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La bataille de Salamine -480

Contexte de la bataille de Salamine (480 av. J.-C.)

La bataille de Salamine, l’un des affrontements les plus célèbres des guerres médiques, est le résultat de la tentative achéménide de soumettre définitivement les cités grecques. Pour comprendre pleinement son contexte, il faut examiner les événements et enjeux qui ont conduit à cette bataille navale décisive.


1. L’ambition perse et la montée en puissance de Xerxès

Après la défaite perse à la bataille de Marathon (490 av. J.-C.) lors de la première guerre médique, l’empire achéménide, sous Darius Ier, avait commencé à préparer une nouvelle campagne contre les Grecs. Cependant, la mort de Darius en 486 av. J.-C. reporte les ambitions de vengeance sur son fils Xerxès Ier. Ce dernier entreprend des préparatifs gigantesques pour envahir la Grèce. Sa campagne vise non seulement à punir Athènes et les cités récalcitrantes, mais également à intégrer les cités grecques dans l’empire achéménide.

Xerxès met en œuvre une logistique massive : un pont de bateaux est construit pour traverser l’Hellespont, des entrepôts sont installés en Thrace pour soutenir son armée, et une flotte impressionnante est assemblée, composée de navires phéniciens, égyptiens et grecs alliés (notamment de l’Ionie). Les forces terrestres perses, selon les sources antiques, s’élèvent à plusieurs centaines de milliers d’hommes (bien que les estimations modernes réduisent ce chiffre). La flotte perse est également imposante, avec environ 800 à 1 200 trières.


2. La menace sur les cités grecques

Les préparatifs achéménides ne passent pas inaperçus en Grèce. Les cités grecques, bien que divisées par des rivalités politiques et économiques, prennent conscience de la menace. Athènes, sous l’impulsion de Thémistocle, investit massivement dans la construction d’une flotte après la découverte des mines d’argent du Laurion. Cela renforce considérablement la puissance navale athénienne, qui devient le pilier de la résistance grecque.

En 481 av. J.-C., un congrès des cités grecques se tient à Corinthe. Il marque une rare unité des Grecs face à l’invasion perse. Une trentaine de cités forment une coalition militaire dirigée par Sparte. Athènes fournit la majorité des navires de la flotte grecque (environ 200 trières sur 371), tandis que Sparte prend le commandement de l’armée terrestre. Cependant, cette alliance reste fragile, minée par des tensions entre cités comme Athènes et Égine, ou Sparte et Corinthe.


3. Les événements précédant Salamine

La campagne de Xerxès commence au printemps 480 av. J.-C. Les troupes perses franchissent l’Hellespont et envahissent la Grèce par la Thessalie. Les forces grecques tentent de ralentir leur avancée en bloquant les Thermopyles sous la direction du roi spartiate Léonidas. La résistance héroïque des 300 Spartiates et de leurs alliés ne peut cependant empêcher la progression perse. Xerxès remporte la bataille des Thermopyles et continue sa marche vers le sud.

Simultanément, la flotte grecque tente de barrer la route à la flotte perse lors de la bataille navale de l’Artémision, au large de l’Eubée. Bien que la bataille soit indécise, les pertes grecques et la chute des Thermopyles contraignent la flotte grecque à se replier vers Salamine.

Xerxès avance alors vers l’Attique. Athènes, menacée d’invasion, est évacuée sur ordre de Thémistocle. Les femmes, les enfants et les vieillards se réfugient à Salamine, tandis que les hommes rejoignent la flotte. Xerxès entre dans une Athènes désertée et fait incendier l’Acropole en signe de représailles.


4. La stratégie de Thémistocle

Face à l’avancée perse, les Grecs se divisent sur la stratégie à adopter. Eurybiade, commandant en chef de la flotte grecque, propose de se replier vers l’isthme de Corinthe pour protéger le Péloponnèse. Thémistocle s’y oppose fermement, estimant qu’abandonner Salamine reviendrait à céder la mer aux Perses et à sacrifier les populations réfugiées sur l’île.

Thémistocle plaide pour livrer bataille dans les eaux étroites de la baie de Salamine. Il soutient que :

  • Les navires perses, plus nombreux mais moins maniables, seront désavantagés dans un espace confiné.
  • Une victoire navale couperait les forces terrestres perses de leurs approvisionnements maritimes, forçant Xerxès à battre en retraite.
  • Les marins grecs, mieux entraînés et connaissant les eaux locales, auront un net avantage.

Pour convaincre ses alliés, Thémistocle recourt à la ruse. Selon Hérodote, il envoie un message secret à Xerxès par l’intermédiaire d’un messager nommé Sicinnos, prétendant que la flotte grecque est divisée et sur le point de fuir. Xerxès tombe dans le piège et ordonne à sa flotte de bloquer toutes les issues, piégeant ainsi les Grecs dans la baie de Salamine.


5. Une bataille cruciale pour la survie grecque

La bataille de Salamine est bien plus qu’un affrontement militaire. Elle symbolise :

  • La lutte pour la liberté grecque face à l’asservissement perse.
  • La défense de la civilisation hellénique contre une force étrangère perçue comme barbare.
  • L’importance de la mer Égée, essentielle pour le commerce et la communication entre les cités grecques.

Déroulement de la bataille de Salamine (480 av. J.-C.)

La bataille de Salamine est l’un des affrontements navals les plus marquants de l’histoire antique. Elle se déroule dans les eaux étroites entre l’île de Salamine et le continent grec. Ce combat décisif oppose la flotte grecque, menée par le stratège athénien Thémistocle, à l’imposante armada perse commandée par Xerxès Ier. Voici un développement détaillé de cette bataille :


1. Les positions initiales des deux flottes

  • Flotte perse : La flotte perse, composée d’environ 800 à 1 200 trières, est répartie en plusieurs contingents ethniques (Phéniciens, Égyptiens, Ciliciens, Grecs d’Ionie, etc.). Xerxès, convaincu de sa supériorité numérique, ordonne de bloquer les accès de la baie pour empêcher toute retraite grecque. Il place une partie de sa flotte dans le détroit de Salamine et positionne un détachement autour de l’îlot de Psyttalie pour récupérer les marins perses naufragés et massacrer les Grecs qui y échoueraient.

  • Flotte grecque : Les Grecs alignent environ 371 trières, avec une forte proportion de navires athéniens (près de 200). La flotte grecque, divisée en trois lignes, est positionnée en travers du détroit. Thémistocle commande le flanc gauche, tandis qu’Eurybiade, le Spartiate, dirige le centre et la droite.

2. L’approche stratégique de Thémistocle

Thémistocle exploite les caractéristiques géographiques du détroit de Salamine. Il sait que :

  • Les eaux étroites empêcheront les Perses de déployer leur supériorité numérique.
  • Les navires grecs, plus maniables et plus légers, bénéficieront d’un avantage tactique dans ces conditions.
  • La désorganisation persane sera amplifiée dans un espace confiné.

Pour maximiser cet avantage, Thémistocle recourt à une ruse : il envoie un faux message à Xerxès par l’intermédiaire de Sicinnos, prétendant que la flotte grecque est divisée et sur le point de se retirer. Persuadé d’une victoire facile, Xerxès ordonne à sa flotte d’encercler les Grecs dans la nuit, bloquant ainsi toute voie de fuite.


3. Le début de la bataille

  • Au lever du jour, les Perses avancent dans le détroit en ordre dispersé, incapables de maintenir une formation cohérente dans l’espace confiné.
  • Les Grecs, préparés et unis, observent les mouvements ennemis depuis leurs positions défensives. Ils commencent par reculer légèrement, feignant la peur, pour attirer davantage les Perses dans l’étroitesse du détroit.

4. L’engagement des flottes

Lorsque les navires perses sont suffisamment avancés et désorganisés, les Grecs passent à l’offensive :

  • L’aile gauche grecque, commandée par Thémistocle et composée majoritairement de navires athéniens, engage les Phéniciens, réputés pour leur expertise navale.
  • Le centre grec, où se trouvent les contingents corinthiens et chalcidiens, affronte directement les navires perses. L’étroitesse du détroit empêche les Perses de manœuvrer efficacement.
  • L’aile droite grecque, sous les ordres d’Eurybiade, attaque les Égyptiens, infligeant des pertes importantes.

Les Grecs utilisent la tactique de l’éperonnage, frappant les flancs des navires perses pour les couler ou les immobiliser. Une fois les navires perses désactivés, les hoplites grecs à bord des trières passent à l’abordage pour éliminer les équipages ennemis.


5. Le chaos dans la flotte perse

  • La flotte perse, trop nombreuse pour les eaux restreintes du détroit, se retrouve piégée. Les navires se heurtent les uns aux autres, gênant les manœuvres et amplifiant la confusion.
  • Une brise marine se lève, favorisant les Grecs, car leurs trières, plus basses, sont moins affectées par le vent que les navires perses, dont les superstructures plus élevées deviennent un handicap.

Les pertes perses augmentent rapidement. Les trières grecques, solides et bien manœuvrées, percent les lignes ennemies. L’organisation initiale de la flotte perse s’effondre, laissant chaque navire lutter individuellement.


6. La mort d’Ariabignès et le rôle d’Artémise

Pendant le combat, Ariabignès, le frère de Xerxès et l’un des commandants perses, est tué lors d’un abordage. Sa mort accentue la panique parmi les équipages perses.

Artémise, reine d’Halicarnasse et alliée des Perses, se distingue par son habileté tactique. Dans un acte de désespoir, elle coule un navire perse allié pour dégager son propre navire. Cette action audacieuse trompe les Grecs, qui la prennent pour une alliée.


7. L’intervention des hoplites grecs

  • Aristide, général athénien, dirige un détachement d’hoplites pour nettoyer l’îlot de Psyttalie, où les Perses avaient placé un contingent. Les hoplites massacrent les soldats perses présents et sécurisent l’îlot.

8. La retraite perse

À mesure que la journée avance, les Perses subissent des pertes écrasantes. Le sauve-qui-peut s’installe dans la flotte ennemie, et les navires restants tentent de fuir vers le mouillage de Phalère. Cependant, l’étroitesse du détroit ralentit leur retraite, laissant les Grecs achever de nombreux navires.

La bataille se termine par une victoire décisive des Grecs :

  • Les Perses perdent environ 200 navires, tandis que les Grecs n’en perdent qu’une quarantaine.
  • La flotte perse, démoralisée et désorganisée, ne peut plus soutenir efficacement l’armée terrestre de Xerxès.

9. L’après-bataille

Xerxès, témoin de la déroute depuis son trône installé sur une colline, est contraint de modifier ses plans :

  • Il décide de se retirer en Asie, laissant son général Mardonios commander les forces terrestres restantes en Grèce.
  • La victoire grecque à Salamine renforce le moral des cités grecques et affaiblit considérablement la logistique perse.




Conséquences de la Bataille de Salamine (480 av. J.-C.)

La bataille de Salamine est l’un des affrontements les plus décisifs des guerres médiques, marquant un tournant dans l’histoire de la Grèce antique et des conflits gréco-perses. Ses conséquences se répartissent sur plusieurs plans : militaires, politiques, économiques et culturels. Voici un développement détaillé des répercussions de cet événement historique :


1. Conséquences militaires

  • Affaiblissement de la flotte perse :

    • La destruction ou la capture d’environ 200 navires perses réduit considérablement la puissance navale de Xerxès, rendant impossible un contrôle effectif de la mer Égée. La flotte perse, bien qu’encore numériquement supérieure, est démoralisée et incapable de soutenir des offensives majeures.
    • Les lignes de ravitaillement perses, dépendantes de leur flotte, sont gravement perturbées, compliquant la logistique pour l’immense armée terrestre de Xerxès.
  • Retraite stratégique de Xerxès :

    • Conscient de la menace que représente une flotte grecque victorieuse, Xerxès décide de quitter la Grèce continentale avec une partie de son armée, craignant d’être piégé sans soutien naval.
    • Cette retraite marque la fin des ambitions immédiates de conquête totale de la Grèce par les Perses.
  • Préparation de la bataille de Platées :

    • La victoire de Salamine permet aux Grecs de regrouper leurs forces et de préparer une défense terrestre efficace. L’année suivante, lors de la bataille de Platées, les forces coalisées grecques remportent une victoire décisive, détruisant les espoirs perses de domination en Grèce.

2. Conséquences politiques

  • Consolidation de l’alliance grecque :

    • La victoire à Salamine renforce la cohésion des cités grecques alliées, notamment entre Sparte, Athènes et Égine, malgré leurs différends historiques.
    • Athènes s’affirme comme un leader maritime, grâce au rôle central de sa flotte dans la bataille, ce qui assoit son influence au sein de la ligue hellénique.
  • Déclin de l’influence perse en Grèce :

    • Après la défaite, les cités grecques d’Ionie et des îles de la mer Égée, sous domination perse, commencent à envisager la révolte. La bataille de Mycale (479 av. J.-C.) parachèvera cette émancipation.
    • Les Perses, bien que toujours puissants, ne menacent plus directement le cœur de la Grèce continentale après 480 av. J.-C.
  • Renforcement d’Athènes :

    • Athènes capitalise sur son rôle central dans la victoire pour s’imposer comme la puissance maritime dominante. Cela conduira à la création de la ligue de Délos en 478 av. J.-C., unissant les cités grecques sous l’hégémonie athénienne.

3. Conséquences économiques

  • Libération des routes commerciales :

    • La victoire grecque garantit la sécurité des routes maritimes en mer Égée, essentielles pour le commerce et la communication entre les cités grecques.
    • Les îles de la mer Égée, libérées de la domination perse, réintègrent le réseau commercial grec.
  • Reconstructions athéniennes :

    • Bien qu’Athènes ait été détruite par Xerxès avant la bataille, la victoire de Salamine pose les bases d’une période de reconstruction et de prospérité. Sous la direction de Thémistocle et plus tard de Périclès, Athènes deviendra un centre économique et culturel de premier plan.

4. Conséquences culturelles et psychologiques

  • Renforcement de l’identité grecque :

    • La victoire à Salamine est perçue comme une preuve de la supériorité de la civilisation grecque sur les empires despotiques comme celui des Perses.
    • Elle nourrit un sentiment d’unité et de fierté parmi les cités grecques, malgré leurs rivalités.
  • Glorification des héros grecs :

    • La bataille de Salamine contribue à la légende de Thémistocle, considéré comme l’architecte de la victoire. Son rôle dans la construction de la flotte athénienne et sa stratégie navale sont célébrés à travers l’histoire.
    • La bravoure des marins grecs est immortalisée dans des récits, poèmes et tragédies, comme Les Perses d’Eschyle.
  • Impact sur l’art et l’architecture :

    • La victoire inspire des projets monumentaux, notamment à Athènes, où les fonds de la ligue de Délos financeront la construction de chefs-d’œuvre comme le Parthénon.
    • L’art grec commence à représenter les Perses comme des figures de défaite, symbolisant l’échec de la tyrannie face à la liberté grecque.

5. Répercussions stratégiques à long terme

  • Fin des ambitions perses en Grèce :

    • Après la bataille de Salamine et les défaites qui suivent, les Perses n’entreprennent plus de campagne majeure en Grèce continentale.
    • Les guerres médiques prennent fin officiellement en 449 av. J.-C. avec la paix de Callias, mais Salamine marque déjà un point de non-retour pour les ambitions expansionnistes de l’Empire achéménide.
  • Début de l’âge d’or d’Athènes :

    • La victoire navale place Athènes en position de leadership dans le monde grec. Cette domination conduira à un âge d’or culturel, politique et militaire, mais aussi à des tensions croissantes avec Sparte, préparant le terrain pour la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.).

La bataille de Salamine marque la fin de la domination maritime perse en mer Égée et consolide la suprématie navale grecque, avec Athènes en tête. Elle renforce l’unité grecque, nourrit un sentiment identitaire commun et pave la voie à l’âge d’or d’Athènes. Parallèlement, elle affaiblit durablement les ambitions perses en Grèce et transforme le rapport de force en Méditerranée orientale.


Sources et Références

  1. Hérodote, Histoires.
  2. Plutarque, Vie de Thémistocle.
  3. Eschyle, Les Perses.
  4. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique.
  5. Maurice, J.F., Ancient Military Accounts, 1930.
  6. Hammond, N.G.L., History of Greece, 2000.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Décembre 2010