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Le siège d’Halicarnasse (-334)

Contexte et Préparation du siège d’Halicarnasse (-334)

1. Contexte géopolitique

Après la victoire éclatante au Granique et la prise rapide de Milet, Alexandre le Grand poursuit son objectif stratégique : priver la flotte perse de bases opérationnelles le long des côtes de l’Asie Mineure. Halicarnasse, capitale de la Carie, représente un enjeu clé pour la domination de la région. Située sur une baie protégée et dotée d'une puissante fortification, la ville constitue un centre majeur de résistance perse. La cité abrite également une flotte importante, commandée par Memnon de Rhodes, stratège chevronné au service du roi perse Darius III.

Halicarnasse représente une menace directe pour Alexandre. Si elle reste sous contrôle perse, elle pourrait servir de tête de pont pour une contre-attaque maritime et isoler Alexandre de ses bases en Grèce. En outre, son importance symbolique en fait un objectif incontournable dans la campagne d’Alexandre pour sécuriser l’Asie Mineure.


2. La situation à Halicarnasse

Halicarnasse est dirigée par le satrape perse Orontopatès et défendue par une garnison mixte composée de troupes perses et de mercenaires grecs expérimentés, commandés par Memnon et le Thébain Ephialtès, un adversaire farouche d’Alexandre. Après la défaite perse au Granique, Memnon a consolidé les défenses de la ville en y ajoutant des fortifications supplémentaires et des fossés. Trois forteresses stratégiques protègent la ville :

  • L’acropole, dominant la cité sur les hauteurs.
  • Salmakis, à l’ouest, verrouillant l’entrée de la baie.
  • Zéphyrion, un îlot fortifié surveillant le port.

Ces positions rendent Halicarnasse pratiquement imprenable sans un siège de longue durée. Memnon y accueille des survivants de batailles précédentes, dont certains nobles perses et opposants macédoniens, renforçant ainsi le caractère symbolique de la résistance.


3. Alliances et rivalités locales

L’avancée d’Alexandre en Carie est facilitée par des divisions internes. La région est sous tension depuis qu’Ada, ancienne dirigeante de la Carie, a été évincée par son frère Pixodaros, allié des Perses. En arrivant à Halicarnasse, Alexandre reçoit le soutien d’Ada, qui lui offre sa loyauté en échange de la restitution de son pouvoir. Alexandre joue habilement sur cette rivalité locale en la nommant satrape de Carie, un geste qui lui permet de gagner la fidélité de nombreuses cités environnantes sans combat.

La population de Carie, majoritairement grecque ou hellénisée, se montre réceptive à la propagande d’Alexandre, qui se présente comme un libérateur face à la domination perse. Plusieurs cités se rendent volontairement, espérant préserver leur autonomie sous son règne.


4. Position stratégique et logistique d’Alexandre

Avant de commencer le siège, Alexandre prépare méticuleusement ses forces. Il a déjà pris la décision audacieuse de licencier une partie importante de sa flotte après la prise de Milet, considérant que ses forces terrestres sont invincibles. Cette décision le force à se concentrer uniquement sur une approche terrestre à Halicarnasse, alors que la flotte perse, numériquement supérieure, reste une menace maritime.

Pour éviter un siège prolongé, Alexandre sécurise les environs d’Halicarnasse, capturant des cités secondaires comme Iasos, Bargylia, et Myndos. Ces succès limitent les capacités des Perses à envoyer des renforts ou à se ravitailler. Cependant, à Myndos, Alexandre rencontre une résistance inattendue, et la garnison, renforcée par des troupes d’Halicarnasse, force son retrait temporaire. Cet échec mineur ne freine pas ses plans : il concentre ses efforts sur Halicarnasse elle-même.


5. Renforcement des forces perses

Pendant ce temps, Memnon renforce les défenses d’Halicarnasse. Le fossé entourant les murailles est élargi, et de nouvelles sections de murs sont construites pour compenser les points faibles. La ville devient un bastion imprenable, soutenu par la flotte perse, qui utilise le port pour ravitailler la garnison. Memnon mise également sur des sorties audacieuses pour perturber les travaux de siège des Macédoniens.


6. Objectifs stratégiques d’Alexandre

Pour Alexandre, la prise d’Halicarnasse a plusieurs objectifs :

  1. Militaire : Neutraliser une place forte stratégique et protéger son flanc maritime.
  2. Politique : Affirmer son rôle de libérateur et obtenir le soutien des cités grecques en Asie Mineure.
  3. Symbolique : Démontrer sa supériorité face à Memnon, un adversaire redoutable, et envoyer un message à Darius III.

Avec ces objectifs en tête, Alexandre installe son camp à moins de 2 km des remparts d’Halicarnasse, à proximité de la porte de Mylasa, et commence les préparatifs pour un siège prolongé. Il ordonne la construction de tours de siège et d’engins de guerre, anticipant une résistance farouche. Le siège d’Halicarnasse devient rapidement l’un des défis les plus complexes de sa campagne initiale contre l’Empire perse.


 Mausolée d'Halicarnasse — Wikipédia

 

Déroulement du siège d’Halicarnasse (-334)

Le siège d’Halicarnasse est un affrontement stratégique majeur entre Alexandre le Grand et les forces perses renforcées par des mercenaires grecs sous la direction de Memnon de Rhodes. Cet épisode met en lumière la ténacité des défenseurs et la perspicacité d’Alexandre face à une ville fortement fortifiée et défendue avec acharnement.


1. L’installation du camp et le début des hostilités

En arrivant devant Halicarnasse, Alexandre installe son camp à proximité de la porte de Mylasa, du côté nord-est des murailles. La configuration des lieux, avec des fortifications imposantes et un fossé protégeant la ville, complique immédiatement les travaux de siège. De plus, la flotte perse, ancrée dans le port, représente une menace potentielle pour les forces macédoniennes.

Premiers mouvements
  • Alexandre commence par combler le fossé entourant la ville, une tâche essentielle pour approcher ses machines de siège des murailles.
  • Pendant ce temps, la garnison perse effectue des sorties nocturnes pour perturber ces travaux. Ces escarmouches coûtent des pertes aux deux camps, mais Alexandre maintient la discipline dans ses rangs, minimisant les dommages.

2. Le siège intensifié

Construction des machines de siège

Les Macédoniens assemblent des tours de siège, destinées à dominer les murailles et permettre aux archers de tirer sur les défenseurs. Les béliers sont également positionnés pour affaiblir les sections des murs jugées les plus vulnérables. Ces préparatifs prennent du temps, ce qui donne aux défenseurs l’occasion de renforcer leurs propres positions.

Attaques sur les murailles
  • Une fois les engins prêts, Alexandre ordonne des attaques coordonnées. Les tours de siège avancent sous une couverture de tir de projectiles, permettant aux béliers d’asséner des coups sur les remparts.
  • Les Macédoniens parviennent à ouvrir une brèche dans les murs, mais les défenseurs, sous la direction de Memnon, érigent une nouvelle muraille semi-circulaire à l’intérieur pour limiter les dégâts.

3. La contre-offensive des défenseurs

Sorties nocturnes des Perses

Memnon adopte une stratégie audacieuse en menant des sorties nocturnes contre les machines de siège macédoniennes. Lors d’une attaque particulièrement importante, les défenseurs réussissent à incendier plusieurs tours de siège et béliers, infligeant de lourdes pertes à l’équipement d’Alexandre.

Riposte macédonienne

Malgré ces revers, Alexandre réagit rapidement. Ses troupes contre-attaquent avec discipline, repoussant les défenseurs jusque dans la ville. Lors d’un affrontement nocturne, 170 soldats perses sont tués, dont Néoptolème de Lyncestide, un ancien noble macédonien réfugié à Halicarnasse après la mort de Philippe II.


4. Les incidents au pied des murailles

Un événement notable illustre l’atmosphère tendue du siège. Deux soldats macédoniens, apparemment en état d’ébriété, se vantent de leurs exploits et provoquent les défenseurs en approchant les murs. Cette provocation dégénère en une escarmouche : les deux hommes sont submergés, ce qui pousse leurs camarades à intervenir. Une bataille s’engage au pied des murailles, et les Macédoniens parviennent à repousser les défenseurs jusque dans la ville.

Conséquences

Alexandre décide néanmoins de ne pas exploiter la brèche ouverte, préférant éviter des pertes inutiles. Ce choix témoigne de son pragmatisme et de sa volonté d’épargner la ville dans l’espoir d’une reddition.


5. La dernière tentative de Memnon

Face à une pression croissante, Memnon tente une sortie audacieuse en coordonnant trois vagues d’attaques :

  1. Une première vague sort par une brèche pour engager les forces macédoniennes à l’endroit de l’assaut principal.
  2. Une deuxième vague, dirigée par Ephialtès, attaque le flanc des Macédoniens depuis une porte latérale.
  3. Une troisième vague reste en réserve pour intervenir selon l’évolution du combat.
Déroulement de la bataille
  • Malgré l’effet de surprise initial, les Macédoniens, bien entraînés, forment rapidement des formations défensives denses avec leurs boucliers. Ptolémée, un garde du corps d’Alexandre, mène une contre-attaque décisive qui repousse les Perses vers la ville.
  • Ephialtès est tué dans les combats, provoquant une perte de moral chez les défenseurs. Les Perses battent en retraite, mais beaucoup se retrouvent coincés à l’extérieur des murailles lorsque les portes sont fermées dans la panique. Ces soldats sont massacrés par les Macédoniens.

6. L’incendie et l’évacuation de la ville

Voyant que la situation est désespérée, Memnon décide d’abandonner Halicarnasse. Avant de partir, il ordonne de mettre le feu à une partie de la ville, espérant ralentir l’avance macédonienne. Alexandre ordonne à ses troupes de limiter les destructions et d’épargner les habitants restés dans leurs maisons.

Retraite perse

Memnon évacue ses forces principales vers les forteresses de Salmakis et Zéphyrion, ainsi que vers l’île de Cos, où la flotte perse reste opérationnelle.


7. La prise d’Halicarnasse

Au terme de plusieurs mois de siège, Alexandre entre finalement dans la ville. Il place Halicarnasse sous la gouvernance de la princesse Ada, qui avait précédemment offert son allégeance. Les forteresses portuaires restantes tombent aux mains des Macédoniens sous la conduite de Ptolémée, chargé de terminer les opérations en Carie.


Conséquences du Siège d’Halicarnasse

1. Consolidation du contrôle territorial d’Alexandre en Asie Mineure

La prise d’Halicarnasse permet à Alexandre de neutraliser une position clé pour les Perses dans la région carienne. En s’assurant de la soumission de nombreuses cités environnantes, il renforce son contrôle sur la côte sud-ouest de l’Asie Mineure, limitant ainsi les possibilités pour les Perses de maintenir des bases opérationnelles sur le littoral égéen. La nomination de la princesse Ada comme satrape de Carie lui garantit une administration locale fidèle et la coopération des populations cariennes. Ada, en adoptant Alexandre comme fils, scelle cette alliance et contribue à la stabilité politique de la région.


2. Déclin de l'influence perse dans la région égéenne

La défaite perse à Halicarnasse affaiblit gravement leur capacité à projeter leur puissance navale et terrestre dans cette partie du territoire. La fuite de Memnon de Rhodes et d'Orontopatès vers l'île de Cos illustre leur incapacité à défendre leurs positions terrestres face à Alexandre. Bien que certaines forteresses, comme Salmakis et Zéphyrion, restent sous contrôle perse, elles perdent leur importance stratégique après la chute de la ville principale.


3. Réduction de la menace navale perse

Même si Alexandre n’a pas engagé directement de bataille navale majeure pendant le siège, le contrôle des ports d'Halicarnasse réduit la capacité de la flotte perse à opérer dans la mer Égée. Avec la capture de la ville et de ses infrastructures maritimes, les Perses perdent un port stratégique nécessaire pour réapprovisionner leurs navires et organiser des opérations navales. Cette victoire affaiblit leur flotte, déjà en difficulté après la prise de Milet, et sécurise les voies de communication entre Alexandre et la Grèce.


4. Renforcement de la réputation d’Alexandre

Le siège d'Halicarnasse témoigne de la résilience et de la détermination d'Alexandre face à des défis militaires complexes. Sa capacité à coordonner un siège prolongé, à repousser les assauts des défenseurs perses, et à gérer les tensions internes à son armée renforce son prestige parmi ses troupes et ses alliés. Sa clémence envers les habitants non-combattants, son refus d'autoriser des pillages inutiles, et sa gestion politique après la victoire le présentent non seulement comme un conquérant, mais aussi comme un leader soucieux de l’ordre et de la justice.


5. Déstabilisation des forces perses

La chute d’Halicarnasse envoie un message clair aux autres cités grecques et territoires sous domination perse : Alexandre est déterminé et capable de surmonter même les fortifications les plus robustes. La retraite précipitée de Memnon vers l’île de Cos illustre la désorganisation des forces perses, qui adoptent désormais une stratégie défensive en repliant leur flotte vers d'autres positions éloignées, telles que la Palestine et l’Égypte.


6. Impact psychologique sur les troupes perses et macédoniennes

Pour les Perses, la perte d’Halicarnasse est un coup sévère. Elle illustre l’échec de Memnon de Rhodes, malgré sa réputation de stratège compétent, à freiner l’avancée macédonienne. Les troupes perses subissent une démoralisation profonde, amplifiée par des pertes humaines importantes et l’incapacité de maintenir une position défendable. Pour les Macédoniens, en revanche, cette victoire galvanise les troupes d’Alexandre, qui voient dans leur roi un stratège audacieux et un leader charismatique capable de surmonter n’importe quel obstacle.


7. Transition vers les prochaines campagnes

Après le siège, Alexandre laisse une garnison de 3 000 mercenaires et 200 cavaliers sous le commandement de Ptolémée, avec mission de pacifier les forteresses restantes et de surveiller les mouvements ennemis dans la région. Cela permet à Alexandre de poursuivre sa marche vers l’Est, en direction de la Phrygie et de la Syrie, avec une base arrière solidement établie. Ce modèle de délégation et de gestion des territoires conquis deviendra une constante dans sa campagne.


8. Début de la fin de la puissance maritime perse

Le contrôle par Alexandre des principales cités côtières de la Carie prive les Perses d’un accès direct aux ports de l’Égée. Leur flotte, déjà affaiblie par les victoires précédentes d’Alexandre à Milet et au Granique, doit se replier dans des zones moins stratégiques, comme Samos et la côte levantine, ce qui marque le début de leur perte de domination navale en mer Égée.

Sources

  • Arrien, Anabase d'Alexandre
  • Plutarque, Vie d'Alexandre
  • Diodore de Sicile, Bibliothèque historique


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Décembre 2010