Le Mésolithique de l'Europe du Nord est marqué par des changements écologiques, sociaux et technologiques profonds, résultant du retrait progressif des glaciers et de l'installation de forêts denses dans les régions nordiques de l'Allemagne, de la Pologne, de la Scandinavie, et du Danemark. La combinaison de vastes ressources terrestres et aquatiques a permis aux populations de chasseurs-cueilleurs de s'établir dans ces régions, où elles ont développé un mode de vie basé sur la chasse, la pêche, la cueillette, et, dans certains cas, une sédentarisation accrue. Cette période constitue une phase classique du mode de vie mésolithique en Europe, et elle nous a légué des archives archéologiques parmi les plus riches et les mieux conservées au monde, grâce notamment aux conditions de préservation exceptionnelles des sites submergés et des tourbières.
Pour comprendre le contexte mésolithique de l'Europe du Nord, il est essentiel de se pencher sur l'évolution géomorphologique du bassin de la mer Baltique, influencée par des processus d’eustasie (variations globales du niveau de la mer) et d’isostasie (réajustement de la croûte terrestre suite à la fonte des glaciers). Après la fin de la dernière glaciation, le bassin de la Baltique se remplit d'eau douce provenant de la fonte des glaciers, formant le « lac de glace de la Baltique ». Vers 12 200 ans avant notre ère, ce lac s’ouvre sur la mer du Nord par le centre de la Suède, créant la mer de Yoldia. Cette première connexion à l’océan introduit un mélange d'eau douce et saumâtre, favorisant une biodiversité aquatique importante.
Plus tard, le rebond isostatique de la Suède centrale entraîne la fermeture de cette connexion maritime, formant le « lac Ancylus », un grand lac d’eau douce. Finalement, vers 7 000 av. J.-C., le niveau de la mer monte suffisamment pour reconnecter la Baltique à l'océan par le détroit d'Öresund, créant la mer Littorina, un précurseur de la Baltique moderne. Ces cycles d'inondations et de drainages successifs ont transformé le littoral et déplacé les sites d'habitation mésolithiques, certains étant aujourd’hui sous les eaux tandis que d’autres se trouvent désormais bien au-delà des côtes actuelles.
Les avancées dans l’archéologie sous-marine et les fouilles de tourbières ont ouvert de nouvelles perspectives sur les modes de vie des groupes mésolithiques. Les tourbières et les fonds sous-marins de la Baltique ont préservé des artefacts rares et fragiles en bois, os, et matières végétales, qui permettent aux chercheurs de mieux comprendre les pratiques culturelles et technologiques de l’époque. Par exemple, les restes d'un dispositif de piégeage de poissons près de Kalundborg, en Zélande (Danemark), montrent l’ingéniosité de ces sociétés pour exploiter les ressources aquatiques. La découverte de foyers, d’outils de bois, d'ossements et même de poteries rudimentaires démontre que ces groupes étaient des gestionnaires habiles de leur environnement, intégrant le bois et la faune aquatique dans leurs activités quotidiennes.
En Europe du Nord et en Scandinavie, les archéologues ont identifié plusieurs cultures mésolithiques distinctes, fondées sur des différences dans les assemblages d’outils en pierre et l’émergence de techniques nouvelles. Parmi celles-ci, la séquence Maglemose-Kongemose-Ertebølle au Danemark et dans le sud de la Suède est l'une des plus documentées et étudiées.
En Pologne et en Allemagne du Nord, les cultures mésolithiques présentent des caractéristiques similaires à celles de la Scandinavie méridionale, bien qu'elles suivent des séquences culturelles légèrement différentes.
En Allemagne du Nord, plusieurs groupes régionaux ont également adapté leurs modes de vie aux forêts et aux zones humides. Bien que moins définis que les séquences scandinaves, ces groupes montrent des évolutions parallèles en matière de technologie et de sédentarisation, et adoptent des outils similaires en fonction des ressources locales.
Avec la stabilisation du climat et des ressources, les sociétés mésolithiques d’Europe du Nord adoptent des modes de vie semi-sédentaires, facilitant l’établissement de campements plus permanents et l’accumulation de ressources alimentaires variées. Les études isotopiques sur les os humains de cette période révèlent que les populations mésolithiques de l’Europe du Nord possédaient une alimentation diversifiée et riche, intégrant à la fois le gibier forestier, le poisson, et les mollusques marins.La sédentarisation partielle et l’accumulation des ressources alimentaires permirent aussi le développement de pratiques sociales et rituelles plus complexes, comme en témoignent les enterrements dans les sites tels que Skateholm en Suède, où des individus sont enterrés avec des objets personnels et des ornements, suggérant une certaine hiérarchisation sociale et des croyances rituelles. Les premiers indices de la domestication du chien sont également attestés, indiquant l’importance de cet animal pour la chasse et la sécurité des campements.
Le climat nordique imposa aux groupes mésolithiques des pratiques de subsistance variées et adaptées. La pêche et la chasse aux mammifères marins jouaient un rôle central pour les groupes côtiers, tandis que les chasseurs-cueilleurs de l'intérieur des terres exploitaient les vastes forêts de conifères, regorgeant de cervidés comme le cerf et le chevreuil. La variabilité des ressources entre les régions littorales et continentales souligne l’adaptabilité de ces communautés aux différents milieux offerts par le nord de l’Europe.
Les premiers foragers mobiles du Mésolithique en Europe du Nord étaient des chasseurs-cueilleurs adeptes de l’exploitation des forêts, lacs, et littoraux nouvellement libérés de glace. Ces groupes mobiles, présents dans les plaines boisées et les zones côtières de la région, ont laissé des traces subtiles mais précieuses d’un mode de vie saisonnier et itinérant. Sur le site de Friesack (à 150 km au nord-ouest de Berlin), ces foragers ont laissé une stratigraphie riche de vestiges entre 8 700 et 7 800 av. J.C., marquant des visites saisonnières répétées où la faune locale (cerf, aurochs, brochet, castors) constituait leur subsistance principale. Ce modèle d’occupation temporaire et saisonnière a marqué le début de l’Holocène dans le nord de l’Europe, où les sites mésolithiques lacustres et tourbeux étaient privilégiés pour les ressources abondantes en nourriture et en matériaux, tels que les bois pour flèches et filets.L’inondation de la mer de Littorina, due au rebond isostatique et aux variations eustatiques, a par la suite submergé bon nombre de ces premiers sites mésolithiques côtiers. Depuis les années 1980, les avancées en archéologie subaquatique ont permis de fouiller les fonds de détroits comme l’Öresund et le Store Bælt, révélant des établissements mésolithiques anciens et des outils en silex. Ces découvertes sous-marines soulignent que la densité d’occupation des littoraux était importante bien avant l’établissement de colonies sédentaires, et témoignent de la complexité croissante des communautés de foragers mobiles qui exploraient ces territoires.
Dans la région de Stockholm, les effets du rebond isostatique étaient particulièrement marqués. Les premiers sites mésolithiques de cet archipel, comme ceux de la péninsule de Södertörn, ont été identifiés dans les années 1980 à des altitudes bien plus élevées qu’aujourd’hui, et les populations mésolithiques se déplaçaient probablement en fonction de la formation des îles nouvellement émergées. Vers 8 000 av. J.-C., des pionniers mésolithiques atteignent les îles de l’archipel, utilisant les ressources marines comme les colonies de phoques. Les sites tels que Stora Förvar, sur l’île de Stora Karlsö, révèlent un mode de vie axé sur la chasse aux phoques et les ressources maritimes. Ce modèle de vie semi-sédentaire dans des zones littorales riches en ressources met en évidence des stratégies d’exploitation spécifiques aux conditions insulaires et froides de la Baltique.
À partir de 6 500 av. J.C., la sédentarisation devient plus marquée. Les sites de Kongemose et Ertebølle, comme Tågerup en Suède, présentent des indices de résidences permanentes ou semi-permanentes, y compris des outils volumineux, de la poterie, et des dispositifs fixes comme des déversoirs de pêche. Les foragers du Mésolithique tardif disposent également de pirogues pour étendre leur territoire de chasse et de pêche, exploitant de vastes zones côtières et les rivières intérieures. Le site de Ringkloster au Danemark, situé sur les rives du lac Skanderborg, révèle une occupation continue entre 5 400 et 3 550 av. J.C., avec des activités de chasse, pêche et collecte dans une économie basée sur la sédentarisation temporaire.Les immenses middens de coquillages, caractéristiques de la culture Ertebølle, sont des amas stratifiés d'huîtres, de pétoncles et de patelles qui indiquent une consommation régulière et un stockage collectif. Ces amas de coquilles témoignent d’un mode de vie côtier, où les dépôts de coquillages jouent un rôle de premier plan dans l’archéologie du Mésolithique tardif, bien que les lieux d’habitation principaux se trouvaient ailleurs.
En Scandinavie méridionale, les établissements intérieurs du Mésolithique tardif, tels que Ageröd V en Suède, montrent des habitations insulaires sur des îlots lacustres, où la pêche et la chasse aux mammifères forestiers (cerfs, orignaux) se complètent. Ces camps, souvent situés dans des marécages, sont des exemples d’occupation spécialisée et révèlent l’adaptation des groupes mésolithiques aux environnements riches en ressources.
Avec le retrait des glaces dans le nord de la Scandinavie, les populations mésolithiques s’étendent rapidement vers ces territoires, où elles s’adaptent à un environnement extrême, comme en témoignent les sites d’Alträsket et de Slettnes. Alträsket, situé à plus de 100 mètres au-dessus du niveau actuel de la mer, révèle des maisons semi-enterrées et des foyers. Le site de Slettnes, au nord de la Norvège et au-delà du cercle polaire, présente des gravures d’orignaux et d’autres animaux forestiers sur de grandes pierres, soulignant l’importance de la chasse dans cette région.
Alors que la culture de la poterie linéaire se diffuse vers 5 500 av. J.C. en Europe centrale, les groupes mésolithiques nordiques ne montrent initialement aucun intérêt pour l’agriculture, profitant des ressources naturelles abondantes. Ce n’est qu’aux alentours de 3 900 av. J.C., que les premières pratiques agricoles apparaissent dans le sud de la Scandinavie, marquant une transition rapide vers une économie néolithique. Dans le nord de la Scandinavie, cependant, les modes de vie mésolithiques persistent encore longtemps, adaptés aux conditions écologiques uniques de la région.
Le Mésolithique nord-européen présente une diversité de modes de vie en réponse aux variations climatiques et géographiques de l’Holocène. Les premiers foragers mobiles exploitent les richesses des lacs, des rivières et des côtes, tandis que les foragers sédentaires tardifs adoptent un mode de vie plus fixe et communautaire. Les découvertes submergées et les middens de coquillages fournissent des archives uniques, révélant des adaptations sophistiquées et une exploitation approfondie des ressources. La transition vers l’agriculture, bien qu’initialement lente en Scandinavie, amorce une évolution radicale vers le Néolithique dans le sud de la région. La persistance des modes de vie mésolithiques dans les régions septentrionales témoigne cependant de l'efficacité des stratégies de subsistance ancestrales dans les environnements nordiques.
Quelques références pour approfondir le sujet :
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Avril 2013