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Rome et la méditerranée orientale

La Guerre d'Hannibal et l’Alliance entre Philippe V et Carthage

Pendant la Seconde Guerre punique (218-201 av. J.-C.), Philippe V de Macédoine s’allie avec Hannibal, le général carthaginois, dans l’espoir de profiter de l’affaiblissement de Rome pour étendre son influence. Cependant, cette alliance reste largement inefficace. Bien que Philippe s’engage à armer une flotte de 200 navires, il est empêché par des menaces barbares au nord de ses frontières, ce qui l’empêche de tenir ses promesses. Pendant ce temps, Rome équipe une flotte de 120 galères et contre-attaque rapidement.

Philippe V tente une seule attaque significative contre les intérêts romains en 214 av. J.-C., prenant de nuit la cité d’Oricum en Épire. Mais cette initiative est rapidement neutralisée par le préteur romain Valerius Laevinus, qui reprend Oricum et installe une garnison à Appolonie. Philippe, acculé, doit détruire ses navires et fuir à pied en Macédoine.

Rome décide de contenir la menace macédonienne en formant une coalition grecque anti-macédonienne comprenant les Étoliens, Pergame et d'autres tribus. Cette première guerre de Macédoine (214-205 av. J.-C.) s’achève sans grande confrontation entre les légions romaines et les phalanges macédoniennes, avec une paix précaire signée en -206/-205. Cette guerre marque le début des tensions grandissantes entre Rome et la Macédoine.




La Deuxième Guerre de Macédoine (-200 à -197)

Après la paix fragile, Philippe V adopte une politique agressive, notamment en mer Égée, ce qui inquiète les cités grecques, Pergame et Rhodes. En -200, la demande d’aide d’Athènes à Rome, combinée aux ambitions militaires romaines, mène à une nouvelle déclaration de guerre contre la Macédoine.

Les Premières Manœuvres

Le consul Sulpicius Galba débarque en Épire avec deux légions et des forces auxiliaires, y compris des cavaliers numides et des éléphants. Tandis que Philippe ravage l’Attique et s’empare de cités comme Abidos, les forces romaines pillent et ravagent les territoires macédoniens. Malgré quelques escarmouches, les deux premières années de la guerre (-200 à -198) restent indécises, marquées par des pillages et de faibles avancées territoriales.

Flamininus et le Tournant de la Guerre

En -198, Rome nomme Titus Quinctius Flamininus consul pour dynamiser les opérations. Flamininus, avec 8 000 renforts, décide d’attaquer directement la Thessalie, un territoire clé pour la Macédoine. Malgré une tentative de négociation entre Flamininus et Philippe V, les demandes romaines d’évacuation totale de la Grèce mènent à un échec des pourparlers.

Un tournant survient lorsque des guides épirotes offrent aux Romains un passage à travers les montagnes, permettant une attaque surprise sur le camp macédonien. Philippe est contraint de fuir, abandonnant 2 000 hommes et perdant le soutien des Épirotes. Les forces alliées des Étoliens et des Romains prennent rapidement le contrôle du nord de la Grèce.

La Bataille de Cynoscéphales (-197)

La bataille décisive se déroule en juin -197 près de Cynoscéphales, en Thessalie. L'armée de Philippe, composée principalement de 16 000 phalangites, affronte une force romaine équivalente, renforcée par des éléphants et des auxiliaires grecs. Le terrain vallonné, inadapté à la phalange macédonienne, avantage les manipules romains plus flexibles.

Dans un brouillard épais, l’avant-garde romaine est initialement repoussée, mais une contre-attaque menée par les éléphants et les Étoliens désorganise l’aile gauche macédonienne. Une manœuvre audacieuse d’un tribun romain surprend l’arrière de la phalange ennemie, provoquant une débâcle. Philippe perd 8 000 hommes et 5 000 autres sont faits prisonniers.



Les Conséquences de la Guerre

Après la défaite, Philippe demande à négocier la paix. Pour Rome, il s’agit de sécuriser la Grèce face à la menace grandissante du royaume séleucide d’Antiochos III. Les conditions imposées par Flamininus sont sévères : Philippe doit abandonner toutes ses possessions en Grèce, en Asie et dans la mer Égée, livrer sa flotte et payer une lourde indemnité. De plus, ses forces armées sont drastiquement limitées, et toute guerre future devra être approuvée par Rome.

Pour consolider son influence en Grèce, Rome proclame officiellement la liberté des cités grecques lors des Jeux isthmiques de -196, un geste stratégique visant à présenter Rome comme une protectrice de la liberté grecque, plutôt qu’un nouvel oppresseur.


Les Limites de la Domination Romaine

Cependant, tout n’est pas gagné pour Rome. Les Étoliens, frustrés par le partage du butin et les concessions faites à Philippe, accusent les Romains de remplacer les Macédoniens comme maîtres de la Grèce. Ces tensions annoncent de futures confrontations dans la région, notamment avec Antiochos III, qui menace à son tour l’équilibre fragile imposé par Rome.


La Guerre contre Antiochos III : L’affrontement de Rome avec l’Empire Séleucide

La guerre entre Rome et Antiochos III (192-188 av. J.-C.) marque une étape cruciale dans l'expansion romaine en Méditerranée orientale. Ce conflit met en lumière l’ambition de Rome de contenir les puissances hellénistiques et de s’imposer comme l’arbitre du monde grec.


Contexte et Tensions Préalables

Antiochos III, après ses victoires sur l’Égypte à Panion (-200) et la reconquête de la Palestine et de la Coelésyrie, cherche à étendre son influence en Asie Mineure et en Grèce. En occupant Ephèse (-197) et les rivages de l’Hellespont, il comble le vide laissé par Philippe V de Macédoine, battu lors de la Deuxième Guerre de Macédoine. De plus, il accueille à sa cour Hannibal, l’ennemi juré de Rome, ce qui alimente les inquiétudes du Sénat.

Rome, après avoir affirmé son autorité sur la Grèce, exige qu’Antiochos renonce à ses prétentions sur les cités autonomes de Lampsaque et Smyrne, et qu’il ne mène aucune campagne militaire en Europe. Malgré ces avertissements, Antiochos intervient en Grèce, soutenu par les Étoliens, un peuple grec mécontent de la domination romaine.


L'Intervention d'Antiochos en Grèce (192-191 av. J.-C.)

En -192, Antiochos débarque en Grèce avec une force relativement modeste : 10 000 fantassins, 500 cavaliers et 6 éléphants. Il cherche à libérer les Grecs du joug romain, mais ses espoirs de rallier des alliés se heurtent à la réalité : seuls les Étoliens et les Béotiens se joignent à lui. De plus, la Macédoine, désormais alliée de Rome, renforce son opposition.

Antiochos réussit toutefois quelques succès initiaux, prenant Chalcis sur l'île d'Eubée et établissant son quartier général. Mais ses forces restent insuffisantes pour affronter l'armée romaine qui débarque à Apollonie, composée de 25 000 légionnaires sous le commandement de Marcus Baebius. En -191, le consul Manius Acilius Glabrio arrive avec 20 000 soldats supplémentaires, portant les forces romaines à 40 000 hommes.

La Bataille des Thermopyles (-191)

Antiochos tente de fortifier sa position dans le célèbre défilé des Thermopyles, espérant y bloquer l’avance romaine. Il ordonne aux Étoliens de sécuriser les passages autour des montagnes, mais leur négligence permet à l’armée romaine, menée par Porcius Caton, de contourner les positions séleucides. Les forces d’Antiochos, mal préparées à une retraite, sont massacrées. Seuls 500 hommes accompagnent Antiochos dans sa fuite vers Chalcis, puis vers Ephèse. Les Grecs qui l'ont soutenu, comme les Étoliens, se rendent ou demandent une trêve.

Antiochus III le grand 

La Campagne en Mer Égée

Rome, pour poursuivre Antiochos en Asie Mineure, doit d’abord dominer les mers. Une flotte dirigée par Caius Livius Salinator affronte la flotte séleucide menée par Polyxénidas lors de la bataille de Corycos (-191). Les Romains, soutenus par les navires de Rhodes et de Pergame, infligent une sévère défaite à Polyxénidas, qui perd 23 navires. Bien que la flotte séleucide se réfugie à Ephèse, Rome établit progressivement sa suprématie maritime.

Hannibal et la Flotte de Phénicie

Antiochos confie à Hannibal la formation d’une nouvelle flotte en Phénicie. Cependant, cette tentative échoue également lorsque Hannibal est défait dans une bataille navale près de l’Eurymédon par les Rhodiens, alliés de Rome. La défaite navale décisive survient à Myonnesos (-190), où Polyxénidas perd 42 navires. Avec cette victoire, Rome sécurise définitivement la mer Égée, empêchant toute résistance séleucide par voie maritime.


La Campagne en Asie Mineure (190-188 av. J.-C.)

Avec la domination navale assurée, Rome envoie une armée dirigée par Lucius Cornelius Scipio (frère de Scipion l’Africain) en Asie. Les troupes traversent l’Hellespont sans opposition, soutenues par les cités grecques d’Asie Mineure telles que Pergame et les cités éoliennes et ioniennes, qui préfèrent Rome à Antiochos.

La Bataille de Magnésie (-190)

Antiochos rassemble une armée de 70 000 hommes, comprenant des éléphants de guerre et des troupes celtes, pour affronter les légions romaines et leurs alliés. La bataille décisive a lieu près de Magnésie. Malgré leur infériorité numérique, les Romains, grâce à leur discipline et à leur coordination, infligent une défaite écrasante aux Séleucides. Antiochos perd environ 50 000 hommes et doit fuir.


Les Conséquences de la Défaite d'Antiochos

Après cette défaite, Antiochos demande la paix. Les conditions imposées par Rome sont draconiennes :

  1. Abandon des territoires : Antiochos doit céder toutes ses possessions à l’ouest du Taurus, privant ainsi l’Empire séleucide de l’Asie Mineure.
  2. Réduction militaire : Interdiction de lever une flotte de guerre et limitation de l’armée séleucide.
  3. Tribut financier : Paiement de 15 000 talents, dont 500 immédiatement et le reste étalé sur 12 ans.
  4. Hannibal livré : Bien qu’Antiochos ne livre pas Hannibal directement, ce dernier doit fuir.

Le traité d’Apamée (-188) met fin au conflit. Rome devient la puissance dominante de l’Asie Mineure, tandis qu’Antiochos voit son empire réduit à la Syrie et à la Mésopotamie.


L’Héritage de la Guerre contre Antiochos

Cette guerre marque un tournant dans l'histoire méditerranéenne. Rome, ayant vaincu les principales puissances hellénistiques, devient un acteur incontournable en Orient. En même temps, les anciennes cités grecques alliées à Rome commencent à ressentir le poids de cette nouvelle domination.



La Troisième Guerre Macédonienne (-172 à -168) et ses Conséquences

La troisième guerre macédonienne (172-168 av. J.-C.) marque l’affirmation définitive de la puissance romaine en Grèce et en Macédoine, consolidant son contrôle sur le bassin méditerranéen. Ce conflit oppose Rome au roi de Macédoine, Persée, fils de Philippe V, dans une lutte pour l’hégémonie régionale.


Contexte et Origines du Conflit

Les Griefs de Philippe V

Après la deuxième guerre macédonienne (-200 à -197), Philippe V avait vu son royaume réduit, malgré son aide à Rome contre Antiochos III lors de la guerre antiochique. Frustré par l’absence de gains territoriaux significatifs et la cession de la Chersonèse à Pergame, Philippe prépare secrètement une revanche. Il forge des alliances avec les Gaulois et les Scordisques, et renforce son armée, mais meurt en -179 avant de pouvoir déclencher les hostilités.

L’Ascension de Persée

Son fils Persée hérite du trône et poursuit les ambitions de son père. Il élimine son frère Démétrios, perçu comme pro-romain, et consolide son pouvoir en proclamant une amnistie générale pour unir son royaume. Bien qu’il n’adapte pas son armée au modèle romain, il la fortifie par des combats répétés contre les barbares de Thrace et les Dardaniens. Par une habile propagande, il gagne le soutien de nombreux Grecs, y compris la Béotie et Rhodes.


Le Déclenchement de la Guerre

En -172, Eumène II de Pergame alerte le Sénat romain de la montée en puissance de Persée. Rome, inquiète de cette menace, décide secrètement de la guerre. Une ultime ambassade est envoyée en Macédoine, mais Persée exige un traité sur un pied d’égalité et rejette les accords conclus par Philippe V. Malgré une position favorable pour attaquer les forces romaines stationnées à Apollonie, Persée hésite et engage des pourparlers stériles. Cette inaction permet à Rome de débarquer ses légions et de rallier les cités grecques contre la Macédoine.


Les Opérations Militaires

Premières Escarmouches

En -171, les armées romaines, dirigées par le consul Publius Licinius Crassus, affrontent les Macédoniens à Sicurion. Bien que Persée remporte une victoire initiale grâce à sa cavalerie, il ne poursuit pas son avantage. Cette hésitation coûte cher à la Macédoine : les Romains, renforcés, prennent l’initiative. Une série de combats sporadiques s’ensuit, mais Persée évacue la Thessalie, se privant ainsi d’un possible soulèvement grec.

L’Impasse et l’Hiver

En -170 et -169, les campagnes se poursuivent sans résultats décisifs. L'armée romaine, affaiblie par l’indiscipline et les échecs, est incapable de pénétrer en Macédoine. Persée reprend brièvement l’avantage en refoulant les Romains en Illyrie, mais ne parvient pas à exploiter ces succès. L’armée romaine, sous le commandement de Quintus Marcius Philippus, finit par contourner les positions macédoniennes, mais les conditions hivernales retardent l’avancée.



La bataille de Pydna 22 juin - 168

La Bataille de Pydna (-168)

La bataille décisive a lieu le 22 juin -168 près de Pydna, sur un terrain plat favorable à la phalange macédonienne. L’armée de Persée, comprenant 40 000 hommes, affronte une force romaine de taille comparable, commandée par Lucius Aemilius Paullus (Paul Émile).

Le Déroulement

L’engagement commence par un incident mineur près d’un ruisseau, mais il dégénère rapidement. La phalange macédonienne, avec ses rangs serrés et ses longues sarisses, pousse les légionnaires romains à reculer. Cependant, lorsque la phalange s’avance sur un terrain irrégulier, des brèches se forment. Les légionnaires, plus mobiles, exploitent ces ouvertures pour fragmenter les rangs ennemis. La cavalerie romaine, appuyée par des éléphants, attaque les flancs, désorganisant encore davantage les Macédoniens.

À la fin de la journée, l'armée macédonienne est anéantie : 20 000 morts, 5 000 prisonniers, et la capture de Persée marquent la fin de la bataille.


Conséquences Immédiates

  1. La Soumission de la Macédoine : Persée, capturé après sa fuite sur l’île de Samothrace, est exhibé à Rome lors du triomphe de Paul Émile en -167. La Macédoine est divisée en quatre républiques indépendantes, désarmées et lourdement taxées.

  2. Réorganisation de la Région :

    • Les mines d’or et d’argent de Macédoine sont fermées.
    • La population est désarmée, et les élites macédoniennes sont exilées en Italie.
    • L’Épire, accusée de soutenir la Macédoine, est ravagée, et 150 000 habitants sont vendus comme esclaves.
  3. Humiliation des Alliés de Rome : Rhodes, accusée d’ambiguïté pendant la guerre, est privée de ses possessions en Lycie et en Carie, et son commerce est ruiné par la création d’un port franc à Délos.


Les Révoltes et la Transformation en Provinces

La Révolte d’Andriscos (-152 à -148)

En -152, Andriscos, un prétendu fils de Persée, rallie les Macédoniens mécontents et déclenche une rébellion. Après avoir remporté plusieurs succès initiaux, il est vaincu en -148 par Quintus Caecilius Metellus lors de la seconde bataille de Pydna. La Macédoine devient alors une province romaine.

La Révolte Achéenne et la Destruction de Corinthe (-146)

La Ligue Achéenne, irritée par les ingérences romaines, se soulève sous Critolaos et Diaios. En réponse, le consul Lucius Mummius écrase la rébellion à Corinthe, massacre la population, et détruit la ville. La Grèce est intégrée à la province romaine d’Achaïe, marquant la fin de l’indépendance des cités grecques.


L’Héritage de la Troisième Guerre Macédonienne

Cette guerre scelle le sort de la Macédoine et de la Grèce. Rome établit son hégémonie sur le monde hellénistique, tandis que les anciennes cités-États grecques perdent leur indépendance. Le contrôle romain s’exerce par des taxes, des gouvernements oligarchiques et des interventions militaires, créant une stabilité relative au prix de la liberté grecque.

Sources

  1. Polybe, Histoires – Témoignage contemporain sur les relations gréco-romaines.
  2. Tite-Live, Histoire Romaine – Compte rendu détaillé des campagnes militaires.
  3. Eckstein, Arthur M., Rome Enters the Greek East – Analyse des motivations et stratégies romaines.
  4. Hammond, N.G.L., The Macedonian State – Contexte politique et militaire de la Macédoine.
  5. Gruen, Erich S., The Hellenistic World and the Coming of Rome – Perspective sur l’expansion romaine dans le monde grec.


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Novembre 2009