La Lusitanie, correspondant principalement à l’actuel Portugal et une partie de l’Espagne, est une région montagneuse et difficile d’accès, peuplée par des tribus celtiques et ibériques. Ces populations, organisées en communautés autonomes, vivent essentiellement de l’agriculture, de l’élevage et du pillage. Bien que Rome ait commencé à s’implanter dans la péninsule Ibérique après la Deuxième Guerre punique (-218 à -201), les Lusitaniens restent largement indépendants.
Après la pacification temporaire de la région en -179 grâce au général romain Tiberius Sempronius Gracchus, un traité de paix est signé avec les Lusitaniens. Cependant, ce calme est de courte durée. Les lourdes pressions fiscales, les incursions romaines, et l’extraction de ressources par les Romains attisent le mécontentement local.
En -155 av. J.-C., les Lusitaniens se soulèvent contre Rome sous la direction de leur chef Punicus, qui s’allie avec les Vettons, une autre tribu ibérique voisine. Cette révolte prend une tournure inquiétante pour Rome lorsque les Lusitaniens remportent une série de victoires contre les légions romaines, mettant à sac plusieurs colonies et garnisons.
À la mort de Punicus en bataille, le commandement passe à Caesarus, qui poursuit la lutte. Simultanément, un autre chef lusitanien, Caucenus, mène une campagne agressive au sud du fleuve Tage, élargissant le front de la révolte. Les Lusitaniens utilisent des tactiques de guérilla, exploitant leur connaissance du terrain pour harceler les forces romaines et se retirer avant de subir des pertes importantes.
Face aux succès initiaux des Lusitaniens, Rome décide d’envoyer deux commandants expérimentés, le préteur Servius Sulpicius Galba et le proconsul Lucius Licinius Lucullus, pour réprimer la révolte. Leur stratégie est brutale : les armées romaines s’attaquent systématiquement aux villages lusitaniens, pillant les ressources et massacrant les populations.
Galba propose aux Lusitaniens des pourparlers de paix, leur promettant des terres fertiles en échange de leur reddition. Les chefs lusitaniens, croyant à sa sincérité, se rassemblent avec leurs troupes. Cependant, cette promesse est une ruse : une fois les Lusitaniens désarmés et dispersés, Galba ordonne leur massacre, tuant des milliers de guerriers et réduisant en esclavage les survivants. Cette trahison marque profondément la mémoire des peuples ibériques et attise davantage leur résistance.
En réponse à ces atrocités, un chef charismatique et militaire, Viriathe, émerge pour prendre la tête de la rébellion. Originaire d’une tribu lusitanienne, il devient un symbole de résistance face à l’oppression romaine.
Viriathe utilise des tactiques de guérilla, exploitant les terrains montagneux et forestiers pour tendre des embuscades aux légions romaines, détruire leurs lignes de ravitaillement, et éviter les affrontements directs. Sa maîtrise du terrain et sa rapidité rendent les lourdes formations romaines inefficaces.
-145 av. J.-C. : Campagne contre Quintus Fabius Maximus Aemilianus
Bien que ce consul mène une campagne victorieuse dans certaines régions, il ne parvient pas à capturer ou neutraliser Viriathe, qui continue ses raids avec succès.
Formation d’une coalition (-143 av. J.-C.)
Viriathe fédère plusieurs tribus celtiques et ibériques en une ligue anti-romaine, multipliant les attaques coordonnées contre les garnisons et les forces romaines stationnées en Hispanie.
Les légions romaines subissent de lourdes pertes face aux tactiques imprévisibles de Viriathe. Les tentatives répétées pour briser sa résistance échouent, et Rome doit renforcer ses effectifs et adapter ses stratégies.
Après des années de luttes intenses, de victoires éclatantes et d’humiliations infligées aux légions romaines, la résistance lusitanienne perd son leader charismatique en -139 av. J.-C. Rome, fatiguée par l’incapacité de ses armées à vaincre Viriathe par des moyens conventionnels, décide de recourir à la trahison.
Trois compagnons proches de Viriathe, Audax, Ditalcus et Minurus, sont envoyés par leur chef comme émissaires pour négocier la paix avec les Romains. Le général romain Marcus Popillius Laenas profite de cette opportunité pour corrompre ces émissaires, leur promettant des récompenses en échange de l’assassinat de leur propre leader. Les trois hommes exécutent leur sombre mission en poignardant Viriathe dans son sommeil.
Après la mort de Viriathe, les Lusitaniens, privés de leur chef et désorganisés, se rendent rapidement aux Romains. Cependant, la ruse employée pour éliminer Viriathe ternit l’image de Rome, même parmi ses propres alliés. Lorsque les trois traîtres demandent leur récompense à Popillius Laenas, celui-ci refuse et les fait exécuter, déclarant :
« Rome ne paye pas les traîtres. »
Stabilisation de la région : Avec la mort de Viriathe, les dernières poches de résistance en Lusitanie sont écrasées, permettant à Rome de pacifier cette région. Cependant, des révoltes sporadiques continuent de surgir.
Intégration de la Lusitanie : Cette guerre marque un pas décisif vers l’intégration complète de la Lusitanie dans le monde romain. Les Romains établissent des colonies et exploitent les ressources locales, notamment les mines.
L’héritage de Viriathe : Viriathe devient une figure emblématique de la lutte pour la liberté et la résistance face à l’envahisseur. Son nom résonne dans l’histoire ibérique comme un symbole de courage et de patriotisme.
La guerre de Numance éclate dans une région montagneuse et difficile d’accès de l’Hispanie citérieure, où les Celtibères, un groupe de tribus ibériques, résistent depuis longtemps à l’influence romaine. Parmi eux, les Arévaques, les Vaccéens, et d’autres tribus, s’organisent pour défendre leur indépendance. La ville de Numance, située sur la rive du Duero, devient rapidement le bastion principal de cette résistance.
En -154 av. J.-C., les Celtibères de la ville de Segeda se révoltent en refusant de se conformer aux exigences romaines :
Segeda renforce ses fortifications, provoquant la colère de Rome. En réponse, le consul Quintus Fulvius Nobilior est envoyé avec une armée pour écraser la révolte. Lors de la bataille qui s’ensuit, Nobilior subit de lourdes pertes, perdant environ 6 000 hommes, bien qu’il parvienne à prendre Segeda.
Après la chute de Segeda, les survivants se regroupent dans les montagnes ibériques et rejoignent la ville de Numance, où ils décident de poursuivre la guerre. Numance devient le cœur de la rébellion, symbolisant la lutte celtibère pour l’indépendance.
Les premières résistances des Celtibères exposent les faiblesses des stratégies romaines :
Après le regroupement des Celtibères à Numance, Rome tente à plusieurs reprises d’écraser la résistance. Cependant, la ville fortifiée et les tactiques de guérilla des Numantins posent des défis insurmontables aux commandants romains.
Envoyé en Hispanie pour mater la rébellion, Fulvius Nobilior mobilise une armée importante comprenant :
Cependant, lors du siège de Numance :
Quintus Pompeius prend le commandement des forces romaines, mais ses efforts sont également marqués par des échecs :
L’échec de Mancinus est l’un des plus cuisants pour Rome :
Face aux échecs répétés des commandants précédents, le Sénat romain décide d’envoyer son général le plus prestigieux, Scipion Émilien, vainqueur de Carthage, pour régler la situation à Numance. Connu pour sa discipline et sa rigueur, Scipion adopte une approche différente des campagnes précédentes.
En arrivant en Hispanie, Scipion trouve une armée démoralisée, indisciplinée et mal équipée. Il entreprend une série de réformes pour restaurer son efficacité :
Contrairement à ses prédécesseurs, Scipion comprend qu’une attaque frontale contre Numance, bien défendue, serait désastreuse. Il élabore une stratégie de siège méthodique :
Le siège de Numance dure 15 mois, pendant lesquels Scipion maintient une pression constante :
En été -133, après 15 mois de siège, Numance capitule. Les habitants, accablés par la faim et les maladies, choisissent le suicide collectif plutôt que de se rendre :
Les guerres lusitanienne (-155 à -139) et de Numance (-154 à -133) marquent une étape décisive dans l’intégration de l’Hispanie dans l’Empire romain :
Les victoires en Hispanie renforcent la réputation militaire de Rome :
Les guerres lusitanienne et de Numance laissent un héritage durable, particulièrement dans l’histoire et la culture espagnoles :
Polybe, Histoires (Livres XXI-XXII)
Analyse des premières révoltes en Hispanie.
Tite-Live, Histoire romaine (Livres XLVIII-L)
Récit des guerres de Numance et des campagnes en Lusitanie.
Appien, Histoire romaine – Livre VI : Les guerres d'Hispanie
Description détaillée des tactiques de Viriathe et du siège de Numance.
Plutarque, Vie des hommes illustres : Scipion l'Africain
Analyse de la stratégie de Scipion Émilien durant la chute de Numance.
Theodor Mommsen, Histoire romaine
Analyse des enjeux politiques et sociaux des guerres en Hispanie.
Gruen, Erich S., The Hellenistic World and the Coming of Rome
Exploration des motivations romaines dans la péninsule Ibérique.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Février 2011