Les Phrygiens, originaires d’Europe centrale ou orientale, sont mentionnés pour la première fois en Anatolie au moment de l’effondrement de l’empire hittite et de la destruction de Troie, autour de 1200 av. J.-C. Leur migration semble s’être étendue sur plusieurs siècles, aboutissant à une installation durable dans la région de la Sakarya (Sangarios) en Anatolie centrale, avec Gordion pour capitale. Les Phrygiens se mêlent progressivement aux populations locales, notamment hittites, et absorbent bon nombre de leurs éléments culturels et artistiques, constituant un véritable mélange culturel.
Les Phrygiens sont considérés comme des Indo-Européens, apparentés linguistiquement aux Grecs et potentiellement liés aux Illyriens, Thraces, et Macédoniens. D’après Hérodote, avant leur migration vers l’Anatolie, les Phrygiens étaient connus sous le nom de Byriges et occupaient une région de la péninsule balkanique. Les Grecs, qui inventent le terme de "Phrygiens", les associent à la guerre de Troie en tant qu'alliés des Troyens. Dans les annales assyriennes, les Phrygiens sont également identifiés aux Mushki (ou Mosques), une désignation qui englobe divers peuples montagnards anatoliens.
La migration phrygienne en Anatolie pourrait s’inscrire dans le contexte des grands mouvements de populations du Bronze final, y compris ceux des Peuples de la mer, et de la réorganisation territoriale qui suit la chute de Troie et l’effondrement des Hittites. Ils s’établissent sur les ruines des villes hittites, telles que Hattusha, l’ancienne capitale, où ils adoptent et adaptent certains traits culturels et religieux locaux, contribuant à la résurgence culturelle de la région.
Gordion, leur centre politique et culturel, devient au VIIIe siècle av. J.-C. une des cités les plus influentes d’Anatolie. Les fouilles archéologiques menées à Gordion ont mis en lumière des vestiges impressionnants, tels que des tombes royales et des sanctuaires, mais surtout des inscriptions phrygiennes. Bien que ces inscriptions soient en alphabet phrygien dérivé de l’alphabet grec, la langue phrygienne reste peu comprise, et peu de textes ont survécu. Les indices linguistiques et l’architecture montrent toutefois des affinités avec le monde grec, renforçant l’idée d’une parenté culturelle avec les Grecs.
Le royaume phrygien atteint son apogée au VIIIe siècle av. J.-C., sous le règne de Midas, le roi légendaire dont la figure a inspiré des mythes, notamment celui du "toucher d’or". Midas entre dans les annales assyriennes comme un adversaire redoutable. Sargon II, roi d’Assyrie, mentionne des affrontements avec lui, et il est décrit comme le leader d’un peuple puissant dans les inscriptions assyriennes. Midas tente de préserver son royaume face aux incursions cimmériennes en cherchant des alliances diplomatiques, mais les Cimmériens envahissent la Phrygie au début du VIIe siècle av. J.-C., infligeant une défaite dévastatrice au royaume phrygien.
L'invasion cimmérienne marque le début du déclin de la Phrygie. Après avoir résisté quelque temps, le royaume est affaibli et finit par tomber sous la domination de ses puissants voisins : les Lyciens au sud, les Lydiens à l’ouest, et enfin les Perses sous Cyrus le Grand au VIe siècle av. J.-C., qui intègrent la Phrygie dans leur empire. Bien que politiquement diminuée, la Phrygie continue d’influencer les cultures anatoliennes par son art, ses légendes et ses traditions.
La culture phrygienne est marquée par un art distinctif qui combine des éléments hittites et urartéens, notamment dans les styles architecturaux et ornementaux. Les motifs phrygiens, que l’on retrouve dans les tombeaux de Gordion, intègrent des sculptures animales, des figures géométriques, et des motifs végétaux. Les Phrygiens sont également associés au dieu Sabazios, divinité de la nature et des montagnes, que les Grecs assimileront plus tard à Dionysos. Le mythe de Midas fait aussi partie de l’héritage culturel phrygien. Bien que Midas soit surtout connu pour la légende du "toucher d’or", le roi est également évoqué dans des sources gréco-romaines comme un personnage tragique, symbole de la vanité humaine et de l’excès.
Les Phrygiens laissent également une influence durable en matière de musique et de poésie. On attribue aux Phrygiens l’invention d’instruments de musique, notamment des flûtes, et leur style musical, appelé le "mode phrygien" par les Grecs, est souvent associé à des émotions intenses et à la spiritualité.
Références :
Roller, Lynn E. In Search of God the Mother: The Cult of Anatolian Cybele, University of California Press, 1999.
Mellink, Machteld J. Phrygian Art and Architecture, University of Pennsylvania Press, 1991.
Bryce, Trevor. The Kingdom of the Hittites, Oxford University Press, 2005.
Herodotus. The Histories, trad. Aubrey de Sélincourt, Penguin Books, 1954.
Sams, G. Kenneth. The Phrygian Kingdom: Political Development and Cultural Achievement, dans The Oxford Handbook of Ancient Anatolia, éd. Sharon R. Steadman et Gregory McMahon, Oxford University Press, 2011.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Avril 2008