9 min lu
Le Siège  de  Tyr -332

Contexte et Importance du Siège de Tyr (332 av. J.-C.)

Contexte Général

En 332 av. J.-C., Alexandre le Grand, après avoir vaincu Darius III à la bataille d’Issos, poursuit sa conquête de l’Empire perse en direction du sud, vers la Phénicie et l’Égypte. La chute des principales cités phéniciennes est cruciale pour Alexandre, car ces ports servent de bases pour la flotte perse et permettent à Darius de maintenir une présence stratégique en Méditerranée orientale.

Tyr, la plus puissante cité-État phénicienne, revêt une importance capitale dans cette campagne. Située à environ 700 mètres au large de la côte méditerranéenne, l’île fortifiée de Tyr est protégée par des murs impressionnants de 60 mètres de hauteur, entourée d’eaux profondes, et équipée de deux ports naturels. Cette situation géographique rend la cité pratiquement imprenable par des moyens terrestres conventionnels. Tyr sert également de lien vital entre l’Empire perse et ses anciennes colonies, notamment Carthage, qui entretient des relations économiques et culturelles étroites avec la cité.

Malgré la soumission des autres cités phéniciennes, Tyr choisit de résister à Alexandre, marquant une rupture dans la dynamique de soumission progressive des ports méditerranéens. Le refus des Tyriens, exacerbé par le meurtre des ambassadeurs macédoniens, force Alexandre à engager un siège prolongé et difficile.


Importance Stratégique

1. Contrôle de la Méditerranée Orientale

Tyr représente le dernier bastion naval majeur de la Phénicie encore sous contrôle perse. La flotte tyrienne, combinée à celle de la Perse, menace les lignes de communication et de ravitaillement d’Alexandre. En capturant Tyr, Alexandre obtient une suprématie navale décisive, ouvrant la voie à la neutralisation de la flotte perse et à la sécurisation de ses conquêtes en Méditerranée orientale.

2. Voie vers l’Égypte

La chute de Tyr est essentielle pour poursuivre la conquête vers le sud. En contrôlant Tyr, Alexandre assure son passage en Judée et vers l’Égypte sans craindre des attaques ou des révoltes potentielles soutenues par les Perses depuis la mer. L’Égypte, en tant que grenier à blé et base stratégique, constitue un objectif crucial pour l’expansion d’Alexandre.

3. Signal Politique

La résistance de Tyr constitue un défi symbolique à l'autorité d’Alexandre, menaçant de galvaniser d'autres cités ou factions qui pourraient envisager de résister. La soumission ou la destruction de Tyr enverra un message clair à ses adversaires : la résistance face à Alexandre est futile et coûteuse. La prise de Tyr permet à Alexandre de consolider son image d’invincibilité, renforçant son autorité sur les cités-États soumises.

4. Prestige et Religion

Alexandre associe son objectif stratégique à une dimension religieuse : il souhaite sacrifier dans le temple de Melqart, divinité tutélaire de Tyr, qu’il identifie à Héraclès, son ancêtre mythologique. En insistant sur cet aspect religieux, il renforce son rôle de dirigeant légitime aux yeux des Phéniciens et de son propre peuple. Le refus des Tyriens de permettre ce sacrifice est perçu comme un affront personnel et religieux, ce qui renforce la détermination d’Alexandre à conquérir la cité.

.


Enjeux Géo-Politiques

  • Alliances régionales : Les Tyriens espèrent une intervention de Carthage, mais cette dernière reste en retrait, évitant de s’opposer à Alexandre. L’absence de soutien extérieur laisse Tyr isolée face aux forces macédoniennes.
  • Consolidation du pouvoir : Pour Alexandre, contrôler Tyr est un moyen de couper les dernières bases navales perses dans la région et d’assurer une domination sans partage sur la côte méditerranéenne, privant Darius de tout appui logistique maritime.

Conclusion

Le siège de Tyr n’est pas seulement un affrontement militaire, mais un événement stratégique, politique et symbolique. En défiant Alexandre, Tyr met à l’épreuve la résilience de son armée et la portée de son ambition. Sa prise marque un tournant décisif dans la domination d’Alexandre sur la Méditerranée orientale et pave la voie vers ses futures conquêtes, consolidant son rôle en tant que conquérant légitime et invincible.


Déroulement du Siège de Tyr (332 av. J.-C.)

Le siège de Tyr est un événement marquant des campagnes d'Alexandre le Grand, illustrant son ingéniosité tactique et sa détermination face à des défis militaires complexes. Pendant sept mois, Alexandre déploie des stratégies inédites pour s’emparer de cette cité-île fortifiée.


1. Premières Approches : Les Tentatives de Négociation

Lorsque Alexandre arrive devant Tyr, il propose d’épargner la cité en échange d’un accès au temple de Melqart, divinité tutélaire de la ville, pour y effectuer des sacrifices. Les Tyriens refusent, arguant qu’Alexandre peut effectuer ses rites dans le temple sur le continent. La situation s’aggrave lorsque les Tyriens exécutent des émissaires macédoniens et jettent leurs corps à la mer. Ces provocations marquent le point de non-retour, forçant Alexandre à entreprendre un siège.


2. Construction de la Digue

Face à la nature insulaire de Tyr, Alexandre ordonne la construction d'une digue reliant le continent à l'île, longue de 700 mètres. Les Macédoniens travaillent jour et nuit, utilisant des pierres, du bois et de la terre pour avancer dans les eaux peu profondes. Cependant, à mesure qu'ils s'approchent de l'île, la profondeur augmente, rendant les travaux plus difficiles. Les Tyriens ripostent en harcelant les ouvriers depuis leurs navires, tirant des flèches et lançant des projectiles enflammés.

Pour contrer ces attaques, Alexandre ordonne la construction de tours de siège de 50 mètres de hauteur, équipées de balistes et recouvertes de peaux pour les protéger des flèches incendiaires. Ces tours offrent une couverture pour les ouvriers, mais les Tyriens réagissent en lançant un navire rempli de combustibles enflammés contre la digue. Ce "navire de feu" provoque un incendie massif qui détruit les tours et endommage la structure. Malgré ce revers, Alexandre redouble d’efforts et fait reconstruire la digue avec des défenses supplémentaires.


3. Renforts Navals et Blocus Maritime

Réalisant que la digue seule ne suffira pas, Alexandre décide de constituer une flotte pour encercler la ville. Après ses victoires précédentes, plusieurs cités phéniciennes, dont Sidon et Byblos, se sont ralliées à lui. Ces cités envoient leurs navires, auxquels s’ajoutent 120 vaisseaux chypriotes. Grâce à ces renforts, Alexandre dispose désormais d’une flotte d’environ 223 navires, lui permettant d’imposer un blocus maritime complet.

Alexandre utilise sa flotte pour repousser les navires tyriens et sécuriser les deux ports de l’île. Les plongeurs tyriens tentent de couper les chaînes des navires macédoniens ancrés près des murs, mais Alexandre fait remplacer ces chaînes par des câbles métalliques, rendant leur sabotage inefficace.

 


4. Percée des Murailles

Avec l’aide de ses ingénieurs chypriotes, Alexandre intensifie les attaques contre les murs de la ville. Il positionne des béliers sur des navires pour frapper les murs depuis la mer, tandis que les catapultes bombardent les défenses ennemies. Après plusieurs semaines de harcèlement, une brèche est ouverte dans la muraille sud de la ville.

Conscient de l’imminence de la défaite, les Tyriens lancent une ultime contre-attaque. Ils observent qu’Alexandre revient généralement au camp pour se reposer à la mi-journée et décident de profiter de son absence pour attaquer. Cependant, ce jour-là, Alexandre reste sur place, repousse l’assaut et lance immédiatement une attaque coordonnée par terre et par mer.


5. L’Assaut Final

Les Macédoniens concentrent leurs efforts sur la brèche dans la muraille sud. Alexandre mène personnellement ses troupes dans l’assaut, tandis que sa flotte bloque les ports pour empêcher toute fuite. Après un violent combat, les troupes macédoniennes pénètrent dans la ville, submergent les défenseurs et prennent le contrôle des principaux points stratégiques. La cavalerie et les navires empêchent les Tyriens de se regrouper ou de s’échapper.


6. Résistance et Massacre

Malgré leur bravoure, les défenseurs tyriens sont dépassés par les forces macédoniennes. Environ 6 000 soldats tyriens sont tués au combat, tandis que la population civile subit une répression brutale. Selon Arrien, Alexandre fait crucifier 2 000 captifs sur les plages en représailles pour le meurtre de ses ambassadeurs. Les 30 000 habitants restants, principalement des femmes et des enfants, sont vendus comme esclaves. Cependant, le roi de Tyr, Azemilcos, et ceux réfugiés dans le temple de Melqart sont épargnés par magnanimité ou pour des raisons symboliques.

Le siège de Tyr vu par André Castaigne (1898-1899)


Conséquences du Siège de Tyr

Le siège de Tyr en 332 av. J.-C. est un événement d’une portée historique majeure, marquant un tournant dans la campagne d’Alexandre le Grand contre l’Empire perse. Sa victoire, obtenue au prix de sept mois d’efforts intenses, a des répercussions militaires, politiques, économiques et psychologiques qui dépassent largement le cadre de la Phénicie. Voici les principales conséquences du siège :


1. La Fin de la Puissance Maritime Perse

Avec la prise de Tyr, Alexandre élimine la dernière grande base navale perse sur la côte méditerranéenne orientale. Tyr, grâce à ses ports naturels et à sa position insulaire, était un bastion stratégique pour la flotte perse. Sa chute prive les Perses de leur capacité à contrôler les routes maritimes en Méditerranée. La suprématie maritime passe alors définitivement dans les mains d’Alexandre et de ses alliés phéniciens et chypriotes. Cette victoire ouvre la voie à la conquête de l’Égypte sans craindre d’attaque par la mer.


2. Renforcement de l’Image d’Invincibilité d’Alexandre

Le siège de Tyr démontre non seulement la puissance militaire de l’armée macédonienne, mais aussi la ténacité et l’ingéniosité d’Alexandre. Sa capacité à résoudre les défis posés par la géographie et les fortifications de la ville, notamment en construisant une digue monumentale et en mobilisant une flotte impressionnante, renforce sa réputation d’un conquérant invincible et d’un stratège sans égal.

L’impact psychologique sur les cités voisines est immense. Les Phéniciens restants, les villes de Judée, de Syrie et d’Égypte, comprenant qu’il est vain de résister, se soumettent sans combat ou avec une résistance symbolique. Les révoltes contre Alexandre deviennent plus rares, car la crainte de représailles brutales prévaut désormais.


3. Brutalité et Mesures Exemplaires

La répression après la prise de Tyr est l’une des plus brutales de la campagne d’Alexandre. Environ 6 000 soldats tyriens sont tués, 2 000 captifs sont crucifiés sur les plages, et 30 000 habitants, principalement des femmes et des enfants, sont vendus comme esclaves. Ces mesures servent d’avertissement aux autres cités susceptibles de résister. En effet, Alexandre envoie un message clair : toute opposition à son autorité sera écrasée de manière impitoyable.

Cependant, Alexandre fait preuve de magnanimité envers le roi de Tyr, Azemilcos, et les réfugiés qui se sont abrités dans le temple de Melqart, les épargnant pour des raisons politiques et religieuses. Cela montre qu’Alexandre sait allier la terreur à la clémence pour asseoir son autorité.


4. Importance Religieuse et Propagande

Le temple de Melqart, identifié par Alexandre au dieu grec Héraclès, est un lieu de culte central à Tyr. En offrant des sacrifices dans ce temple après la prise de la ville, Alexandre renforce son image d’héritier des traditions héroïques grecques et phéniciennes. Cet acte, bien que symbolique, contribue à légitimer son rôle de souverain non seulement par la conquête militaire, mais aussi par le respect des traditions locales.


5. Contrôle de la Route Vers l’Égypte

La prise de Tyr est essentielle pour la campagne d’Alexandre en Égypte. La ville se situe sur un point stratégique entre la Méditerranée orientale et les terres riches du delta du Nil. En éliminant la résistance tyrienne, Alexandre sécurise ses arrières et garantit un accès sûr vers l’Égypte, une étape clé de sa conquête de l’Empire perse.

L’Égypte elle-même, impressionnée par cette démonstration de force, se soumet à Alexandre sans résistance, lui permettant de se faire couronner pharaon et de consolider son contrôle sur une région stratégique pour son approvisionnement en grain et sa domination symbolique.


6. Répercussions Commerciales

La destruction partielle de Tyr, l’un des plus grands centres commerciaux du monde antique, a un impact économique considérable. La ville perd son statut de plaque tournante du commerce méditerranéen. Les habitants restants, désormais sous contrôle macédonien, doivent reconstruire une partie de la ville et s'adapter à la domination d’Alexandre.

La flotte et les ressources commerciales qui dépendaient de Tyr sont redistribuées au profit des alliés d’Alexandre, notamment les villes phéniciennes comme Sidon et Byblos, qui se rallient à sa cause.


7. Impact Politique en Méditerranée

La chute de Tyr ébranle l’Empire perse dans cette région. Privé de sa principale base en Méditerranée, l’Empire perd une part importante de son influence sur les cités phéniciennes, qui se rallient en majorité à Alexandre. De plus, les Carthaginois, descendants des colons tyriens, adoptent une position prudente vis-à-vis de la campagne d’Alexandre, bien qu’ils ne soient pas directement impliqués dans les conflits.


8. Héritage et Transformation de Tyr

Après le siège, Tyr devient un avant-poste stratégique sous contrôle macédonien. La ville, bien que partiellement détruite, retrouve progressivement son rôle économique et culturel sous la domination hellénistique. Alexandre montre ainsi que sa conquête n’a pas seulement pour but la destruction, mais aussi l’intégration des territoires conquis dans son empire.


Le siège de Tyr est une leçon magistrale de stratégie militaire et de politique de domination. En surmontant un défi logistique colossal et en s’imposant face à une résistance déterminée, Alexandre consolide son contrôle sur la Méditerranée orientale, marque un tournant dans sa campagne contre l’Empire perse, et établit un précédent pour son administration des territoires conquis.


Sources :

  • Arrien, Anabase d'Alexandre.
  • Diodore de Sicile, Bibliothèque historique.
  • Plutarque, Vie d’Alexandre.
  • Quintus Curtius Rufus, Histoires d’Alexandre le Grand.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Décembre 2010