La bataille de Lugdunum, qui s’est déroulée le 19 février 197 apr. J.-C., fut l’un des affrontements militaires les plus sanglants et décisifs de l’histoire romaine. Elle opposa les forces de Septime Sévère, empereur en titre, à celles de Clodius Albinus, ancien allié devenu rival. Cet affrontement mit un terme à une lutte acharnée pour le pouvoir impérial, marquant l’apogée des guerres civiles de l’année des cinq empereurs (193 apr. J.-C.).
Contexte historique
Lutte pour le pouvoir
Après l’assassinat de l’empereur Pertinax en 193 apr. J.-C., plusieurs prétendants émergent :
- Septime Sévère, proclamé empereur par les légions pannoniennes ;
- Clodius Albinus, commandant des légions de Bretagne ;
- Pescennius Niger, soutenu par les légions orientales.
Septime Sévère, consolidant son pouvoir, élimine successivement Didius Julianus (193) et Pescennius Niger (194). Bien qu’il ait initialement promis à Albinus le titre de César pour s’assurer son soutien, il renie cette alliance en 195, nommant son fils Caracalla comme successeur. Cette trahison déclenche une guerre civile entre Sévère et Albinus.
Les préparatifs
- Clodius Albinus, basé à Lugdunum (Lyon), rassemble une armée importante, composée des légions britanniques et de renforts gaulois et espagnols.
- Septime Sévère, après ses victoires en Orient, concentre ses forces danubiennes et rhénanes pour affronter Albinus.
Les escarmouches et batailles préliminaires en 196, notamment à Tournus, affaiblissent les deux camps sans donner d’avantage décisif.
La bataille
Localisation
La bataille se déroule près de Lugdunum, dans une région correspondant aujourd’hui à la périphérie de Lyon (peut-être vers Tassin-la-Demi-Lune ou au pied des Monts d’Or).
Forces en présence
Selon Dion Cassius, chaque camp aurait aligné près de 150 000 soldats, bien que ce chiffre soit probablement exagéré. Il est plus réaliste d’estimer les effectifs autour de 50 000 à 70 000 hommes par camp, incluant légions, auxiliaires et cavalerie.
Déroulement
- Début des hostilités : Les deux armées se livrent un combat frontal dans une plaine. La bataille est marquée par des manœuvres complexes, des charges répétées et de lourdes pertes.
- Les retournements de situation:
- L’aile gauche de Clodius Albinus commence à plier sous la pression des forces de Sévère.
- L’aile droite d’Albinus lance une contre-attaque, attirant les troupes de Sévère dans une zone piégée de tranchées, provoquant des pertes importantes.
- Sévère, blessé et temporairement désarçonné, parvient à rallier ses troupes, montrant un courage personnel remarquable.
- Intervention décisive de la cavalerie : La cavalerie de Sévère, menée par des généraux expérimentés, attaque le flanc d’Albinus, créant la confusion. Les forces d’Albinus se désorganisent et sont mises en déroute.
Massacre final
Les troupes de Sévère poursuivent les fuyards jusqu’à Lugdunum, les acculant au confluent de la Saône et du Rhône. Un grand nombre de soldats et civils sont massacrés, transformant la bataille en une boucherie.
Conséquences immédiates
La mort de Clodius Albinus
Le sort d’Albinus diverge selon les récits :
- Certains affirment qu’il se suicide après sa défaite.
- D’autres, dont Dion Cassius, racontent qu’il est capturé et décapité. Sa tête est envoyée à Rome comme avertissement.
Le pillage de Lugdunum
La ville, qui avait soutenu Albinus, est livrée au pillage par les troupes de Sévère. Ses murailles sont détruites, et elle perd son statut de capitale provinciale pour un temps.
Conséquences à moyen et long terme
Consolidation du pouvoir de Septime Sévère :
- Après cette victoire, Sévère est reconnu comme seul maître de l’Empire. Sa dynastie, connue sous le nom de dynastie sévérienne, régnera jusqu’en 235 apr. J.-C.
- Il punit sévèrement les sénateurs et les villes ayant soutenu Albinus, consolidant son autorité par une politique de répression.
Répercussions en Bretagne :
- Le retrait des légions britanniques affaiblit la présence romaine en Bretagne. Les frontières au nord deviennent instables, entraînant un repli des garnisons vers le mur d’Hadrien.
- Ces troubles marquent le début d’une période d’incursions répétées des tribus calédoniennes.
Changement stratégique :
- Sévère redistribue les forces militaires, récompensant les légions loyales et renforçant les garnisons sur le Rhin et le Danube.
- Les provinces gauloises et espagnoles, en partie dévastées par la guerre, subissent une lourde pression fiscale.
Analyse historique
Une bataille décisive
La bataille de Lugdunum est souvent décrite comme l’une des plus grandes batailles internes de l’histoire romaine. Elle démontre la capacité de Sévère à mobiliser des ressources considérables et à maintenir le soutien de ses troupes dans des circonstances difficiles.
Un tournant dans la gestion impériale
La victoire de Sévère marque une transition vers un mode de gouvernance plus autoritaire, où l’empereur s’appuie fortement sur l’armée et exerce une répression impitoyable contre ses opposants.
Un héritage durable
L’affrontement à Lugdunum met en lumière les tensions structurelles de l’Empire romain, notamment la concurrence entre les légions provinciales et les ambitions des généraux. Ces conflits annoncent les luttes pour le pouvoir qui caractériseront les siècles suivants.
Sources et références
- Dion Cassius, Histoire romaine.
- Hérodien, Histoire de l'Empire romain.
- Aurelius Victor, De Caesaribus.
- Birley, Anthony, Septimius Severus: The African Emperor, Yale University Press, 1988.
- Southern, Pat, The Roman Empire from Severus to Constantine, Routledge, 2001.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Mars 2011