Après une série de campagnes triomphales, César s’était imposé comme une figure incontournable de la République romaine. Ses victoires militaires, notamment contre les Helvètes, les Germains, les Belges, et enfin contre Vercingétorix à Alésia en 52 av. J.-C., avaient consolidé son contrôle sur la Gaule. Ces campagnes lui avaient permis de renforcer ses forces militaires, son prestige personnel et sa richesse, mais elles avaient également suscité la méfiance du Sénat, inquiet de son ambition.
En 55 av. J.-C., après avoir repoussé une invasion germanique et entrepris une mission en Bretagne, César fut confronté à une révolte gauloise massive menée par Vercingétorix. Ce chef arverne, habile stratège, opta pour la guérilla afin de harceler les Romains. Cependant, croyant avoir une opportunité stratégique, il engagea une bataille décisive à Alésia. César y déploya une tactique brillante, construisant une double enceinte pour assiéger la ville tout en repoussant les renforts gaulois venus libérer Vercingétorix. La reddition du chef gaulois marqua un tournant majeur : la Gaule devint une province romaine en 51 av. J.-C., après une ultime phase de pacification.
Pendant que César consolidait son pouvoir en Gaule, la République romaine sombrait dans le chaos politique. Les luttes internes entre les factions optimates (pro-sénatoriales) et populares (favorable aux réformes populaires) affaiblissaient le gouvernement. En 52 av. J.-C., le Sénat accorda un mandat exceptionnel à Pompée pour réprimer les émeutes à Rome. Ce geste consolidait le pouvoir de Pompée, mais rompait l’équilibre entre les triumvirs (César, Crassus, Pompée). La mort de Crassus en 53 av. J.-C. lors de la campagne de Carrhes accentua les tensions entre César et Pompée.
En tant que gouverneur de la Gaule, César avait besoin d’un renouvellement de son imperium et d’une élection au consulat pour éviter d’être poursuivi par ses ennemis au Sénat. Mais ce dernier, poussé par Pompée et les optimates, exigea qu’il renonce à son commandement militaire avant de se présenter aux élections. Cette manœuvre mettait César en position de faiblesse, et il savait qu’un retour à Rome en simple citoyen signifiait probablement son procès, voire son élimination.
En janvier 49 av. J.-C., César prit une décision historique. À la tête de sa XIIIe légion, il franchit le Rubicon, une petite rivière marquant la frontière entre sa province (la Gaule cisalpine) et l’Italie. Cet acte constituait une violation flagrante de la loi romaine, qui interdisait à un général en exercice de pénétrer en Italie avec ses troupes. En franchissant le Rubicon, César déclara implicitement la guerre au Sénat et à Pompée.
Selon Suétone, César aurait déclaré à ce moment : "Alea jacta est" (Le sort en est jeté). Cependant, une autre citation attribuée à César, rapportée par Plutarque, illustre davantage son dilemme : "Ne pas franchir le Rubicon m'aurait apporté le malheur ; mais le franchir apportera le malheur à tous les hommes." Ces paroles témoignent de la gravité de sa décision, qui allait plonger Rome dans une guerre civile.
Pris par surprise, Pompée choisit de ne pas affronter César en Italie. Il évacua Rome avec le Sénat et se replia au-delà de l’Adriatique, dans les Balkans, où il espérait rassembler des forces supérieures à celles de César. Ce retrait permit à César de s’emparer rapidement de l’Italie sans grande résistance. Il occupa Rome, s’assura le contrôle de l’État, et lança une série de campagnes militaires pour vaincre ses ennemis.
Après avoir franchi le Rubicon en 49 av. J.-C., César entra dans Rome, désertée par ses magistrats et dignitaires qui avaient fui pour rejoindre Pompée. Il établit un gouvernement intérimaire pour maintenir l’ordre et affirma son autorité en prenant des mesures visant à rassurer la population romaine. Bien qu’il tenta de convaincre Cicéron de rejoindre ses rangs, ce dernier préféra s’exiler auprès de Pompée.
Le premier acte majeur de la guerre civile fut une campagne en Espagne, où Pompée disposait encore d’une armée puissante. César comprit rapidement que neutraliser les forces pompéiennes sur ce front était crucial pour éviter qu’elles ne renforcent les positions de Pompée en Illyrie. En son absence, il confia la gestion de l’Italie à son fidèle lieutenant, Marc Antoine.
En Espagne, César fit preuve d’une rapidité et d’une audace légendaires, surprenant Lucius Afranius et Marcus Petreius, les généraux de Pompée. Ces derniers se rendirent rapidement, dispersant ainsi les forces pompéiennes dans la région. Cette victoire permit à César de sécuriser le flanc ouest de son empire et de se préparer à affronter directement Pompée.
Après avoir été réélu consul en 48 av. J.-C., César concentra ses efforts sur la Grèce, où Pompée regroupait ses troupes. Lors d’une confrontation près de Dyrrhachium, César subit des pertes et dut battre en retraite. Cependant, il rebondit rapidement et marcha vers la Thessalie pour intercepter Metellus Scipio, le gouverneur de Syrie et allié de Pompée.
La bataille décisive eut lieu à Pharsale, durant l’été 48 av. J.-C. Bien que ses forces fussent deux fois moins nombreuses, César utilisa des tactiques ingénieuses pour défaire la cavalerie de Pompée et mettre en déroute son armée. Cette victoire écrasante mit fin à la résistance militaire directe de Pompée, qui s’enfuit vers l’Égypte.
Espérant rallier à sa cause les souverains égyptiens, Pompée se rendit en Égypte. Toutefois, le jeune roi Ptolémée XIII et sa sœur Cléopâtre, engagés dans une lutte de pouvoir, choisirent de ne pas risquer un affrontement avec César. À son débarquement, Pompée fut assassiné sur ordre de Ptolémée. Sa tête fut présentée à César à son arrivée à Alexandrie en 47 av. J.-C., une scène qui, selon Plutarque, horrifia le général romain.
Un programme ambitieux pour Rome et son Empire
Entre 49 et 44 av. J.-C., malgré des périodes de guerre civile et un temps limité à Rome, Jules César initia une transformation profonde de la République. Sa politique alliait pragmatisme et vision à long terme, cherchant à résoudre les crises immédiates tout en bâtissant un Empire durable. Ces réformes touchèrent à des domaines variés : économie, urbanisme, administration, citoyenneté, et même le temps lui-même.
Après des décennies de troubles politiques et de conflits, César aborda directement la question de la pauvreté et des dettes, exacerbée par les guerres civiles. Il réduisit les dettes d’un quart en 49 av. J.-C., tout en évitant de tomber dans le populisme extrême de l’annulation totale, pratique courante chez certains de ses prédécesseurs. Les propriétés furent réévaluées à leurs valeurs d’avant-guerre pour limiter les abus, et les loyers furent suspendus pour l’année 48 av. J.-C.
Les allocations de blé gratuit à Rome, qui avaient entraîné un exode massif des campagnes, furent révisées. César réduisit drastiquement le nombre de bénéficiaires, passant de 320 000 à environ 150 000. Cette mesure permit de réduire la pression sur la ville tout en orientant les citoyens pauvres et les soldats démobilisés vers des colonies nouvellement fondées.
Dans une politique mêlant pragmatisme et générosité, César établit environ 80 000 citoyens dans plus de vingt colonies à travers l’Empire, notamment à Carthage et Corinthe. Cette initiative servit à reloger les populations pauvres et à récompenser les vétérans de ses armées. Chaque soldat reçut 5 000 deniers et, pour les plus méritants, des terres dans ces colonies.
César mit fin au système des publicains, collecteurs d’impôts privés, accusés d’extorsion dans les provinces. À leur place, il nomma des légats chargés de superviser directement les finances provinciales. Ces postes furent strictement encadrés par des lois, réduisant les abus.
La Lex Julia Municipalis constitua l’un des fondements administratifs de l’Empire romain. Cette loi organisait les nouvelles colonies et les villes provinciales en suivant des principes clairs de gouvernance municipale, incluant :
Cette législation permit une meilleure centralisation tout en offrant une autonomie relative aux villes. La Lex Julia demeura en vigueur jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident.
César introduisit une politique novatrice en étendant la citoyenneté romaine à de nombreux habitants des provinces conquises, notamment en Gaule, en Espagne et en Afrique. Cette stratégie de romanisation renforça la loyauté des élites locales envers Rome et contribua à l’unification culturelle de l’Empire.
Pour répondre aux besoins administratifs d’un empire en expansion, César porta le nombre de sénateurs de 600 à 900, intégrant des citoyens issus des provinces. Bien que cela consolidât son contrôle politique (la plupart des nouveaux sénateurs lui étant fidèles), cette réforme élargit la représentativité au sein du Sénat, favorisant une gouvernance plus adaptée aux réalités de l’Empire.
Sous César, Rome devint un immense chantier. Il rénova et agrandit le Forum romain, créant un espace monumental abritant un nouveau Sénat, des tribunaux, une bibliothèque et des temples inspirés de l’architecture hellénistique. Ces projets non seulement embellirent la ville, mais fournirent également des emplois à de nombreux ouvriers.
Pour réduire les encombrements et améliorer la circulation, César interdit les véhicules à roues dans les rues de Rome durant la journée. Ces mesures contribuèrent à une organisation plus efficace de la ville, tout en répondant aux besoins croissants de la population urbaine.
Le calendrier romain, désynchronisé avec les saisons, nécessitait une réforme urgente. Avec l’aide de l’astronome Sosigène d’Alexandrie, César introduisit le calendrier julien en 45 av. J.-C. Cette réforme, basée sur une année de 365 jours avec une année bissextile tous les quatre ans, permit d’harmoniser le cycle annuel. L’année 46 av. J.-C. fut exceptionnellement allongée à 445 jours pour rattraper les décalages accumulés.
Le calendrier julien resta en vigueur jusqu’en 1582, lorsque le pape Grégoire XIII le révisa légèrement pour aboutir au calendrier grégorien, encore utilisé aujourd’hui.
César ne voyait pas Rome comme une simple cité-État, mais comme le cœur d’un empire global. Il envisageait une citoyenneté universelle, où tous les peuples de l’Empire seraient liés non plus à la ville de Rome, mais à la structure politique de l’Empire lui-même. Cette idée, bien que révolutionnaire pour l’époque, posa les bases de la romanisation qui caractérisa l’Empire.
Les réformes de César transformèrent Rome en profondeur. Si elles furent parfois critiquées comme un moyen de renforcer son pouvoir personnel, leur impact durable sur l’administration, l’économie et l’unité culturelle de l’Empire est indéniable. Elles posèrent les fondations d’un système qui permit à Rome de dominer le monde méditerranéen pendant des siècles.
Après des décennies de luttes politiques et militaires, Jules César atteignit le sommet du pouvoir à Rome. Nommé dictateur pour dix ans en 46 av. J.-C., il se vit accorder le titre de dictateur à vie en 44 av. J.-C. Cette ascension culminante lui valut un culte quasi-divin, orchestré par des sénateurs qui espéraient bénéficier de ses largesses. Le mois de sa naissance fut renommé Julius (juillet), et son anniversaire devint un jour de fête publique. Les citoyens romains vivaient désormais sous l’influence omniprésente du culte de César.
Malgré ces honneurs, César naviguait sur des eaux troubles. Il refusait ostensiblement le titre de rex (roi), rejetant la couronne que Marc Antoine tenta de lui offrir durant les Lupercales en 44 av. J.-C. Cependant, ses actions et son apparence portaient des échos de royauté. Il adopta une toge pourpre, symbole traditionnel de la monarchie, s’assit sur un siège en or lors des réunions du Sénat, et porta une couronne d’or. Ces attributs royaux, combinés à la présence de Cléopâtre à Rome et de leur fils Césarion, alimentèrent les craintes d’une tentative de monarchisation de Rome. Pour une République farouchement opposée à toute forme de royauté, ces gestes furent perçus comme des provocations.
César représentait une double menace : il incarnait un pouvoir absolu en contradiction avec les valeurs républicaines, et sa relation avec Cléopâtre semblait suggérer des ambitions dynastiques. Les patriciens romains, particulièrement sensibles à l’idée d’un retour à la monarchie, étaient scandalisés par la perspective de voir Césarion, un enfant d’origine étrangère, devenir héritier d’une telle puissance. La République, déjà affaiblie, semblait au bord de l’effondrement.
La conspiration contre César prit forme dans un climat de peur et d’indignation croissante. Selon Cicéron, les comploteurs étaient animés par un courage inébranlable mais un manque de réalisme politique. Ils croyaient, à tort, qu’en supprimant César, ils restaureraient automatiquement la République.
Le 15 mars 44 av. J.-C., lors des Ides de mars, César se rendit au Sénat qui siégeait exceptionnellement au Portique de Pompée. C’est au pied de la statue de Pompée, ironiquement un ancien adversaire de César, que les conspirateurs passèrent à l’action. César, bien qu’il eût congédié ses licteurs plus tôt, sembla accepter son destin sans résistance. Il fut poignardé vingt-trois fois par des sénateurs, dont certains étaient autrefois ses alliés, comme Brutus et Cassius. Plutarque rapporte que César aurait prononcé ses derniers mots : "Tu quoque, fili mi ?" (Toi aussi, mon fils ?), en s’adressant à Brutus, bien que cette phrase reste disputée historiquement.
La mort de César ne ramena pas la République. Au contraire, elle plongea Rome dans une nouvelle et sanglante guerre civile. Les partisans de César, conduits par Marc Antoine et Octave (le futur Auguste), affrontèrent les assassins de César et leurs soutiens. Cet acte, qui se voulait un retour aux principes républicains, signa au contraire la fin définitive de la République.
Cléopâtre, de son côté, quitta précipitamment Rome pour l’Égypte avec leur fils Césarion. Elle dénonça l’assassinat comme un acte de trahison, mais se retrouva rapidement isolée dans le chaos qui suivit. Rome, quant à elle, ne se remit jamais totalement de la perte de César. Moins de deux décennies plus tard, la République céda la place à l’Empire sous le règne d’Auguste.
L’assassinat de César est souvent interprété comme l’un des actes politiques les plus tragiques de l’histoire. Bien que motivé par une peur légitime d’un pouvoir absolu, il déclencha une série d’événements qui scellèrent la disparition de la République. L’héritage de César, paradoxalement, ne fut pas le rétablissement d’une Rome républicaine, mais l’établissement d’un système impérial qui dura plusieurs siècles.
Sources et références
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Avril 2008