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Les Celtes des Iles britaniques

Les Celtes des Îles Britanniques : Résistance, Transformation et Héritage

Les îles Britanniques, situées à l'extrémité nord-ouest de l'Europe, ont vu les mouvements culturels et technologiques du monde celte de l’âge du fer atteindre leurs rivages plus lentement que sur le continent. Cette position insulaire a permis aux Celtes de développer des caractéristiques distinctes tout en étant influencés par les échanges avec l'Europe continentale. Cependant, l'invasion romaine au milieu du Ier siècle apr. J.-C. bouleversa profondément cette civilisation, la contraignant à se transformer ou à se replier dans des zones plus inaccessibles.


Les Brittons du Sud : Une Résistance Fragmentée et une Société Vibrante

Avant l’arrivée des Romains, l’île de Bretagne était un assemblage de régions tribales indépendantes, chacune dirigée par un roi ou un chef. Malgré une structure sociale énergique et dynamique, l’absence d’unité politique facilita la conquête romaine, qui exploita ces divisions internes avec une stratégie habile de divide et impera (« diviser pour régner »).


Un Morcellement Politique Favorable à Rome

Les tribus celtes du sud de l’île, bien que prospères et organisées, manquaient d’une coordination centrale pour résister efficacement à une invasion. En 55 et 54 av. J.-C., Jules César fit ses premières incursions dans l’île, établissant des liens commerciaux et politiques avec certaines tribus. Cependant, ces expéditions ne menèrent pas à une conquête durable, en partie à cause des troubles en Gaule et à Rome même.

Durant le siècle suivant, les Romains poursuivirent leur influence sur le sud de l’île en développant le commerce, en envoyant des espions, et en nouant des alliances avec des tribus comme les Atrébates, les Icéniens ou les Trinovantes. Ces tribus, proches des ports gallo-romains, maintenaient déjà des contacts commerciaux avec le continent.


Les Tribus Belges : Une Influence Déterminante

À la fin de l’âge du fer, des tribus belges, comme les Atrébates et les Catuvellauni, s’étaient établies dans le sud-est de l’île de Bretagne. Ces groupes, ayant traversé la Manche sous la pression de la surpopulation et des migrations germaniques, contrôlaient des territoires allant de la côte jusqu’aux sources de la Tamise.

  • Les Belges introduisirent la monnaie en Grande-Bretagne, contribuant à une économie dynamique.
  • Le port de Douvres (dovr, signifiant « eau » en celte) joua un rôle clé dans le commerce entre les deux rives de la Manche.
  • Des objets méditerranéens, notamment des amphores à vin, ont été découverts dans des sites celtiques du sud, témoignant d’un commerce actif avec la Méditerranée.

La Résistance des Tribus Reculées

Plus éloignées des centres commerciaux et de l’influence romaine, certaines tribus comme les Parisi, les Silures et les Brigantes firent preuve d’une résistance acharnée.

  • Les Silures, installés dans l’actuel Pays de Galles, s’allièrent avec d’autres tribus celtes pour contrer les campagnes romaines. Leur résistance persista jusqu’à la destruction du sanctuaire druidique d’Anglesey en 61 apr. J.-C.
  • Les Brigantes, dans le nord, furent plus ambivalents. Bien que certains chefs aient collaboré avec les Romains, d’autres s’opposèrent farouchement à l’envahisseur.
  • La reine Boudicca, chef des Icéniens, incarna cette résistance. En 60-61 apr. J.-C., elle mena une révolte majeure qui, bien qu’écrasée, démontra la persistance de l’esprit d’indépendance celte.

Commerce et Culture au Sud

Malgré les pressions extérieures, la société celte du sud de l’île demeura florissante jusqu’à l’arrivée des Romains :

  • Le commerce était central à la vie des tribus du sud. Des routes commerciales reliaient ces communautés aux régions méditerranéennes, apportant des biens exotiques comme le vin et des objets métalliques.
  • L’artisanat celte, notamment dans la métallurgie, atteignit un niveau remarquable, produisant des armes, des bijoux, et des objets rituels de grande qualité.
  • Les structures sociales étaient dynamiques, avec des chefs capables de mobiliser les forces tribales pour défendre leurs territoires ou conclure des alliances temporaires.

L'Absence d'Unité : Une Faiblesse Fatale

Le morcellement politique des Celtes britanniques les empêcha de résister efficacement à l’invasion romaine. Alors que certaines tribus s’allièrent aux Romains, d’autres maintinrent leur indépendance au prix de lourds affrontements. Ces divisions permirent à Rome de conquérir progressivement le sud de l’île.


Héritage des Brittons du Sud

Les Brittons du sud ont légué un riche héritage à la culture britannique :

  1. Toponymie : De nombreux noms de lieux en Angleterre ont des origines celtiques, comme la Tamise ou Douvres.
  2. Artefacts : Les objets découverts dans les sites celtes témoignent d’une société prospère et connectée aux réseaux commerciaux européens.
  3. Résistance culturelle : Malgré l’intégration au monde romano-britannique, la culture celte persista dans des régions moins romanisées, notamment en Cornouailles et au Pays de Galles.


Les Cornouailles : Un Territoire Commercial et Résilient

Avant l'invasion romaine au milieu du Ier siècle apr. J.-C., la Cornouailles, appelée alors le pays des Cornovii, jouissait d'une autonomie notable. La région, riche en ressources naturelles comme l’étain, joua un rôle clé dans le commerce transmanche dès l’âge du fer.

Le Commerce avec Rome

Malgré une occupation romaine limitée, la Cornouailles établit des relations commerciales prospères avec l’Empire. La ville d’Exeter (Isca Dumnoniorum), située à la frontière orientale du territoire des Dumnonii, devint un centre névralgique pour l’exportation de l’étain, utilisé dans la fabrication du bronze. Ce commerce s'étendait au-delà de la Grande-Bretagne, reliant la Cornouailles aux réseaux économiques du monde romain.

L'Après-Rome

Lorsque les Romains quittèrent la Bretagne au début du Ve siècle apr. J.-C., la Cornouailles (appelée Kernow en cornique) conserva une prospérité relative. Elle continua à commercer activement avec les royaumes voisins, notamment le royaume de Dumnonia à l'est et la Cornouaille en Armorique (actuelle Bretagne en France). Ce commerce maintint une certaine continuité culturelle et économique, permettant à la région de préserver ses traditions celtiques tout en s'adaptant aux nouveaux défis.


Les Gallois : Héritiers d’un Passé Celte et Romain

L’histoire des Brittons du pays de Galles est marquée par une riche tradition celte, mais aussi par des influences romaines profondes. Bien que les sources écrites soient rares, l'archéologie révèle des échanges commerciaux et culturels dynamiques entre le pays de Galles, l'Irlande, et le reste de la Grande-Bretagne dès avant l’occupation romaine.

Les Tribus Celtes du Pays de Galles

Quatre grandes tribus celtes dominaient la région :

  1. Les Deceangli au nord-est.
  2. Les Ordovices au nord-ouest.
  3. Les Demetae au sud-ouest.
  4. Les Belges au sud-est, leurs territoires s'étendant jusqu'à l'estuaire du Severn.

Ces tribus, bien que culturellement proches, étaient politiquement indépendantes, ce qui compliqua leur résistance face aux Romains.

Le Sanctuaire des Druides à Anglesey

L’île d’Anglesey (Mona en latin) servait de centre spirituel pour les druides, figures centrales de la culture et de la résistance celtiques. En 60-61 apr. J.-C., le gouverneur romain Paulinus Suetonius mena une expédition pour détruire ce bastion druidique, considérant qu’il alimentait l’opposition à Rome. La conquête d’Anglesey marqua la fin symbolique de la domination druidique en Grande-Bretagne, mais l’esprit de résistance persista.


Les Irlandais : Bastions Celtes aux Confins du Monde Romain

L'Irlande, surnommée "l'île d'émeraude", reste un symbole de la résistance et de la préservation de la culture celtique face aux avancées romaines. Alors que le reste des îles Britanniques tombait sous la domination romaine, l'Irlande demeura libre de toute conquête, conservant une identité celte forte.


L'Irlande et Rome : Une Conquête Évincée

Selon Tacite, dans sa Vie d'Agricola, le général romain Agricola, stationné sur la côte ouest de l'Écosse au Ier siècle apr. J.-C., considérait l'idée d'une invasion de l'Irlande. Pourtant, Rome n’entreprit jamais de conquête, probablement parce que l'île ne présentait pas d'intérêt stratégique ou économique suffisant pour justifier un effort militaire. À l'exception de quelques incursions commerciales ou exploratoires, l'Irlande resta en dehors de l’orbite romaine, constituant avec le nord de l'Écosse les derniers bastions celtes d'Europe occidentale.


Des Racines Anciennes : Les Ériens et la Protohistoire

Les premiers habitants de l'Irlande à l'âge du bronze étaient appelés Ériens (ou Iverniens, selon Ptolémée). Ces populations, probablement des Proto-Celtes, étaient organisées en tribus correspondant plus tardivement aux provinces modernes de l’Ulster, du Leinster, du Munster et du Connaught. Cependant, il existe peu de preuves concrètes de leur organisation sociale et politique avant le Ier siècle apr. J.-C.

La mythologie irlandaise, notamment à travers les récits du Lebor Gabála Érenn (Livre des Conquêtes d'Irlande), évoque un passé où l’île était unifiée sous un grand roi, siégeant à Tara. Bien qu’inspirante, cette vision repose davantage sur des légendes que sur des faits historiques. En réalité, l’Irlande était politiquement morcelée dès l'Antiquité.


Une Organisation Tribale et Sociale Durable

Au Ier siècle apr. J.-C., l’Irlande était un assemblage de petits royaumes indépendants, gouvernés par des chefs ou des rois locaux. Cette structure, proche de celle de la Gaule préromaine, reflétait une absence de centralisation politique.

Tara : Un Centre Symbolique

Le site de Tara, dans le comté de Meath, joue un rôle central dans les traditions irlandaises. Bien qu'il n'y ait aucune preuve tangible qu'il ait servi de siège à un grand roi unificateur, Tara était un lieu d’importance symbolique et religieuse. L’oppidum et le Rath of Synods (enclos circulaire) témoignent d’une activité politique et rituelle importante.

Facteurs d'Unité

En dépit de leur fragmentation politique, les Irlandais partageaient des éléments culturels et sociaux unificateurs :

  • La langue : Le gaélique, un dérivé des langues celtiques, facilitait les échanges entre tribus.
  • La religion : Les pratiques druidiques et les croyances celtes fournissaient un socle spirituel commun.
  • La structure sociale : Basée sur des clans, elle était semblable à celle de la Gaule et favorisa la persistance d'une culture celte distincte.


Les Calédoniens et les Pictes : Résistants Mystérieux du Nord de la Grande-Bretagne

Dans le nord reculé de la Grande-Bretagne, les Calédoniens et leurs descendants, les Pictes, représentèrent une menace constante pour l'Empire romain. Malgré les efforts militaires et la construction de fortifications comme le mur d’Hadrien, ces peuples restèrent insoumis, conservant leur indépendance et leur culture unique.


Les Premiers Habitants et l’Émergence des Calédoniens

Dès le Néolithique, les habitants du nord de l'Écosse, ancêtres des Calédoniens, s’étaient établis comme fermiers et constructeurs. Leurs monuments mégalithiques, tels que l’anneau de Brodgar dans les Orcades, témoignent de leur savoir-faire et de leur connexion spirituelle avec le paysage.

Pendant l'âge du bronze, ces populations entretenaient des échanges culturels avec le continent européen. Cependant, à l'âge du fer, l'Écosse devint plus insulaire, même si elle partageait des similitudes culturelles avec l'Irlande et le sud de la Grande-Bretagne. Contrairement à une idée reçue, les Celtes d'Écosse ne représentaient pas des vagues de migration extérieure, mais étaient les descendants directs des habitants de l’âge du bronze.


La Société et les Tribus Calédoniennes

Au Ier siècle apr. J.-C., l'Écosse était divisée en seize régions tribales, chacune occupée par des groupes celtiques :

  • Au sud de la ligne Forth-Clyde : Quatre tribus dominaient, dont les Damnonii.
  • Au nord du Great Glen : Des tribus comme les Calédoniens, les Decantae, les Smertae, et les Cornavii peuplaient des régions variées.
  • Au nord-est et en Argyll : On retrouvait les Vacomagi, les Texali, et les Epidii.

Les Calédoniens, basés dans la région du Great Glen, jouaient un rôle central dans la résistance contre Rome. Ils formèrent une coalition avec d’autres tribus pour faire face aux invasions romaines. Tacite les décrit comme ayant des cheveux roux et une stature imposante, les distinguant des habitants du sud.


L’Affrontement avec Rome

La Campagne d’Agricola

En 79 apr. J.-C., le gouverneur romain Agricola lança une campagne en Écosse. Les Calédoniens lui opposèrent une résistance acharnée. En 84 apr. J.-C., ils furent vaincus au mont Graupius, mais cette victoire fut de courte durée pour Rome. Agricola, incapable de maintenir une occupation durable, se replia dans le sud.

Le Mur d’Hadrien

Face à la persistance des raids des Calédoniens, l’empereur Hadrien ordonna la construction d’une muraille défensive en 122 apr. J.-C. Cette structure symbolisait la limite nord de l’Empire romain, les Romains abandonnant l’idée de conquérir les territoires au-delà.

Les Expéditions Punitives

Dans les siècles suivants, les Romains menèrent des campagnes sporadiques en Calédonie, sans jamais parvenir à pacifier la région. L'abandon progressif des postes avancés au nord témoigne de leur incapacité à soumettre ces tribus.


Les Pictes : Héritiers des Calédoniens

Au IIIe siècle apr. J.-C., les Calédoniens furent remplacés dans les récits romains par les Pictes, un terme signifiant « peuple peint », en référence à leurs tatouages ou peintures corporelles. Ce changement pourrait refléter une évolution culturelle ou une nouvelle identité adoptée par ces tribus.

Un Mystère Archéologique

Les Pictes laissèrent peu de traces écrites, mais leur héritage survit dans des centaines de monolithes sculptés, ornés de motifs énigmatiques. Ces pierres, dispersées dans toute l’Écosse, témoignent de leur culture complexe et de leurs croyances. Bien qu’elles restent mal comprises, elles illustrent un système symbolique sophistiqué.

Une Culture Insulaire

Les Pictes, comme leurs prédécesseurs calédoniens, vivaient dans des structures sociales tribales. Ils maintenaient des liens avec l’Irlande et le reste de l’Écosse, mais leur isolement relatif les protégea de l'influence romaine.


Héritage et Résistance

L’héritage des Calédoniens et des Pictes est celui d’une résilience face à un empire puissant. Leur refus de se soumettre symbolise l’esprit d’indépendance qui caractérise encore aujourd'hui l'identité écossaise.

  • Leur culture : Bien que peu documentée, elle survit à travers les monuments mégalithiques, les sculptures pictes, et les récits romains.
  • Leur résistance : Les campagnes militaires romaines, bien que brutales, ne réussirent jamais à briser l’esprit de ces peuples.
  • Leur influence : Les Pictes finirent par jouer un rôle clé dans la formation du royaume d'Écosse, posant les bases de l’histoire médiévale écossaise.




Références et Sources

  1. Cunliffe, B. (1997). The Ancient Celts. Oxford University Press.
  2. Green, M. J. (1995). Celtic Myths and Legends. Routledge.
  3. Tacite, Agricola.
  4. Fitzpatrick, A. P. (2000). Cross-Channel Relations in the Late Iron Age and Roman Periods. Oxbow Books.
  5. MacNeill, E. (1923). Phases of Irish History. Dublin Institute for Advanced Studies.
  6. Archéologie Irlandaise : Publications de l'Irish Archaeological Institute.
  7. Hanson, W. S. (1987). Agricola and the Conquest of the North. Batsford Academic.
  8. Forsyth, K. (1997). Language in Pictland: The Case Against "Non-Indo-European Pictish". Studia Celtica.
  9. Green, M. J. (1995). Celtic Myths and Legends. Routledge.
  10. Archéologie écossaise : publications du National Museum of Scotland.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Mars 2010