13 min lu
Les Omeyyades : L’ascension d’un empire islamique.

La dynastie des Omeyyades, fondée par Mu'awiya Ier en 661, a marqué une étape cruciale dans l'histoire islamique en consolidant le pouvoir califal et en transformant le califat en un empire politique structuré. Malgré des divisions internes au sein de la communauté musulmane, les Omeyyades ont étendu leur domination de l’océan Atlantique à l’Inde, tout en établissant leur capitale à Damas.


1. Contexte et fondation de la dynastie

Les divisions au sein de la communauté musulmane

L'assassinat du calife Uthman en 656 déclencha une série de conflits qui divisèrent la communauté musulmane, marquant une fracture durable dans l'histoire de l'Islam. Ces tensions étaient en partie enracinées dans des rivalités tribales préexistantes, notamment entre les Banu Umayya (Omeyyades), le clan de Uthman, et les Hachémites, le clan de Mahomet et d’Ali. La gestion controversée de Uthman, notamment son favoritisme envers les membres de son clan, provoqua des révoltes dans plusieurs provinces, culminant dans sa mort à Médine.

Après l'assassinat de Uthman, Ali, cousin et gendre de Mahomet, fut proclamé calife. Cependant, son accession au pouvoir fut contestée par de puissants opposants, notamment Aisha, veuve de Mahomet, et Mu'awiya, gouverneur de Syrie et membre influent des Omeyyades. Ces divisions entraînèrent plusieurs conflits, notamment la bataille du Chameau (656) et celle de Siffin (657). En 661, Ali fut assassiné par un kharijite, marquant la fin de l'ère des califes bien guidés et l'éclatement définitif de l'unité musulmane.

Mu'awiya se proclama calife à Damas, inaugurant le règne des Omeyyades et la transition vers un califat dynastique. Cette centralisation du pouvoir au sein d’un seul clan provoqua la naissance de deux courants opposés : les sunnites, qui acceptaient l’autorité omeyyade, et les chiites, qui continuaient à soutenir les descendants d'Ali comme seuls dirigeants légitimes.

L’établissement à Damas

L'ascension de Mu'awiya Ier en 661 marqua un changement fondamental dans l'organisation du califat. Contrairement à ses prédécesseurs, dont le pouvoir reposait principalement sur l'autorité religieuse à La Mecque et Médine, Mu'awiya déplaça le centre névralgique de l'empire à Damas, en Syrie. Cette décision était stratégique : Damas offrait un emplacement central dans l'empire, proche des principales routes commerciales et des frontières en expansion.

En établissant Damas comme capitale, Mu'awiya fit de la Syrie le cœur administratif, militaire et politique de l'empire. La région disposait d'infrastructures romaines bien développées, héritées de l'Empire byzantin, qui facilitèrent la gestion de l'empire. De plus, Damas offrait une stabilité relative par rapport aux querelles tribales persistantes en Arabie.

Ce déplacement symbolisa également un changement culturel et politique. Alors que les premiers califes avaient gouverné dans un style proche de celui des tribus arabes, l’administration omeyyade s’inspira des modèles byzantin et sassanide, adoptant une bureaucratie sophistiquée et des pratiques monarchiques. Cette transformation marqua le passage d’un califat centré sur la religion à une entité politique et administrative structurée, consolidant l’empire islamique en tant que puissance mondiale.


2. Expansion territoriale

Une domination étendue

Sous les Omeyyades (661-750), le califat atteignit son apogée territorial, devenant l’un des plus vastes empires de l’histoire. Ces expansions spectaculaires furent réalisées grâce à une combinaison de campagnes militaires stratégiques, de diplomatie et d’adaptabilité face aux divers peuples conquis.

L’Espagne (al-Andalus) : La conquête de 711

En 711, Tariq ibn Ziyad, un général berbère, traversa le détroit de Gibraltar avec une armée d’environ 7 000 hommes, amorçant la conquête de la péninsule ibérique. La bataille décisive de Guadalete contre les Wisigoths ouvrit la voie à une occupation rapide. En trois ans, les Maures conquirent Cordoue, Tolède et Séville, établissant al-Andalus sous contrôle musulman. Ce territoire devint un centre culturel et économique majeur du califat.

Le Maghreb : Soumission et intégration

La conquête du Maghreb fut cruciale pour sécuriser l'ouest de l'empire et garantir le contrôle des routes commerciales méditerranéennes. Carthage fut prise en 698, marquant la chute définitive de l’influence byzantine en Afrique du Nord. Les Omeyyades intégrèrent les tribus berbères en les islamisant, ce qui permit une stabilisation durable et une participation active des Berbères aux futures conquêtes, notamment en Espagne.

L’Asie centrale : Vers la Transoxiane et l’Indus

À l’est, les armées omeyyades poursuivirent leur expansion dans les régions de l’Asie centrale. Des batailles décisives permirent de soumettre des territoires comme la Transoxiane (actuel Ouzbékistan) et la vallée de l’Indus (au Pakistan actuel). Cette expansion permit la diffusion de l’Islam jusqu’aux confins de l’Asie et la sécurisation des routes commerciales de la soie.

L’Europe : Avancées et limites

Les incursions en Europe franchirent les Pyrénées avec des campagnes en Gaule. Néanmoins, l’expansion fut freinée en 732 lors de la bataille de Poitiers, où Charles Martel stoppa l’avancée musulmane. Bien que l’Europe ne fut pas conquise, la présence musulmane dans la péninsule ibérique transforma durablement le paysage politique et culturel européen.


Une administration structurée

Les vastes territoires conquis par les Omeyyades nécessitaient une administration efficace et centralisée pour assurer leur stabilité et leur prospérité. Mu’awiya Ier et ses successeurs mirent en place un système structuré qui combinait des éléments des traditions byzantine et sassanide avec des principes islamiques.

Les gouverneurs provinciaux (émirs)

Chaque province (wilaya) était dirigée par un gouverneur, ou émir, qui représentait l’autorité califale. L’émir était responsable de la collecte des impôts, de la sécurité et de la gestion militaire. Les provinces jouissaient d’une certaine autonomie, mais elles devaient rendre des comptes au calife à Damas, garantissant ainsi une centralisation relative.

Système fiscal

Les Omeyyades instaurèrent un système fiscal bien structuré :

  • La jizya : Impôt prélevé sur les non-musulmans (dhimmis) en échange de leur protection et de leur droit à pratiquer leur religion.
  • La zakat : Contribution obligatoire des musulmans, destinée à des œuvres sociales et à l’entretien de l’armée.
  • Le kharaj : Taxe foncière sur les terres agricoles.

Ce système fiscal permit au califat de financer ses campagnes militaires et de maintenir une administration efficace.

Autonomie des populations locales

Les Omeyyades maintinrent une tolérance relative envers les populations non musulmanes. Les chrétiens et les juifs, considérés comme "gens du Livre", bénéficiaient d’une protection légale en échange de leur soumission fiscale. Cette politique de tolérance religieuse facilita l’intégration des nouveaux territoires tout en minimisant les révoltes.

Infrastructure et communication

Le califat omeyyade investit dans le développement d’infrastructures, notamment des routes, des ponts et des systèmes de postes. Ces réseaux améliorèrent les communications entre les provinces et la capitale à Damas, renforçant ainsi le contrôle centralisé et facilitant le commerce.

Ce modèle administratif, combinant centralisation et autonomie locale, permit à l’empire omeyyade de gérer efficacement des territoires diversifiés tout en posant les bases d’une prospérité économique et culturelle sans précédent.


3. Gouvernance et transformations politiques

Un empire dynastique

Avec l’accession de Mu'awiya Ier au califat en 661, une nouvelle ère débuta : celle d’un empire dynastique. Contrairement aux quatre premiers califes "bien guidés" (Rashidun), choisis par consensus ou élection, Mu'awiya établit un système héréditaire, inaugurant la dynastie omeyyade. Cette décision constitua une rupture majeure dans la gouvernance de l’Islam.

Transmission héréditaire du pouvoir

  • Mu'awiya désigna son fils Yazid comme successeur, officialisant ainsi le caractère dynastique du califat. Cette transition fut perçue par certains comme une appropriation du pouvoir divin au profit d’une famille spécifique, contredisant l’idéal islamique d’une gouvernance collective.
  • Cette décision provoqua des tensions majeures au sein de la communauté musulmane, opposant les partisans des Omeyyades (futurs sunnites) à ceux d’Ali et de ses descendants, qui estimaient que le califat devait revenir à la famille directe du Prophète (futurs chiites).
  • Ces divisions s’accentuèrent après la tragique bataille de Karbala en 680, où Husayn, petit-fils du Prophète et fils d’Ali, fut tué par les troupes omeyyades. Cet événement devint un point central de la foi chiite et un symbole de la résistance face à l’injustice.

Renforcement de l’autorité impériale

En instaurant un califat dynastique, les Omeyyades adoptèrent un modèle monarchique, consolidant leur pouvoir à travers une administration centralisée, des alliances stratégiques et une armée disciplinée. Cette approche permit de stabiliser un empire vaste et hétérogène, mais au prix de la marginalisation de certaines factions.

.

Réformes administratives

Pour gouverner efficacement un empire s’étendant de l’Espagne à l’Inde, les Omeyyades mirent en œuvre des réformes administratives et culturelles significatives, renforçant l’unité et la cohésion de leur territoire.Centralisation à Damas

  • Mu'awiya fit de Damas la capitale du califat, déplaçant ainsi le centre du pouvoir islamique de l’Arabie vers la Syrie. Cette localisation stratégique facilitait la gestion des vastes territoires conquis, tout en bénéficiant des infrastructures héritées des Byzantins.
  • Le choix de Damas reflétait également la transformation du califat en un empire cosmopolite, moins attaché aux origines tribales du désert arabe.

Uniformisation des monnaies

  • Sous Abd al-Malik (685-705), l’empire adopta une monnaie unique, remplacant les pièces byzantines et sassanides encore en circulation. Les dinars en or et dirhams en argent portaient des inscriptions en arabe, affirmant la souveraineté islamique et l’unification économique.

Adoption de l’arabe comme langue administrative

  • Abd al-Malik imposa l’arabe comme langue officielle pour l’administration et la gouvernance, remplaçant le grec et le persan. Cette réforme facilita la communication au sein de l’empire et contribua à la diffusion de la culture arabe.
  • L’arabisation administrative permit également de renforcer l’identité islamique, favorisant la transition culturelle dans les territoires récemment conquis.

Construction de monuments symboliques

  • Les Omeyyades investissaient dans des projets architecturaux reflétant la puissance et le rayonnement de l’empire. L’un des exemples les plus remarquables est la Grande Mosquée de Damas, construite sur le site d’un ancien temple romain et d’une église byzantine.
  • Ces monuments servaient non seulement de lieux de culte, mais aussi de symboles d’une civilisation islamique en plein essor, marquant la transition d’un pouvoir tribal à un empire universel.
  • Ces réformes administratives et culturelles des Omeyyades contribuèrent à consolider un empire diversifié, tout en posant les bases d’une identité islamique partagée.


4. Défis et déclin

Rébellions internes

Le califat omeyyade, bien qu'étendu et puissant, fut marqué par des tensions internes qui affaiblirent progressivement son autorité.

Tensions tribales

  • Opposition entre tribus arabes : Les Omeyyades s’appuyaient principalement sur les tribus arabes de Syrie, mais cette préférence provoqua des rivalités avec d'autres groupes arabes, notamment ceux d'Irak et du Hijaz. Ces tensions sapèrent l’unité initiale de la communauté musulmane.
  • Les Banu Umayya furent également accusés de privilégier leur clan, renforçant un ressentiment parmi les autres familles influentes.

Résistances religieuses

  • Les chiites : Rejetant la légitimité des Omeyyades, les partisans d'Ali (chiites) menèrent plusieurs révoltes, dénonçant le califat comme usurpateur. Ces révoltes culminèrent avec des insurrections en Irak et en Perse, des foyers importants du chiisme.
  • Les kharijites : Ce groupe, opposé à la centralisation du pouvoir et prônant une stricte égalité, mena des rébellions particulièrement violentes dans des régions telles que l'Irak et Oman.

Révoltes des peuples conquis

  • Les Berbères au Maghreb : Malgré leur conversion à l’Islam, les Berbères protestèrent contre leur marginalisation et leur statut inférieur au sein de l’empire. Une révolte majeure éclata dans les années 740, affaiblissant le contrôle omeyyade sur l’Afrique du Nord.
  • Les Perses et les mawali : Les convertis non arabes (mawali), notamment en Perse, ressentirent une profonde injustice face à la discrimination qui les excluait des privilèges accordés aux Arabes.


La montée des Abbassides

Ces tensions internes furent exploitées par les Abbassides, descendants d’un oncle du Prophète, pour renverser les Omeyyades.

La révolution abbasside

  • Les Abbassides formèrent une coalition diversifiée comprenant des Perses, des mawali, des chiites, et des mécontents arabes, réunis sous la promesse d’un retour à une gouvernance plus juste.
  • En 750, sous la direction d’Abu al-Abbas al-Saffah, les Abbassides infligèrent une défaite décisive aux Omeyyades lors de la bataille du Grand Zab. Cette victoire mit fin au califat omeyyade, et la nouvelle dynastie établit sa capitale à Bagdad, marquant le début de leur règne.

La survie de la dynastie omeyyade

  • Bien que les Omeyyades aient été renversés, Abd al-Rahman Ier, un membre de la famille, parvint à fuir en al-Andalus (Espagne musulmane). En 756, il fonda l’émirat de Cordoue, indépendant du califat abbasside.
  • Cet émirat devint un centre culturel, économique et scientifique majeur, perpétuant l’héritage omeyyade et initiant une période de splendeur pour al-Andalus.

La grande mosquée des Omeyyades Damas, capitale de l’empire Omeyyade, abrite la grande mosquée des Omeyyades : elle fut construite dans la vieille ville romaine, à l’emplacement d’un ancien temple dédié à Zeus, sur lequel avait été édifiée, au 4e siècle, la basilique de Saint Jean le Baptiste. 


5. Héritage des Omeyyades


Politique : Une centralisation durable

Les Omeyyades introduisirent des réformes administratives qui jetèrent les bases de la gestion des empires islamiques ultérieurs :

  • Centralisation du pouvoir : Avec Damas comme capitale, le califat omeyyade devint un empire bien structuré, où les émirs provinciaux exerçaient un pouvoir délégué sous l’autorité directe du calife.
  • Unité administrative : L’unification des monnaies et l’adoption de l’arabe comme langue administrative permirent une standardisation efficace à travers les vastes territoires conquis.
  • Modèle pour les Abbassides et autres dynasties : Les pratiques administratives et l’approche centralisée furent reprises par les Abbassides, ainsi que par des dynasties régionales comme les Fatimides et les Ottomans.

Culture : Un patrimoine architectural emblématique

Les Omeyyades laissèrent des contributions majeures à l’architecture et à l’art islamique :

  • La Grande Mosquée de Damas : Érigée sur le site d’un ancien temple romain, elle devint un chef-d'œuvre de l'architecture islamique, mêlant influences romaines, byzantines et islamiques.
  • Développement des arts décoratifs : Les Omeyyades introduisirent l’usage de mosaïques et de motifs géométriques dans leurs édifices, influençant durablement l’art islamique.
  • Transmission culturelle : En établissant des échanges entre Orient et Occident, les Omeyyades favorisèrent la transmission des savoirs grecs, romains et perses vers le monde islamique.

Religieux : Une division pérenne dans l’Islam

Le règne des Omeyyades joua un rôle clé dans la formation des principales branches de l’Islam :

  • Division sunnite-chiite : L’opposition des chiites, partisans d’Ali, au califat omeyyade marqua la scission définitive entre sunnites et chiites, un schisme qui persiste jusqu’à aujourd’hui.
  • Consolidation du sunnisme : Sous les Omeyyades, le sunnisme devint la branche majoritaire, bénéficiant de la légitimité du califat et des ressources administratives.
  • Rôle des minorités religieuses : Les politiques de tolérance relative envers les chrétiens, juifs et zoroastriens sous condition de paiement de la jizya contribuèrent à l’intégration des populations non musulmanes dans l’empire.

Conclusion

Les Omeyyades laissèrent un héritage complexe, mêlant centralisation politique, réalisations culturelles et divisions religieuses. Bien que leur califat ait été renversé, leurs contributions continuèrent à influencer les dynasties islamiques et à façonner l’histoire politique, culturelle et religieuse du monde islamique.



Sources principales :

  • History of the Arab Peoples, Albert Hourani.
  • Encyclopaedia of Islam, articles sur les Omeyyades.
  • Islam: Empire of Faith, PBS documentary series.
  • Histoire de l’islam et des musulmans en France, Michel Renard.


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Septembre 2011