imposer comme une puissance majeure de l’Étrurie méridionale.
En 438 av. J.-C., Fidènes, une ancienne colonie romaine située en amont du Tibre, change d’allégeance pour rejoindre Véies. Cette trahison représente une menace stratégique pour Rome, car Fidènes contrôle un point de passage crucial sur le Tibre et permet à Véies d’étendre son influence à proximité immédiate de la République.
Lars Tolumnius, roi de Véies, joue un rôle central dans le déclenchement du conflit. Charismatique et ambitieux, il voit dans l’alliance avec Fidènes une opportunité de renforcer la position de Véies face à Rome. Tolumnius ordonne l’exécution de quatre ambassadeurs romains venus à Fidènes pour négocier une issue pacifique, un acte qui scelle l’entrée en guerre de Rome.
La guerre commence par une série d’incursions des forces véiennes et fidénates sur le territoire romain. Le consul Lucius Sergius Fidenas mène une armée contre les envahisseurs et les repousse au-delà de la rivière Anio. Cependant, la menace reste pressante, et Rome décide de nommer un dictateur, Mamercus Aemilius Mamercinus, pour prendre en charge les opérations militaires.
En 437 av. J.-C., la bataille décisive de l’Anio a lieu. Mamercinus engage les troupes de Véies et de Fidènes, qui ont été rejointes par une armée falisque. Au cours de la bataille, Aulus Cornelius Cossus, maître de cavalerie, tue Lars Tolumnius en combat singulier. En signe de triomphe, il rapporte les « spolia opima », l’armure et les armes du roi défunt, qu’il dépose dans le temple de Jupiter Feretrius. La mort de Tolumnius provoque un effondrement du moral des troupes véiennes, qui sont mises en déroute par l’armée romaine.
À la suite de la bataille de l’Anio, les troupes ennemies se réfugient dans Fidènes. Rome lance un siège contre la cité, mais les Fidénates, soutenus par des renforts étrusques et falisques, résistent avec acharnement. La peste, qui frappe alors Rome, ralentit les opérations et empêche les Romains de prendre la ville. Le conflit s’enlise, et Fidènes reste sous le contrôle de Véies.
En 426 av. J.-C., les incursions fidénates dans le territoire romain reprennent, menaçant à nouveau la République. Pour faire face à cette situation critique, Rome nomme Quintus Servilius Structus Priscus dictateur, avec Postumius Aebutius Helva Cornicen comme maître de cavalerie. Sous leur commandement, les armées romaines marchent contre Fidènes, bien décidées à mettre un terme à cette guerre.
Les troupes romaines rencontrent les armées véiennes et fidénates près de Nomentum, au nord-est de Fidènes. Après une bataille féroce, les Romains remportent une victoire décisive, contraignant l’ennemi à se replier une nouvelle fois à Fidènes. Cette victoire permet à Rome de concentrer ses efforts sur le siège de la cité.
Fidènes est solidement fortifiée et bien approvisionnée, ce qui prolonge le siège. Pour briser la résistance, les Romains creusent un tunnel sous les murailles de la cité, tout en menant des attaques de diversion pour détourner l’attention des défenseurs. Une fois le tunnel achevé, les soldats romains pénètrent dans la ville et submergent les Fidénates, mettant fin à leur résistance. La cité est soumise à un pillage systématique, et son territoire est annexé par Rome.
La prise de Fidènes porte un coup dur à Véies, qui perd une position stratégique sur la rive gauche du Tibre. La cité étrusque se retrouve isolée, sans avant-poste pour surveiller et menacer directement le territoire romain.
Rome sort renforcée de ce conflit. Elle consolide sa domination sur le Latium et étend son territoire au nord du Tibre. La victoire permet également de stabiliser la République face à des menaces internes et externes.
À l’issue de la guerre, une trêve de vingt ans est conclue entre Rome et Véies. Cette période de calme relatif permet à Rome de se préparer à de futures guerres, tandis que Véies, affaiblie, doit faire face à des troubles internes.
La deuxième guerre entre Rome et Véies marque un tournant dans la rivalité entre ces deux cités. La victoire romaine, obtenue grâce à une combinaison de discipline militaire et de stratégie, prépare le terrain pour la troisième guerre, qui verra la chute définitive de Véies en 396 av. J.-C.
La troisième guerre entre Rome et Véies, souvent appelée « siège de Véies », est un conflit décisif qui scelle le sort de la cité étrusque de Véies. Ce long siège, marqué par des innovations militaires et des développements politiques majeurs, symbolise l’affirmation de Rome comme puissance régionale au détriment des Étrusques.
La trêve de vingt ans conclue à l’issue de la deuxième guerre (425 av. J.-C.) offre un répit temporaire, mais les rivalités entre Rome et Véies restent vives. Véies, située à seulement 17 kilomètres au nord de Rome, représente une menace constante pour la République, notamment à cause de sa position stratégique sur le Tibre et de son contrôle des salines et du commerce du sel.
Lorsque la trêve expire en 406 av. J.-C., Véies est affaiblie par des conflits internes, notamment liés à l’établissement d’une monarchie controversée, rejetée par les autres cités étrusques. Ce contexte fragilise Véies au moment où Rome, en quête d’expansion territoriale et de consolidation politique, prépare une nouvelle offensive.
La prise de Véies offrirait à Rome un avantage stratégique décisif. Outre l’élimination d’un adversaire direct, la conquête de Véies permettrait à Rome de doubler son territoire, d’accroître ses ressources économiques, et de consolider sa position dans le Latium et l’Étrurie méridionale.
La guerre est déclarée après une réponse jugée insolente de Véies aux émissaires romains. En 405 av. J.-C., Rome mobilise une armée importante pour assiéger Véies. Pour la première fois, Rome décide de maintenir une armée en campagne pendant l’hiver, une décision révolutionnaire qui marque un tournant dans les pratiques militaires romaines.
Les premières années du siège sont marquées par une guerre d’usure. Les forces romaines construisent des lignes de fortifications autour de la ville pour isoler Véies et empêcher toute aide extérieure. Cependant, le siège est compliqué par des défis logistiques et par les incursions des alliés de Véies, notamment les Falisques et les Capénates.
En 402 av. J.-C., une contre-offensive des alliés de Véies entraîne une défaite partielle des Romains, qui perdent une partie de leurs fortifications. Cette période d’instabilité est exacerbée par des divisions au sein du commandement romain, ralentissant la progression du siège.
En 399 av. J.-C., les Falisques et les Capénates intensifient leurs attaques contre les forces romaines, menaçant de rompre l’encerclement de Véies. Cependant, les Romains, sous le commandement de consuls expérimentés, lancent des raids sur les territoires falisques et capénates, pillant leurs terres et affaiblissant leur capacité à soutenir Véies.
Un événement notable de cette guerre est le prodige du lac Albain, dont le niveau monte mystérieusement. Selon une prophétie étrusque interprétée par un haruspice capturé, Rome ne pourra prendre Véies que si elle parvient à vider les eaux du lac. Les Romains détournent les eaux par la construction d’un canal, ce qui renforce leur détermination et leur supériorité technique.
Face à l’enlisement du siège et aux rumeurs de désorganisation, Rome nomme Marcus Furius Camillus dictateur en 396 av. J.-C. Camille, réputé pour sa discipline et sa stratégie, prend rapidement le commandement des opérations et redonne de l’élan aux troupes romaines.
Sous la direction de Camille, les Romains décident de creuser un tunnel sous les murailles de Véies pour pénétrer directement dans la citadelle. En parallèle, des attaques de diversion sont menées sur plusieurs fronts pour détourner l’attention des défenseurs.
L’assaut final, coordonné et décisif, permet aux Romains de pénétrer dans la ville par le tunnel, débouchant dans le temple de Junon, cœur symbolique de Véies. Les forces romaines envahissent la cité, massacrant une grande partie de la population et pillant ses richesses. La chute de Véies marque la fin de cette guerre longue et coûteuse.
La conquête de Véies représente un moment charnière dans l’histoire de Rome. La République annexe le territoire de Véies, doublant ainsi la superficie de son territoire. Quatre nouvelles tribus rurales sont créées pour intégrer ce nouveau territoire dans le système administratif romain.
Le contrôle des terres de Véies, riches en ressources agricoles et stratégiquement situées, permet à Rome de renforcer son économie et d’accroître son influence dans le Latium. La victoire de 396 av. J.-C. symbolise également l’émergence de Rome comme une puissance dominante dans la région.
Marcus Furius Camillus est célébré comme le « second fondateur de Rome » pour son rôle décisif dans la conquête de Véies. Cependant, son succès ne le met pas à l’abri des conflits politiques internes, qui entraîneront plus tard son exil temporaire.
La chute de Véies marque le début du déclin de l’influence étrusque dans la région. Privée d’une de ses cités majeures, l’Étrurie méridionale perd sa capacité à rivaliser avec Rome, ouvrant la voie à l’expansion romaine vers le nord.
La troisième guerre entre Rome et Véies illustre la transformation de Rome en une puissance militaire et politique régionale. Le siège prolongé témoigne de l’évolution des stratégies romaines, notamment avec l’introduction des campagnes hivernales et des travaux d’ingénierie sophistiqués. La victoire finale de 396 av. J.-C. marque une étape clé dans la construction de l’hégémonie romaine en Italie centrale.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Décembre 2010