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Stilicon et Alaric : Chaos et Déclin de l’Empire d’Occident.

La relation tumultueuse entre Stilicon, général d'origine vandale, et Alaric, roi des Wisigoths, illustre les défis insurmontables de l'Empire romain d'Occident face aux pressions internes et externes à l’aube du Ve siècle.


Stilicon : Stratège et Protecteur de l’Empire

Stilicon, fils d’un Vandale et loyal serviteur de l’Empire, était un général brillant et l'un des derniers défenseurs de l'Occident romain. Proche de Théodose, il joua un rôle déterminant après la mort de l’empereur en 395, en assumant la tutelle des deux fils de Théodose, Honorius (Occident) et Arcadius (Orient).

En Occident, Stilicon fit face à de multiples crises :

  1. Menace d'Alaric : Stilicon affronta à plusieurs reprises les incursions des Wisigoths d’Alaric entre 401 et 403. Bien qu’il réussît à repousser les envahisseurs, il épargna souvent Alaric, espérant l’utiliser comme allié stratégique.
  2. Invasion de Radagaise (405) : L’Ostrogoth mena une campagne destructrice en Italie avant d’être défait par Stilicon, qui mobilisa toutes ses troupes pour repousser cette menace.

Malgré ses succès, Stilicon était perçu avec méfiance à cause de ses origines germaniques. En 408, il fut accusé de complot pour nommer son fils empereur, ce qui conduisit à son exécution ordonnée par Honorius.


Alaric : Roi des Wisigoths et Fléau de Rome

Alaric, initialement allié de Rome en tant que chef des fœderati (alliés barbares), devint un acteur majeur du déclin de l’Empire. Mécontent des promesses non tenues par Rome, il tourna ses troupes contre l’Empire :

  1. Premières incursions en Italie (401-403) : Bien qu’il fût repoussé par Stilicon, Alaric continua à exercer une pression constante sur l’Empire.
  2. Le siège de Rome (408) : Après l’exécution de Stilicon et le massacre des familles germaniques alliées, Alaric rassembla une armée massive pour assiéger Rome. Il accepta initialement un paiement pour se retirer, mais l’instabilité romaine l’incita à revenir.
  3. La mise à sac de Rome (410) : Lors de sa troisième attaque, Alaric entra dans Rome avec l’aide de partisans internes. Pendant trois jours, la ville fut pillée, marquant la première chute de la capitale en 800 ans.

Après cette victoire, Alaric prépara une campagne vers l’Afrique du Nord, mais sa mort prématurée en 410 mit fin à ses ambitions.


Pillage de Rome en 410 par Alaric, roi des Wisigoths 

Le Déclin Irréversible de l’Occident : Une Chute Annoncée

Le déclin de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle ne fut pas le résultat d’un événement isolé, mais plutôt le produit d’une accumulation de facteurs internes et externes qui érodèrent progressivement la puissance et l’autorité de Rome. Ce déclin irréversible atteignit son paroxysme avec la mise à sac de Rome par Alaric en 410 et s’acheva officiellement en 476 avec la déposition du dernier empereur romain, Romulus Augustule. Cette période cruciale révèle une série de dysfonctionnements militaires, économiques, politiques et sociaux qui rendirent l'Empire incapable de se défendre contre les multiples pressions externes.


1. La Division de l’Empire : Une Fragmentation Fatale

La division de l’Empire en deux entités distinctes, Orientale et Occidentale, officiellement mise en place par Théodose Ier en 395, avait des motivations administratives, mais elle affaiblit l’Occident de plusieurs manières :

  • Inégalités économiques et militaires : L’Orient, plus riche et urbanisé, disposait des ressources nécessaires pour financer une armée professionnelle et maintenir des infrastructures solides. À l’inverse, l’Occident, dépendant des revenus agricoles, manquait de moyens pour défendre efficacement ses vastes frontières.
  • Déséquilibres politiques : Les empereurs d’Orient, installés à Constantinople, se concentraient sur la défense de leurs territoires, laissant souvent l’Occident gérer seul les invasions barbares.

2. L’Afflux des Barbares : Pressions et Réalignements

À partir du IVe siècle, les frontières de l’Empire romain d’Occident furent submergées par des vagues de migrations barbares :

  • Les Wisigoths : Fuyant les Huns, ils obtinrent l’autorisation de s’installer en Thrace en 376, mais leur mauvais traitement par les fonctionnaires romains conduisit à la rébellion et à la défaite écrasante des Romains à Andrinople (378), marquant le début de la fin pour la supériorité militaire romaine.
  • Les Huns : Leur avancée brutale força de nombreuses tribus germaniques, comme les Vandales, les Alains et les Suèves, à franchir le Rhin en 406, inondant la Gaule et l’Espagne de groupes barbares incontrôlables.
  • Le sac de Rome (410) : La prise de Rome par Alaric, roi des Wisigoths, fut un choc psychologique énorme, soulignant l’incapacité de l’Empire à protéger sa propre capitale.

3. Faiblesse Militaire et Dépendance aux Fœderati

La militarisation de l’Empire souffrit de plusieurs problèmes majeurs :

  • Déclin des légions romaines : Les légions, autrefois la colonne vertébrale de la puissance romaine, furent affaiblies par des décennies de guerres civiles, de sous-financement et de dépendance croissante aux mercenaires barbares.
  • Rôle des fœderati : Les peuples barbares, intégrés à l’armée romaine comme alliés, jouèrent un rôle ambigu. Bien qu’ils renforçassent temporairement les effectifs militaires, leur loyauté restait incertaine, comme l’illustre la rébellion d’Alaric.
  • Échec des réponses stratégiques : Des figures comme Stilicon tentèrent de manipuler les chefs barbares pour servir les intérêts romains, mais ces politiques à court terme finirent souvent par se retourner contre l’Empire.

4. Déclin Économique : Une Érosion des Fondements

L’économie romaine, autrefois florissante, subit une dégradation progressive qui paralysa l’Empire :

  • Appauvrissement des campagnes : La surimposition des provinces occidentales et la dévastation des terres par les invasions barbares affaiblirent les bases agricoles de l’économie.
  • Monnaie dévaluée : La perte de confiance dans la monnaie romaine et l’inflation causée par les dépenses militaires excessives mirent en péril les finances impériales.
  • Effondrement des échanges commerciaux : Les routes commerciales furent perturbées par l’insécurité grandissante, privant les cités romaines des ressources vitales venues d’Afrique et d’Orient.

5. Instabilité Politique : Une Succession Chaotique

L’incapacité des empereurs romains d’Occident à maintenir l’autorité impériale exacerba la fragmentation politique :

  • Usurpations fréquentes : Les révoltes et les proclamations d’empereurs par les armées affaiblirent la stabilité du pouvoir central.
  • Autorité en déclin : Les provinces occidentales commencèrent à agir de manière autonome, favorisant l’émergence de royaumes barbares indépendants, comme celui des Wisigoths en Aquitaine.

6. La Montée des Royaumes Barbares

Les invasions successives et l’incapacité de l’Empire à repousser les envahisseurs permirent l’établissement de royaumes barbares sur le territoire romain :

  • Wisigoths en Espagne : Après avoir été fédérés, ils établirent un royaume semi-indépendant.
  • Vandales en Afrique du Nord : Maîtres des provinces vitales de l’Empire, ils coupèrent Rome de ses principales ressources en blé.
  • Francs et Burgondes en Gaule : Ces peuples germaniques s’implantèrent durablement en créant des entités politiques stables.

7. Les Efforts Tardifs : Une Résistance Vaine

Malgré l’instabilité, des figures remarquables tentèrent de sauver l’Empire :

  • Aetius : Connu comme le "dernier des Romains", il repoussa les Huns d’Attila lors de la bataille des Champs Catalauniques en 451, mais il ne put stopper le déclin général.
  • Majorien : Il entreprit des réformes pour restaurer l’autorité impériale, mais ses efforts furent insuffisants face à l’ampleur des problèmes.



Sources

  1. Heather, Peter, The Fall of the Roman Empire: A New History.
  2. Gibbon, Edward, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire.
  3. Ward-Perkins, Bryan, The Fall of Rome and the End of Civilization.
  4. Ammien Marcellin, Res Gestae.
  5. Halsall, Guy, Barbarian Migrations and the Roman West, 376–568.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Juillet 2010