La Deuxième Guerre Punique, commencée en 218 av. J.-C., a vu Hannibal infliger de lourdes défaites à Rome en Italie, notamment à Trasimène et à Cannes. Cependant, loin d’être achevée, la guerre se joue également sur d’autres fronts stratégiques. L’Espagne, région clé pour l’approvisionnement en ressources et le soutien militaire de Carthage, devient un enjeu central.
En 217 av. J.-C., les frères Gnaeus Cornelius Scipio Calvus et Publius Cornelius Scipio avaient réussi à sécuriser les territoires au nord de l’Èbre pour Rome et à empêcher Hasdrubal Barca de rejoindre Hannibal en Italie. Mais leur position s’affaiblit progressivement avec l’arrivée de trois armées carthaginoises, sous les généraux Hasdrubal Barca, Magon Barca et Hasdrubal Giscón, qui inversent la tendance. En 211 av. J.-C., lors d’un double affrontement tragique, les frères Scipion sont vaincus et tués. Les Romains se replient sur l’Èbre, perdant l’initiative en Espagne.
À Rome, la guerre en Italie s’enlise et Hannibal attend toujours des renforts depuis la péninsule Ibérique. La mort des frères Scipion met en évidence l’urgence de reprendre l’initiative stratégique en Espagne. En 210 av. J.-C., malgré son jeune âge, Publius Cornelius Scipio, fils de l’un des généraux tombés, est nommé à titre exceptionnel proconsul pour commander les opérations en Espagne. Sa mission est claire : reprendre les territoires perdus et couper les ressources vitales des Carthaginois.
Carthagène, capitale carthaginoise en Ibérie, revêt une importance particulière. Située sur une presqu’île et dotée de défenses naturelles impressionnantes, la ville abrite les trésors de guerre des Carthaginois, des otages ibères et un port stratégique permettant de contrôler la Méditerranée occidentale. Profitant de la dispersion des armées carthaginoises, Scipion décide de frapper rapidement et de s’emparer de cette position-clé avant que les généraux ennemis ne puissent coordonner une défense.
1. Approche stratégique :
Scipion, à la tête de son armée forte de 28 000 fantassins, 3 000 cavaliers et 35 navires, planifie son attaque en exploitant la dispersion des forces carthaginoises. Hasdrubal Barca, Magon Barca, et Hasdrubal Giscón sont éloignés de Carthagène, chacun à plus de dix jours de marche. La ville, bien que stratégiquement située sur une presqu’île et solidement fortifiée, est laissée avec une garnison réduite. Scipion, en marche forcée depuis Tarragone, arrive rapidement à Carthagène et établit un siège terrestre et maritime, isolant complètement la ville.
2. Configuration du siège :
Carthagène est naturellement protégée sur trois côtés : une baie au sud donnant sur la mer Méditerranée, une grande lagune au nord reliée à la mer par un canal, et un isthme étroit à l’est reliant la ville au continent. Scipion installe son camp à l’isthme pour bloquer la sortie terrestre, tandis que sa flotte, dirigée par Lælius, barre l’accès par la mer. Cette double manœuvre coupe la ville de tout secours extérieur.
3. Première tentative d’assaut :
Après avoir repoussé une sortie des défenseurs, Scipion lance une première attaque combinée depuis l’isthme et la baie. Les légionnaires attaquent par terre, tandis que la flotte bombarde les défenses depuis la mer. Cette attaque échoue face à la résistance acharnée de la garnison punique et à la solidité des fortifications. Scipion ordonne une pause pour réorganiser ses troupes.
4. La percée décisive :
Profitant de son expérience et de sa capacité à improviser, Scipion conçoit une manœuvre audacieuse. Pendant que les troupes romaines simulent une diversion à l’ouest de la ville, un contingent de soldats traverse la lagune peu profonde au nord. La marée basse rend cette traversée possible. Les légionnaires escaladent les murailles nord, surprenant les défenseurs à revers. Simultanément, un second assaut est lancé depuis l’isthme, mettant les défenseurs sous pression sur deux fronts. Dans la confusion, les forces puniques ne peuvent coordonner une défense efficace.
5. Prise de la ville :
Les Romains franchissent les murailles et entrent dans la ville. La garnison punique, sous le commandement de Magon, se réfugie dans la citadelle (Arx Asdrubalis), mais elle est rapidement submergée. Magon capitule avec ses troupes, et la ville tombe entièrement aux mains des Romains. Scipion, respectant ses soldats, autorise le pillage de la ville, renforçant la motivation de ses troupes.
La bataille se termine par une victoire écrasante, marquée par la capture de riches trésors, de provisions stratégiques, et de nombreux otages ibères.
1. Victoire stratégique majeure pour Rome :
La prise de Carthagène marque un tournant décisif dans la deuxième guerre punique. Rome s'empare d'une position clé en Hispanie, à la fois sur le plan militaire et économique. Carthagène était le principal port carthaginois dans la péninsule, et sa perte affaiblit considérablement l’influence punique dans la région.
2. Acquisition de ressources stratégiques :
3. Renforcement de la réputation de Scipion :
Scipion l'Africain, bien qu’encore jeune, gagne en prestige grâce à cette victoire audacieuse. Il est célébré pour son habileté stratégique et sa clémence, notamment dans l’épisode où il libère une princesse ibère, consolidant ainsi le soutien des tribus locales. Cet événement renforce son autorité en Hispanie et fait de lui une figure clé de la guerre.
4. Affaiblissement de Carthage en Hispanie :
La perte de Carthagène désorganise les forces carthaginoises en Hispanie :
5. Tête de pont pour la conquête romaine :
La ville rebaptisée Carthago Nova (Nouvelle Carthage) devient une base militaire et logistique pour les campagnes romaines en Hispanie. De là, Scipion prépare l’offensive contre les autres bastions carthaginois, consolidant progressivement la domination romaine sur la péninsule ibérique.
6. Répercussions politiques :
7. Avancée vers la victoire finale :
La prise de Carthagène inaugure une série de succès romains en Hispanie qui culmineront avec la victoire finale sur Carthage à la bataille de Zama en 202 av. J.-C., mettant fin à la deuxième guerre punique.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Janvier 2011